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Éditorial

Guérir les blessures de l’âme ?
Résurrection

La blessure intérieure fait recette. Notre époque est celle de la subjectivité malade, chacun d’entre nous cherche en conséquence à retrouver un équilibre, toujours plus menacé par le stress de la vie moderne, le déferlement des sons et des images, l’afflux des informations qu’on ne peut plus organiser ni digérer, la désorganisation des modèles parentaux, conjugaux, sociaux, le choc des cultures, etc., etc.

Les techniques supposées apporter la paix et la guérison ont forcément du succès, les sagesses anciennes ou plus récentes sont scrutées avec un nouvel intérêt et les religions elles-mêmes sont sollicitées pour apporter des remèdes et fournir une pacification intérieure.

Le christianisme n’est pas le dernier à se placer sur ce terrain. Sans parler des charlatans qui proposent des guérisons mirobolantes, les monastères et autres hauts lieux de prière se présentent non sans raison comme des écoles de silence, de paix, d’équilibre, qui peuvent contribuer à rendre la santé à des cœurs malades. Des communautés, généralement charismatiques, proposent divers parcours de guérison qui rencontrent un vif succès. Les sessions Agapé, par exemple, fondées sur l’expérience du Dr Dubois, attirent elles aussi tout un public de gens désireux de retrouver plus de liberté et de paix dans leur relation avec Dieu, avec les autres et avec eux-mêmes.

Notre approche est néanmoins différente. Le christianisme n’a pas pour première mission d’apporter un remède au mal-être des Occidentaux de ce temps. Si blessure intérieure il y a, la foi n’est pas là pour nous distiller un anesthésiant qui nous rendrait d’un coup à l’aise et bien dans notre peau. La condition humaine est chose trop sérieuse pour qu’il suffise de réparer certains dysfonctionnements. Si le thème thérapeutique est présent dans la Bible pour parler du salut (cf. Ex 15, 26 ; Dt 32, 39 ; Tb 3, 17), il n’est pas le plus important. L’Ancien Testament déjà se méfiait de la figure du dieu guérisseur, largement présente dans les cultures du Proche-Orient ancien, pour lui préférer celle du dieu sauveur : le Dieu d’Israël n’est pas là pour réparer la nature humaine et lui permettre de poursuivre son cours comme avant, une fois changée la pièce défectueuse, mais il vient dévoiler le péché, source de tous les maux, et amener à une conversion radicale. Toutes les ambiguïtés de la guérison magique et du retour cyclique des saisons sont résumées dans ce passage d’Osée, où les Israélites rêvent d’un avenir plus heureux où Dieu est censé être présent au rendez-vous, or ce n’est qu’une illusion :

Retournons vers le Seigneur. C’est lui qui a déchiré et c’est lui qui nous guérira, il a frappé et il pansera nos plaies.
Au bout de deux jours, il nous aura rendu la vie, au troisième jour, il nous aura relevés et nous vivrons en sa présence.
Efforçons-nous de connaître le Seigneur : son lever est sûr comme l’aurore, il viendra vers nous comme vient la pluie, comme l’ondée de printemps arrose la terre. (Osée 6,1-3)

Le mérite de la Révélation chrétienne est de nous resituer dans une histoire bien plus longue que celle de notre vie, pour nous aider à comprendre d’où nous venons et où nous allons. Ainsi peut-elle se présenter comme l’annonce d’un salut et pas seulement comme une thérapie. À nous, il a été donné de connaître le projet de Dieu sur sa créature et ainsi de collaborer à l’œuvre de restauration qu’il a entreprise en son Fils.

Le plus clair de que nous révèlent les Écritures, c’est que l’homme a été créé « être de désir », excentré de soi, blessé d’une blessure congénitale qui lui interdit à jamais toute satiété et tout repos en lui-même, et qui le projette en avant vers un autre être, « os de ses os et chair de sa chair », signe de l’Autre pour qui il a été fait et en qui seul il trouvera son repos. La Révélation, en fait de maladies de l’âme, parle surtout du péché, qui est au fond un échec de ce désir, non un mauvais désir, mais une régression, un repli sur soi, qui aboutit au dégoût et à l’impuissance. Tous les autres désordres sont contenus en germe dans celui-là, soit à titre de causes, soit plus souvent comme des conséquences.

Il appartient peut-être à notre époque de faire le lien entre cette vocation désirante de l’homme et les blessures dont il est affligé, non seulement dans son corps, mais bien plus gravement dans son cœur et dans son esprit. Car les maladies de l’âme ne sont jamais que les retombées (involontaires le plus souvent) de cette capacité désirante de l’homme, quand elle ne trouve plus à se réaliser, quand elle a été brimée, mutilée, ou quand elle s’est trop longtemps trompée d’objet. Les soigner ne requiert pas tant un jugement moral qu’une écoute attentive et une parole de vérité.

Les réflexions de Thibaud de La Hosseraye sur la blessure congénitale à l’homme ont le mérite de poser clairement la question et d’écarter le rêve d’une religion thérapeutique, seulement tournée vers un équilibre simplement humain.

L’article de Michel Gitton attire notre attention sur la question du sujet humain, qui sera traitée d’une autre façon, dans l’optique de la philosophie moderne, par Jérôme Moreau. Il montre, à la lumière des Pères du désert, comment la vie spirituelle est facteur d’éveil intérieur et permet de faire surgir une liberté nouvelle derrière les conditionnements qui pèsent sur elle.

Un plan de travail a été proposé dans le cadre du pèlerinage de Vézelay sur le thème qui est celui de notre numéro : « Guérir les blessures de l’âme », nous le faisons figurer comme un complément utile aux réflexions précédentes.

Réalisation : spyrit.net