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Editorial

Paul-Marie Guillaume

La Bible ! Riche sujet pour le centième numéro de Résurrection. Une Bible mise à la disposition de tous les hommes et donc écrite aussi en notre langue. Mais est-ce si simple ? Depuis plus de deux mille ans, le problème de la traduction s’est imposé pour rendre la Bible accessible aux auditeurs et aux lecteurs.

Traduire la Bible est une nécessité. Cela est vrai au plan littéraire, si nous voulons qu’elle soit connue du plus grand nombre. Cela est encore plus vrai lorsqu’on la reçoit comme Parole de Dieu. Dieu veut parler à tous les hommes ; s’Il parle, c’est pour être compris. Israël, le peuple de l’écoute, a entendu son Dieu dans sa propre langue, l’hébreu.

Mais, dès qu’il a commencé à perdre l’usage de l’hébreu pour parler l’araméen, il a fallu traduire la Parole de Dieu proclamée dans les synagogues, telle est l’origine des targumim en araméen, de ces paraphrases de l’Ecriture qui ont nourri la foi du peuple juif. Quand la diaspora juive s’est développée en Egypte, il a fallu entreprendre le passage de l’hébreu au grec, et ce fut la Septante, si importante pour la connaissance de la Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise qu’aujourd’hui l’on s’y intéresse de très près.

Quand le grec des premiers siècles de l’ère chrétienne laissa peu à peu la place au latin, la LXX fut à son tour traduite en latin, d’où la « Vieille Latine », révisée ensuite par saint Jérôme. L’Eglise syriaque a connu sa Bible, la Peshitta ; l’Eglise arménienne a connu la sienne, traduite du syriaque puis du grec. Et l’on pourrait ainsi poursuivre jusqu’à aujourd’hui l’histoire des traductions de la Bible dans toutes les langues du monde, au fur et à mesure que les peuples s’ouvrent à l’Evangile.

Mais traduire est un acte difficile : comment demeurer fidèle au texte d’origine, à sa forme comme à son contenu, sans négliger de se faire comprendre des lecteurs auxquels l’on destine sa traduction ? Certes, il serait illusoire de vouloir transmettre un texte toujours immédiatement compréhensible. Pour autant, le lecteur ne doit pas avoir à consulter à chaque instant un dictionnaire spécialisé pour comprendre ce qu’il lit.

Déjà au IVème siècle, Eusèbe d’Emèse se posait le problème : « si l’on veut traduire le sens de toutes les langues avec les mêmes mots, on n’arrivera pas à exprimer la pensée des mots qui sont dits ». Pour lui, « l’effort du traducteur et de l’exégète (...) doit tendre à traduire, dans une langue aussi humaine, aussi naturelle que possible, l’esprit de la PAROLE de Dieu » [1]

Traduire d’une langue à une autre, c’est passer d’une culture à une autre. Or, d’une part, la langue d’origine comporte en elle-même des difficultés de compréhension, et d’autre part, les images, les expressions, les manières de penser d’une culture ne sont pas transposables telles quelles dans une autre (par exemple le chiffre six, symbole biblique de l’imperfection, est pour le chinois celui du bonheur !).

Dans un article très éclairant sur la LXX, Jean Coste citait Heidegger : « Une traduction ne consiste pas simplement à faciliter la communication avec le monde d’une autre langue, mais elle est en soi un déchiffrement de la question posée en commun. Elle sert à la compréhension réciproque en un sens supérieur. Et chaque pas dans cette voie et une bénédiction pour les peuples » [2].

Le lecteur d’une Bible française, quelle qu’elle soit, devrait prendre conscience de l’immense travail des traducteurs et ne pas s’étonner des divergences qu’il peut parfois constater s’il consulte plusieurs traductions. Rarement un mot d’une langue correspond totalement à un seul mot d’une autre langue, et le même mot peut avoir des sens différents selon le contexte de la phrase où il se trouve.

Au terme d’une étude sur « La Parole de Dieu en d’autres langues », Roselyne Dupont-Roc constatait : « ...si traduire est indispensable et incontournable, il s’agit à strictement parler d’un acte impossible ; traduire c’est dire autrement, et c’est d’une certaine façon dire autre chose. Et s’il importe de le faire, il importe aussi de savoir ce que l’on fait et les risques que l’on prend. » [3]

En lisant les articles qui suivent, vous découvrirez peu à peu les richesses de tant de traductions au cours des siècles et vous constaterez que l’oeuvre de traduction ne sera jamais achevée. Encore aujourd’hui, la Bible est en chantier ; encore aujourd’hui, Dieu nous parle un langage d’homme. A chacun de l’écouter dans sa propre langue [4].

Paul-Marie Guillaume, évêque de Saint-Dié

[1] Cité par J.-P. Mahé dans « Traduction et exégèse. Réflexions sur l’exemple arménien », Mélanges Guillaumont, Genève, 1988, p.249 et 251.

[2] J. Coste, La première expérience de traduction biblique. La Septante, dans La Maison-Dieu, n°53, 1958, p.83.

[3] Transversalités, Revue de l’Institut Catholique de Paris, n°65, 1998,p.212.

[4] Pour poursuivre la réflexion, consulter La Maison-Dieu, n°53 sur « Le problème des langues en Liturgie » et le numéro de Tranversalités, cité note 3, sur les Journées de la traduction à l’Institut Catholique de Paris.

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