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Femmes sages et dame Sagesse dans l’Ancien Testament (Irmtraud Fischer)

Coll. « Lire la Bible » n°166, Paris, Cerf-Médiaspaul, 2010, 272 pp.
P. Henri de l’Eprevier

Cet ouvrage est le dernier d’une trilogie consacrée aux femmes dans l’Ancien Testament (Des Femmes aux prises avec Dieu. Récits bibliques sur les débuts d’Israël, 2008, et Des Femmes messagères de Dieu. Prophètes et prophétesses dans la Bible hébraïque. Pour une interprétation respectueuse de la dualité sexuelle, 2009), écrite par Irmtraud Fischer, vice-recteur de l’université de Graz en Autriche, et professeur d’Ancien Testament. Une trilogie qui recoupe la tripartition du canon de la Bible hébraïque, sans toutefois s’y enfermer : Loi, Prophètes et Sagesse, comme composantes fondamentales de la Révélation biblique, sont en effet chacun à considérer en prenant en compte l’ensemble du corpus vétérotestamentaire. À travers la présentation des femmes sages de l’Ancien Testament et des figures féminines liées à la Sagesse, c’est donc à une lecture biblique que nous invite Irmtraud Fischer, selon une approche « non discriminante » (genderfair) des genres. L’auteur (« l’auteure », dans l’ouvrage) dans sa préface donne le sens de cette expression : il s’agit d’une approche « respectueuse de la dualité sexuelle », alors que la lecture habituelle de la Bible privilégierait toujours le regard masculin. On se souvient que la Commission biblique pontificale en 1993 avait salué, parmi les nouvelles « approches » (une « approche » est une recherche orientée selon un point de vue particulier, à distinguer d’une « méthode », cette dernière se caractérisant par la mise en œuvre de procédés scientifiques particuliers et visant à une explication des textes), l’approche féministe, qui aide à mieux percevoir la place de la femme dans la Bible, qui porte à corriger certaines interprétations insuffisantes et qui permet d’arriver à une compréhension plus juste de l’image de Dieu (Commission biblique pontificale, L’Interprétation de la Bible dans l’Église, 1993, 1re partie, E, 2). Dans les deux récits de la création, la différence homme/femme apparaît comme une réalité bonne, voulue par Dieu, aussi il n’est pas étonnant qu’elle ait un rôle structurant dans l’histoire du peuple saint.

Irmtraud Fischer nous fait parcourir les textes bibliques dans lesquels s’illustrent ces femmes sages, conseillères ou éducatrices. Contrairement à l’image trop souvent véhiculée, leur action ne se limite pas à la sphère familiale et domestique. Elles ont joué un rôle parfois déterminant notamment au plan politique, pouvant donner à l’histoire un tour inattendu. Si nous n’avons pas à attribuer la sagesse aux seules femmes, celles-ci jouent un rôle avec d’autant plus de liberté qu’elles sont en général loin du pouvoir. Elles n’ont pas non plus pour seule fonction de donner naissance à une famille, elles instruisent les enfants et enseignent la Torah. Il faut souligner que les textes étudiés ne sont pas tirés seulement du corpus sapientiel, mais surtout des livres historiques. S’agissant des textes sapientiels, on relèvera l’étude du poème de la « femme capable », en Pr 31, 10-21, qui montre comment la femme, sans fuir sa responsabilité domestique, peut ne pas s’y enfermer et sait exercer sa sagesse avec autonomie et compétence dans l’univers public. Pourtant, poursuit l’auteur, l’interprétation de ce texte dans le christianisme (à la différence du judaïsme) en a fait un moyen de « légitimer l’oppression des femmes et les persuader qu’elles n’étaient des épouses respectables qu’en s’épuisant du matin au soir pour leur seigneur et maître » (p. 202). Chacun appréciera comme il le voudra la pertinence de cette pointe, qui n’est sûrement pas sans fondement. Mais on devine vite comment la critique légitime d’une interprétation étroite par une interprétation opposée peut vite faire basculer dans des positions contestables.

Ainsi, dans le récit de la rencontre entre Abigayil et David, l’auteur s’intéresse à l’annonce que Dieu bâtira une maison à David : « Yhwh fera à mon seigneur une maison stable. » (1 S 25, 28) « Ce n’est rien d’autre, remarque-t-elle, que la promesse de Natân de 2 S 7,11. » Pourtant, alors que la promesse de Natân est passée à la postérité, celle d’Abigayil est tout simplement ignorée. Et l’auteur explique : « Si les paroles d’Abigayil n’ont pas connu la notoriété de la prophétie de Natân, cela tient sans doute au sexe de la locutrice. » (p. 38) Revenons cependant au texte biblique : même un lecteur non averti verra que la question de la maison à bâtir ne se pose pas de la même manière en 2 S 7, où elle fait l’objet de tout le discours, et en 1 S 25, où elle surgit mais sans être ni le centre ni la pointe. Imputer au sexisme des exégètes la mise au second plan de la déclaration d’Abigayil est un peu rapide. Saint Luc, qui, dans des textes messianiques sur Jésus, cite la prophétie de Natân (Lc 1, 32-33 ; Ac 2, 30), et non celle d’Abigayil, serait donc à l’origine de cette discrimination ?

L’ouvrage se termine par une étude sur la Sagesse personnifiée qui, comme le rappelle utilement l’auteur, tempère la représentation uniquement masculine de Dieu que nous donne le monothéisme post-exilique (cf. p. 209 sq.). Au sujet du langage sur Dieu dans l’Ancien Testament, Jacques Briend demandait « une synthèse plus équilibrée » prenant en compte les images maternelles, là où on ne parle que de sa paternité (Dieu dans l’Écriture, Lectio Divina 150, Cerf, Paris 1992, cf. 71-90). Mais il rappelait aussi le caractère métaphorique de ces images, et surtout la nécessité d’un discernement rigoureux dans l’utilisation des anthropomorphismes, quels qu’ils soient.

Un tel regard critique ne sera pas de trop dans la lecture de cet ouvrage marqué par le féminisme idéologique. Mais reconnaissons-lui le mérite de pouvoir contribuer à ce regard « plus juste » appelé par la Commission biblique pontificale, ainsi que celui d’enrichir notre lecture des textes bibliques.

P. Henri de l’Eprevier, aumônier des Universités Paris VI-VII à Jussieu. Aumônier général du mouvement « Résurrection ».

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