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Guérir les blessures de l’âme ?

Le texte qui va suivre est le développement du plan de travail qui avait servi de fondement à la réflexion durant le dernier pèlerinage de Vézelay. S’il élabore et traite assez en profondeur la problématique, il a surtout pour but de susciter un approfondissement du thème chez le lecteur.

Une question pour aujourd’hui

Les anciens avaient moins conscience que nous de la gravité des blessures de l’âme. Ils savaient le corps vulnérable, mais l’âme bien éduquée devait régner comme le pilote à la barre du navire, c’est seulement quand elle cédait aux pressions des passions venues du corps qu’elle semblait perdre sa souveraineté et connaître le trouble et la division. Bien sûr, la folie existait et posait question, mais elle semblait un châtiment des dieux.

Dans le christianisme ancien, on croyait en général que l’ascèse et le combat spirituel suffisaient à régler leur sort aux maladies de l’âme. Il y avait bien sûr les cas de possessions, qui étaient traités par les exorcismes. Mais, dans le cas général, l’écart entre le vouloir et le pouvoir semblait à beaucoup inexistant.

Nous sommes plus conscients que nos anciens de l’écart qui existe entre nos dispositions conscientes et les forces qui agissent en nous dans les profondeurs. La psychologie moderne, et particulièrement la psychanalyse, nous a mis devant la réalité de l’inconscient. Nous avons appris que nos discours et nos actes sont surdéterminés par des réalités enfouies profondément en nous.

Néanmoins, il ne suffit pas de savoir pour guérir. L’anamnèse qui fait surgir les faits refoulés par l’inconscient, les traumatismes subis dans l’enfance, voire la généalogie parentale, etc., produit rarement la libération qu’on pourrait en attendre.

Une réflexion qui part de la Révélation

La Bible sait nous dire la vraie situation de l’homme : le comportement insensé de Saül (1S 19, 9-10), celui d’Ammon fils de David (2S 13, 15), etc., révèlent les troubles profondeurs du cœur humain. On nous dit que ce cœur est « compliqué et malade » (Jr 17, 9), saint Paul nous explique que nous faisons souvent le mal que nous ne voudrions pas et que nous n’arrivons pas à faire le bien que nous voudrions (cf. Rm 7,18-21) : notre volonté est blessée et notre intelligence elle-même se laisse souvent entraîner à juger de travers.

L’Évangile nous fait assister à des cas où des êtres sont habités par des forces hostiles qui s’emparent de leur volonté et de leur esprit et les mènent là où ils ne voudraient pas aller. L’influence du démon est contrariée par les exorcismes que pratique Jésus et qui nous sont rapportés dans les Évangiles : souvent, il s’adresse directement au démon par-dessus la tête de sa victime.

Mais, par dessus tout, la Bible nous fournit une histoire des relations entre Dieu et l’homme qui éclaire notre destin. C’est à elle que nous allons nous attacher.

A. La blessure qui nous constitue : l’homme, être de désir

Les sagesses qui prétendent insensibiliser ne respectent pas jusqu’au bout la vocation de l’homme

Le bouddhisme, comme le stoïcisme, prétend éradiquer le désir, qui serait la source de tous nos malheurs. En acceptant sereinement son destin, en se soumettant à la loi de la nature, l’homme s’épargnerait beaucoup de peine. Au lieu de se rebeller contre la mort, il l’accepterait comme un « innocent et tranquille départ » vers un monde meilleur.

Le rêve d’une humanité sans blessure est celui de l’homme d’aujourd’hui, qui voudrait se prémunir contre tous les dangers, colmater toutes les brèches par lesquelles pourrait surgir l’inconnu. Il s’agit de se cacher la réalité de la mort et de la déchéance, pour maintenir le rêve d’un être capable de toujours profiter de la vie. La science est censée lui apporter sans cesse le remède adapté à ses maux physiques, psychiques, sentimentaux... et lui fournir à la fin le moyen de disparaître sans souffrance.

Face à cela, le christianisme, en mettant l’homme au pied du Crucifié, a toujours refusé de dédramatiser la condition humaine. C’est lui qui a donné à l’expérience de la mort toute sa gravité, là où les sagesses humaines ont cherché à la faire paraître comme normale et anodine. C’est lui qui, en faisant appel au désir de l’homme, a éveillé en lui une immense ambition de bonheur, de fraternité, d’infini, qui ne peut que se heurter aux faibles résultats obtenus ici-bas.

Jésus nous avait prévenu : sa paix n’est pas comme celle du monde (Jn 14, 27). En un certain sens, il est venu apporter la guerre (ou la division : Lc 14, 51) et non la paix.

La responsabilité d’être homme, c’est accepter la blessure qui nous décentre de nous-mêmes

Le christianisme rencontre ici le meilleur de la psychanalyse lacanienne, qui a mis en valeur le concept de « rupture de la continuité inaugurale » (Spaltung) : l’homme est cet animal ouvert sur un désir qui le fait sortir de lui-même. Le père, en séparant l’enfant du rapport immédiat et fusionnel qu’il avait avec sa mère, l’a amené à avoir une relation possible avec son entourage, qui passe par la médiation du langage. L’expérience que l’homme fait de son humanité commence par une frustration salutaire. Et il en sera toujours ainsi.

En oubliant la blessure, ou en voulant l’anesthésier, l’homme régresse et se limite. Le P. de Lubac peut dire (dans Paradoxes) : « Divisé, déchiré, déséquilibré même : faudrait-il dire heureux l’homme qui ne le serait pas ? […] Le respect de l’homme est fait en grande partie du respect de sa souffrance. »

Retour aux origines : l’homme a été voulu par Dieu capable d’aimer, ouvert, et non autosuffisant.

Plusieurs indices dans le récit de la Genèse :

  • « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. » (2, 16-17) Dieu pose un interdit qu’il ne justifie pas : au milieu d’une vaste permission, il réserve un secteur dont l’homme n’est pas maître. En distinguant le permis et le défendu, il lui apprend que tout n’est pas égal, il éduque son désir pour qu’il ne se porte pas indistinctement sur le premier objet venu, il l’aide à mettre un ordre dans ses affections.
  • « L’homme ne trouva pas l’aide qui lui soit accordée. Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. » (2, 20-22) Dieu lui-même inflige à l’homme une blessure, il pratique une brèche dans son autosuffisance : en retirant une côte, il ouvre la cuirasse. Ainsi naît la première relation vraiment humaine que connaît Adam.

Remarquons que ces épisodes sont donnés antérieurement au péché des origines : la fragilité de l’homme, sa vulnérabilité, n’est pas un mal, elle ne le deviendra que quand il sera coupé de Dieu (c’est toute l’expérience de la « nudité », qui ne commence à poser problème que lorsque l’homme et la femme ne sont plus dans la lumière de Dieu). La blessure est même le signe de sa vocation, qui n’est pas une réalisation confortable à l’intérieur de ce monde, mais une ouverture à plus que lui, une excentration pour aller au devant d’une autre liberté.

L’homme se trouve ainsi constitué comme cet animal très particulier qui ne trouve pas à s’épanouir dans son environnement et qui à cause de cela va partir à la découverte du monde.

Le désir, même s’il est devenu douloureux, est l’ouverture par laquelle Dieu attire l’homme à lui

L’expérience du désir tire l’être humain hors de lui-même pour le mener vers Dieu qui seul correspond à la profondeur de son désir. Mais pour y parvenir, Dieu fait appel à tous les désirs légitimes qui peuvent mettre l’homme en mouvement : désir de rencontrer l’âme sœur, désir de connaître le succès, désir d’avancer dans la connaissance, ces désirs, même mal orientés, souvent tragiques, sont une école pour s’arracher à l’indistinction première, à la contemplation narcissique de soi-même. Paul Claudel, dans le Soulier de Satin, parlant d’un amour pourtant adultère, fait dire à l’ange gardien qui veille sur Doña Prouhèze : « cet orgueilleux [son amant], il n’y avait pas d’autre moyen de lui faire comprendre le prochain, de le lui faire entrer dans la chair // Il n’y avait pas d’autre moyen de lui faire comprendre la dépendance, la nécessité et le besoin, un autre sur lui » (IIIe journée, scène 8).

B. Nos blessures et la manière de les traiter

Les causes de nos blessures

Cette nature essentiellement désirante de l’être humain explique que, lorsque son désir est mal ordonné, l’homme soit atteint profondément dans son corps et dans son âme. La Bible nous donne une vision unifiée de l’homme, fait pour Dieu à la fois dans son cœur et dans sa chair. Lorsque l’amour de Dieu n’est plus à sa place, c’est tout l’homme qui est atteint.

Certes le péché, dans son origine, est une attitude du cœur, éminemment intérieure et personnelle : un refus de confiance, une volonté de se saisir des dons déjà reçus pour les posséder sans référence au Créateur, une fuite devant sa responsabilité. Mais ses conséquences (que la Bible appelle parfois aussi péché, mais plus couramment mort) concernent tout l’être humain : la mortalité héritée d’Adam, la désorganisation du rapport au cosmos et la désintégration de projet de Dieu sur le couple humain.

Le péché des origines ne se transmet pas seulement par imitation mais se propage par une sorte de solidarité invisible, image inversée de la communion des saints, car l’humanité avait été voulue en Adam famille et pas seulement individu. C’est pourquoi l’être qui naît, même s’il n’a pas commis de faute personnelle, est déjà porteur d’un double handicap : il hérite, d’une part, de la mortalité et de la souffrance, et, d’autre part, il fait l’épreuve en lui-même d’une propension au mal, d’une incapacité à rejoindre spontanément la volonté de Dieu. Le baptême, qui nous arrache à ladite néfaste solidarité avec Adam, ne nous retire pas les conséquences à la fois intérieures et extérieures de la séparation : désordre de la volonté (ce qu’on appelle concupiscence) et faiblesse de notre chair.

Dans ce dernier domaine, il faut placer non seulement les maladies physiques, mais aussi les maladies psychiques, les blessures de l’âme, qui sont un mal subi, échappant largement à la responsabilité du sujet, même si le péché personnel n’est pas toujours étranger à certains désordres.

D’autre part, il faut tenir compte de l’action du Démon, qui, ange déchu (et non pas Dieu du mal !), exploite tout ce qui affecte l’homme pour le détourner de Dieu et l’inviter au péché, à la défiance et au découragement. C’est lui qui utilise les pouvoirs qu’il a reçus de Dieu sur la nature pour semer des perturbations anarchiques dans l’œuvre du Créateur qui font parfois douter de sa bonté. Il est derrière les maladies du corps et de l’âme comme derrière les catastrophes naturelles.

L’exemple de Jésus dans l’Évangile nous prouve que certaines maladies de l’âme ont une gravité particulière et requièrent un traitement spécial : l’exorcisme, qui n’est pas tout à fait identique avec les guérisons physiques qu’il provoque par ailleurs.

Les blessures qui nous affligent et qu’il faut soigner

À l’exemple de Jésus, le christianisme n’a jamais pris son parti des maux qui affectent l’humanité. Loin de prêcher un message de résignation, ou de se limiter à l’espérance de l’au-delà, il s’est attaqué à tous les symptômes du mal. Tout en redisant que l’homme doit avant tout se convertir et revenir à Dieu, elle n’a jamais cessé d’encourager les efforts des médecins et des chercheurs. Sur tous les plans, les chrétiens, les prêtres, les religieux et religieuses se sont dépensés sans compter pour soulager le fardeau de l’humanité souffrante, si bien que toutes les institutions ultérieurement mises en place par nos sociétés sont nées du travail de l’Église.

Face aux maladies psychiques, plus difficiles à cerner, la démarche a été un peu plus hésitante. L’Église n’a jamais manqué de pratiquer l’exorcisme sur les cas qui paraissaient de l’ordre de la possession, en réservant néanmoins celui-ci au jugement de l’évêque et de ceux qu’il avait choisis à cause de leur discernement. Mais, à mesure que l’on prenait plus nettement conscience des blessures purement psychologiques, la sainteté chrétienne s’est appliquée à soulager autant que possible ces maux (cf. saint Jean de Dieu [1495-1550], qui avait éprouvé sur lui-même l’inhumanité des traitements parfois infligés aux malades mentaux). Et sans doute y a-t-il encore beaucoup à faire dans ce domaine.

L’essor de la psychiatrie moderne, le développement des thérapies diverses a mis en pleine lumière tout un domaine qu’on ne peut ignorer. Les chrétiens comme les autres sont atteints de troubles qui ne sont ni des péchés ni des cas de possession. Il y a donc lieu de chercher la guérison autant qu’elle est possible, ou au moins le soulagement, car on ne peut rêver que tout soit réversible en ce domaine. L’accompagnement psychologique, les traitements médicamenteux, l’analyse (lorsqu’elle ne s’inspire pas d’une vision réductrice de l’homme), peuvent être légitimement employés, selon les cas et en faisant preuve de discernement.

Récemment sont apparues dans l’Église des pratiques qui tentent de prendre en compte le caractère spécifique des blessures de l’âme et le fait qu’elles touchent de près au chemin spirituel que l’homme doit faire par rapport à Dieu, à son passé, à son prochain. Des confusions se sont sans doute produites, entraînant des mises en garde de l’Église, contre l’abus de pratiques mêlant thérapie et exorcisme, ou cherchant à traiter « l’arbre généalogique » de la personne, comme si nous étions porteurs de plus que de notre histoire personnelle. Ces mises en garde étant entendues, il n’en demeure pas moins que la prière, l’invitation au pardon, l’usage du sacrement de pénitence, une écoute respectueuse, peuvent être d’un grand secours pour tenter de surmonter certains blocages nés du passé et de conflits non résolus.

La blessure que nous nous infligeons à nous-mêmes et qu’il faut combattre

Le péché, maladie du désir

L’homme, créé libre pour pouvoir se donner à Dieu qui est tout son bien, peut pervertir son désir et le tourner vers le néant. L’homme qui choisit un bien qui n’est pas Dieu est séduit par la part de beauté qui s’y trouve et qui est l’œuvre de Dieu mais, en le voulant sans Dieu, il le dépouille en fait de cette part d’absolu qui faisait toute sa valeur. Le fils prodigue de la parabole, en réclamant sa part d’héritage, ne revendique pas plus que ce qu’il n’avait, puisque, dans la maison du père, il avait tout ce que possédait son père – il veut n’avoir que la propriété d’un bien particulier, qui s’évapore à partir du moment où il en est le seul détenteur.

Le péché, malgré l’impression qu’il donne au départ, n’est pas la recherche d’une vie plus libre, plus pleine et plus audacieuse, c’est au contraire une façon de réduire son horizon à la possession d’un certain nombre de satisfactions limitées. On pourrait analyser chacun des « péchés capitaux » comme une restriction du désir vrai et fort de l’Amour, une manière de se refermer sur la possession. Ce qui en fait les frais, c’est la capacité désirante de l’homme : le désir, émoussé par la possession, doit sans cesse chercher à recharger son potentiel de sensations, avant de s’effondrer, blasé et cynique, devant l’inconsistance des choses. Ce qui est à redouter, ce ne sont pas tant les « mauvais désirs », que l’absence de tout vrai désir, l’aboulie, qui laisse l’homme sans force, désireux d’une paix qui n’est plus qu’oubli et mort.

C’était comme si l’on essayait de cicatriser la blessure d’amour infligée par Dieu à l’homme. Tout péché, dans son fond, est cela, même les « petits péchés », qui ne nous paraissent pas graves, mais qui nous enferment en nous-mêmes : petites rancunes, ou petits mépris que nous entretenons soigneusement, convoitises discrètes qui nous font effleurer du regard ou de la pensée l’intimité des corps, évaluations flatteuses sur nos capacités ou au contraire complaisance dans l’affirmation de nos manques, etc.

La guérison du péché

Seul l’amour peut guérir le manque d’amour. L’amour, c’est bien sûr d’abord l’amour prévenant de Dieu, sa miséricorde bouleversante, qui se penche sur nous. Mais Dieu lui-même ne pourrait rien pour guérir le péché, s’il n’avait trouvé le moyen de faire renaître dans le cœur du pécheur le désir, même infirme, même ambigu, de revenir en grâce. Dans le récit de l’enfant prodigue, le vrai miracle est que l’enfant, dans sa misère, ait repris le chemin de la maison paternelle, alors que tout devait l’en détourner. Le père lui-même n’a pas fait le chemin à sa place.

Le Christ est venu sur terre, non seulement pour nous signifier le pardon divin, mais surtout pour faire à notre place le chemin douloureux du pénitent qui revient à la maison. Son offrande sur la croix est l’expression de l’amour de l’homme qui, mesurant l’abîme du péché et le prenant sur ses épaules, s’en remet totalement à Dieu, accepte toutes les conséquences de la faute et innocente Dieu du malheur du monde. Dans l’excès de ce don, Jésus nous communique son Esprit pour nous rendre « pénitents » à notre tour.

La confession salutaire

Le sacrement de « pénitence », qu’on appelle souvent aujourd’hui le sacrement du pardon, pourrait se dire bien plus justement le sacrement de la conversion. Pardonner, Dieu n’a jamais cessé de le faire, par contre, ce qui doit arriver, c’est notre « absolution », le fait que nos liens tombent et que nous retrouvions notre mobilité, pour aller au-devant de notre Père des cieux avec un cœur filial.

Le confessionnal n’est pas seulement le lieu sympathique où nous est révélée la miséricorde de Dieu, elle est aussi le lieu tragique où, dans un véritable corps à corps, notre liberté nouée sur elle-même finit par s’ouvrir, sort de son repliement, de sa tristesse et de son dégoût, et accepte de s’exposer, dans une relation parfois éprouvante, à un autre (le prêtre), signe de l’Autre qui nous accueille. Si le péché est fuite devant la relation, enfermement dans le silence, notre retour en grâce suppose cette ouverture réalisée par la parole : parole de l’aveu qui essaie de dire maladroitement le manque, l’absence d’amour, l’occasion manquée, mais aussi parole du prêtre qui, en reprenant l’aveu et parfois en questionnant, transforme la matière encore informe de la confession en une vraie contrition doublée d’un ferme propos de ne plus recommencer. C’est sur ce travail que tombe l’absolution sacramentelle qui scelle la réconciliation ainsi réalisée.

Le combat spirituel et l’ascèse

C’est dans la lumière de la grâce reçue que peu à peu notre perception de la réalité du péché se précise et s’affine, car notre premier regard confond facilement le regret d’un comportement qui nous peine ou nous humilie, ou que nous savons contraire à l’idéal du groupe auquel nous appartenons, et l’authentique contrition, ce broiement intime du cœur devant l’amour de Dieu que nous avons bafoué.

Nous devenons mieux capables de lutter, car nous voyons plus vite le point où la tendance, l’habitude, l’entraînement dû aux autres, sollicitent une ratification intérieure de notre part. Là où la tentation apparaît souvent après coup comme une occasion manquée de répondre à l’amour, nous devenons capables d’apercevoir la queue du diable : « J’ai vu, j’ai repéré mes espions, j’entends ceux qui viennent m’attaquer. » (Ps 91 [92], 12)

La tyrannie du péché vient de notre crainte de souffrir : en renonçant à telle facilité, en rompant telle mauvaise habitude, nous redoutons un manque. Si nous nous engageons délibérément sur le chemin du don, en prenant même une longueur d’avance par la privation librement acceptée, nous coupons court à cet engrenage et nous retrouvons une part de notre liberté.

L’homme retrouvant son unité

La guérison du péché est une œuvre de longue haleine, elle dure toute une vie. Mais en même temps elle porte tout de suite du fruit. Elle rend à l’homme une part de sa liberté intérieure, malgré le poids des contraintes extérieures, elle restaure le dynamisme de son désir spirituel, elle lui permet de supporter les faiblesses et les manques en les vivant comme des participations à la croix du Christ, elle lui donne la conscience qu’il n’est jamais abandonné, que tout peut servir à le rapprocher de l’amour. Elle l’ouvre sur la misère des autres, elle lui donne l’occasion de faire des pas vers eux, de les porter visiblement et invisiblement dans leurs propres combats.

Conclusion

Il est important de montrer à nos amis que, en ce temps où tant d’hommes souffrent de blessures affectives ou psychologiques, le christianisme n’évacue pas leur souffrance et n’en reste pas à une vision culpabilisante qui verrait dans les désordres du psychisme les conséquences de mauvais choix de vie. Il fait confiance à tous ceux qui œuvrent en ce domaine et peuvent apporter d’authentiques soulagements.

Mais il se doit d’éclairer par en haut la condition de l’homme souffrant et de refuser de s’engager dans la recherche de solutions qui méconnaîtraient la vraie grandeur de l’homme. L’homme même blessé reste avant tout un enfant de Dieu aimé et promis à l’éternité. Au fond de son cœur existe toujours un désir infini que Dieu seul peut combler. Ce désir peut avoir été abîmé, refoulé, travesti, il peut avoir subi la violence des autres, être prisonnier de ses peurs et de ses échecs, il est là. Le Christ médecin, avec d’infinies précautions, est à même de restaurer cet élan brisé, de rouvrir les sources vives et de permettre à ce pauvre d’entrer, vêtu comme un roi, dans le palais de son Père.

Réalisation : spyrit.net