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L’Indulgence plénière du jubilé

Indulgences et œcuménisme
P. Bertrand de Margerie

L’Église nous a invités à recevoir l’Indulgence plénière qu’elle désirait nous accorder au cours du grand Jubilé de l’an 2000.

Beaucoup ont des idées vagues et confuses sur la nature, les sources, les effets des Indulgences. Souvent, même dans des milieux catholiques, le mot évoque des souvenirs historiques peu favorables, pour ne pas dire des sentiments d’antipathie.

A l’époque du concile Vatican II, la nécessité d’une réforme du système des indulgences, notamment dans son apparence quantifiée, était admise par de nombreux esprits. Les conférences épiscopales, consultées, présentèrent leurs vues. Les indulgences furent discutées dans l’aula conciliaire mais le concile n’élabora aucun texte sur le sujet -et le Pape s’inquiéta de certaines orientations.

Paul VI décida de faire préparer une constitution apostolique, effectivement promulguée le 1er Janvier 1967 : Indulgentiarum doctrina (ID), surtout doctrinale mais aussi disciplinaire. Le cardinal Journet joua un grand rôle dans son élaboration. Nous voudrions ici exposer les grandes lignes de cet important document, dont le catéchisme de l’Église catholique s’est largement inspiré.

La constitution observe que la plupart des fidèles ont besoin de temps pour se préparer à “gagner”, c’est-à-dire à recevoir, désirer et accepter le don gratuit de l’Indulgence plénière, à mieux saisir ce qu’elle est et quel rôle elle peut jouer dans leur destinée de baptisés.

Doctrine et pratique des Indulgences trouvent leur fondement solide dans la Révélation des vérités “toujours crues par l’Église universelle” (ID I, 1).

On a toujours cru que le Dieu juste et saint inflige des peines consécutives au péché : ici-bas souffrances, misères, épreuves et mort ; dans l’au-delà tourments et peines purificatrices - d’où les prières pour les fidèles défunts. Elles manifestent la transcendance du Très-Autre.

Dieu rend à chacun selon ses oeuvres. Augustin d’Hippone disait déjà (Enchiridion 66, 17) :

Bien des fautes ici-bas paraissent pardonnées parce qu’elles ne sont pas punies. Mais le châtiment les atteindra dans la vie future... Quelques péchés reçoivent déjà leur punition sur terre. Au sujet de ces peines temporelles, l’Apôtre dit : « Lorsque le Seigneur nous juge, c’est par miséricorde qu’il nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde » (1 Co 11, 31-32).

Quand on étudie la structure de La doctrine des Indulgences, on perçoit que des vérités, constamment enseignées par les successeurs des Apôtres -et en premier lieu par les successeurs de Pierre- et toujours crues par l’Église universelle, fondent sa doctrine actuelle sur les Indulgences ainsi que sur leur pratique. La première étant ce dont les fidèles ont toujours été persuadés : le péché conduit dès ici-bas à beaucoup d’amertume ; c’est ce qu’on appellera en théologie classique : “Peine temporelle encore due au péché pourtant déjà pardonné”.

Mais ces peines amères résultent non seulement de la justice de Dieu, mais encore de sa miséricorde car :

a) le pécheur et tous les pécheurs bouleversent l’ordre établi par un Dieu sage et aimant, infiniment aimant ;

b) le péché détruit des biens immenses chez le et les pécheurs [1] ;

c) et les détruit même dans toute la communauté humaine de tous les temps.

Aussi -troisième affirmation du document de Paul VI sur les convictions des chrétiens de tous les temps, explicitement mentionnés- le péché n’est-il pas vu seulement comme une violation de la loi divine, mais encore comme un mépris de l’amitié entre Créateur et même comme un rejet ingrat de l’amour du Christ qui s’est sacrifié pour nous. Donc son pardon signifie la miséricorde divine.

La théologie des Indulgences s’enracine ainsi pour Paul VI dans une théologie du péché et de la gravité de ses conséquences personnelles, sociales, universelles et cosmiques -clairement affirmées dans le livre de la Sagesse (11, 23-27 ; 16, 24 : la création punit les impies)-, reconnues par les chrétiens de tous les temps. Notons-le avec soin : La doctrine des Indulgences ne dit pas “les catholiques de tous les temps” ; elle prépare ainsi les baptisés non-catholiques d’aujourd’hui et de demain à l’accueil d’une doctrine dont eux aussi admettent et professent les sources, les bases et les fondements. Car les protestants et les orthodoxes de tous les temps ont admis, avec la Bible, que le péché a toujours produit le malheur, bouleversé l’ordre universel, détruit en ses auteurs des biens immenses, et même dans toute la communauté des hommes. De multiples textes des Écritures les y invitaient et les y invitent : David pardonné verra son fils adultérin mourir (II Sg 12, 13-14).

Augustin avait réfléchi sur ce thème des peines temporelles encore dues aux péchés déjà pardonnés : “Le châtiment s’est prolongé au-delà du péché. Car s’il s’était terminé avec la faute, il nous aurait empêché d’en comprendre la gravité. C’est comme preuve du châtiment qui nous est dû, comme moyen de réformer cette vie fragile ou pour exercer la patience qui nous est nécessaire que l’homme est soumis à une peine temporelle, alors même que le péché ne le rend plus passible d’une peine éternelle “puisqu’il a été remis”.

Les difficultés que plusieurs chrétiens de notre temps éprouvent pour admettre que la sagesse miséricordieuse de Dieu veut les purifier par la souffrance acceptée volontairement, coïncident largement avec ce qu’on appelle “le problème du mal” et même avec le mystère de la croix de Jésus innocent qui a sauvé le monde en montant et mourant sur elle. Péché, purgatoire, croix : tout se tient. La réparation complète des péchés suppose rétablie l’amitié avec Dieu et l’amour souffrant purifié (ID, § 3).

La doctrine du purgatoire, ressortant des prières liturgiques pour les défunts, confirme cette vision du monde et de sa relation avec Dieu. Tous les hommes commettent des fautes, ne serait-ce que des péchés véniels, suivant l’expression déjà utilisée par Augustin. Ils ont tous besoin de la miséricorde divine pour être libérés de leurs conséquences. L’univers des indulgences de l’Église est celui du péché, de la justice mais aussi de la miséricorde d’un Dieu crucifié.

Mais il est aussi celui des deux Adam : celui de l’Évangile de Paul, celui de la Communion des Saints. La seconde partie de Indulgentiarium Doctrina est consacrée au lien de solidarité dans le péché du premier Adam et dans la grâce du second Adam ; le péché du premier nuit aux autres, la grâce du second leur profite. Le péché originel “originant” se propage à ses descendants ; le mérite et les satisfactions du Christ peuvent atteindre tous les hommes. Suivant un texte célèbre d’Augustin, “tout homme est Adam, tout homme est le Christ”. Plus est fervente la charité des baptisés, plus ils suivent le Christ souffrant -principe, fondement et modèle de leur lien surnaturel- en portant leur croix pour expier leurs propres péchés et ceux des autres, plus ils aident leurs frères à parvenir au salut. Paul VI peut ajouter : “En vertu de ce dogme très ancien de la communion des saints, la vie de chacun des chrétiens est liée, dans le Christ et par le Christ, à la vie de tous les autres dans l’unité surnaturelle du Corps mystique”.

Le dogme de l’unité de l’Église, intercommunion des saints, est et se manifeste comme celui de la mutuelle corédemption des uns par les autres. C’est le troisième article du Credo : croire au Saint-Esprit, c’est croire que cet Esprit de Vérité et d’Amour lie les chrétiens entre eux en les liant avec le Christ. L’Esprit du Père, du Fils et de tous les saints joint ainsi les satisfactions et mérites du Christ, de Marie et des Saints : cet ensemble devient le trésor de l’Église. L’unique Église du ciel, de la terre et du purgatoire devient ainsi une société d’amour qui est l’immatériel trésor donné par l’Esprit à chacun de ses membres. Les mérites des saints acquis sur terre grâce à l’unique médiation méritoire du Christ, ne sont autres que le libre exercice dans le Christ de leurs libertés créées sans cesse, et rachetées par le Christ -divinement et humainement libre.

À Paul VI, le mystère de l’Église comme communion des saints, d’une Église céleste enracinée dans les mérites acquis sur terre et passionnément soucieuse du bonheur de ceux qui souffrent encore dans ce qu’on pourrait appeler l’Église “intermédiaire” du Purgatoire, semble bien être la clef ouvrant à l’intelligence des Indulgences le chrétien moderne. Les saints du ciel ont complété dans leur chair, pendant leur pèlerinage terrestre, ce qui manquait aux souffrances du Christ pour son Corps qui est l’Église -suivant les mots inépuisables de Paul aux Colossiens (1, 24).

Paul est précisément le théologien d’une nouveauté : en révélant la justice de Dieu en faveur des croyants, le Christ nous manifeste aussi combien en beaucoup de croyants subsiste et se prolonge une injustice d’incroyant envers la justice de Dieu, une injustice qui provoque sa colère persistant au milieu de ses pardons ; si bien que beaucoup peuvent dire : “Seigneur, je crois à tes pardons mais viens au secours de mes incrédulités.”

Pour Paul, par sa venue, le Sauveur a distingué deux ères dans l’histoire du salut, deux dimensions dans l’activité divine : justice et colère [2]. On pourrait dire : le Purgatoire est une manifestation de cette colère tellement présente dans l’Épître aux Romains, au sein d’une miséricorde encore plus présente chez Paul dans le même texte. Car les élus du Purgatoire sont examinés devant le “tribunal du Christ” et chacun reçoit le salaire de ce qu’il aura fait pendant qu’il était dans son corps, et en bien -le salut éternel- et en mal -la souffrance nécessaire à l’expiation complète de ses fautes pourtant déjà pardonnées (II Co 5, 10).

Tandis que Jean le Baptiste bloquait venue en terre du Messie et eschatologie, Paul nous permet de voir dans le temps “intermédiaire” inauguré par le Christ ici-bas, un temps fait de la colère mais aussi de la miséricorde divines, un signe terrestre du Purgatoire. Pendant ce temps “intermédiaire”, par rapport au signe des âmes purifiés dans le Purgatoire, l’Eucharistie demeure communion des saints ; les saints de la terre aident par elle les saints du Purgatoire à devenir complètement les saints du ciel ; (I Co 3, 8-15, lu à la lumière de I Co 15, 29).

L’Église des Pères priait pour la conversion et pour le salut de ses membres pécheurs. Les apôtres y avaient exhorté et les pénitents faisaient appel à l’intercession de toute la communauté. Pour Ambroise de Milan au IVè siècle, le pénitent individuel était lavé par les larmes de tout le peuple chrétien, racheté du péché par ses prières et, en tout cela on estimait que ce n’était pas chacun des fidèles qui travaillait par ses propres forces -coupées de la grâce divine- pour la rémission des péchés de ses frères, mais l’Église entière qui satisfaisait en chacun de ses membres pour tous les autres. Pour Tertullien (Pénitence 10, 5-6) : “Le corps est malade par la blessure d’un seul de ses membres. Il lui faut en souffrir tout entier ; tout le corps doit travailler à le guérir. L’Église entière souffre en lui, l’Église entière travaille à le guérir. Et l’Église c’est le Christ ; quand tu te mets aux genoux de tes frères, tu touches et pries le Christ ; quand ils pleurent sur toi, c’est le Christ qui souffre et implore son Père pour toi ; ses demandes sont toujours exaucées.” Ces textes patristiques comme déjà ceux de Paul présupposent une conscience christocentrique de l’identité chrétienne.

Mais cette conscience d’une mystérieuse identification entre le chrétien baptisé, le Christ et la communauté locale supposait aussi chez l’Église des Pères et chez tous ses membres un lien très fort : l’évêque, constitué tel par l’Esprit-Saint pour gouverner l’Église acquise par le Sang du Christ (Ac 20, 28) ; l’œuvre du salut était vue comme accomplie par les fidèles sous l’autorité de leurs pasteurs en dépendance du Christ. Les évêques décidaient de la nature de la pénitence à accomplir : ils pouvaient remplacer la pénitence canonique par des œuvres de piété, même accomplies par d’autres ou, utiles au bien commun ; ce qui préfigurait déjà les pèlerinages en Terre Sainte -indulgenciées- ou les indulgences accordées à la construction d’hôpitaux à l’époque médiévale.

En d’autres termes, le processus de réconciliation des baptisés tombés dans le péché n’était indépendant ni des évêques, ni de l’intercession des autres chrétiens : c’était non seulement en théorie mais encore en pratique que l’intercession des autres chrétiens était valorisées ; le baptisé individuel était conscient du soutien qu’il recevait de son évêque, de ses co-diocésains (qu’on appelle aujourd’hui “petits-groupes-soutiens de la foi”) et, à travers eux, du Christ. Particulièrement, les confesseurs qui avaient survécu aux tortures offraient, par lettres, leurs méritoires souffrances aux évêques pour le salut des apostats. Elles étaient plus d’une fois acceptées, et ainsi l’Église prenait toujours plus conscience de sa participation corédemptrice au mystère du Christ seul Rédempteur.

Le premier millénaire de l’ère chrétienne a donc vu croître dans l’Église, sous le souffle de l’Esprit, la conviction que ses Pasteurs pouvaient libérer des conséquences pénibles du péché par l’application des mérites des Saints enracinés dans ceux du Christ ; cette conviction aboutit -par une évolution doctrinale homogène, sans révolution- à la pratique des Indulgences plénières pendant le second millénaire, sous l’orientation des Papes. C’est ainsi que nous pouvons comprendre et présenter ce progrès dans la doctrine et la discipline de l’Église, puisant dans la Révélation, en faveur des fidèles, un nouveau bien.

L’explication de Paul VI rejoint celle des historiens catholiques en général mais ne semble pas appliquer, au cas particulier des Indulgences, la pensée du Cardinal Newman sur les sept notes d’un développement authentique dans son Essai sur le Développement, -travail intéressant, qui dépasserait cependant les limites de notre réflexion actuelle. Mais le principe explicatif fondamental est le même : passage de l’implicite à l’explicite. Sous la double et forte influence, et des Papes, et des fidèles.

D’une part, les Papes médiévaux (Boniface VIII, Clément VI) suivis à l’époque de la Renaissance par Léon X -réagissant contre Luther, ont vu dans l’Indulgence plénière un cas particulier et suprême d’application de cette “plénitude du pouvoir apostolique” [3] conférée par le Christ à Pierre et ses successeurs (“Je te donne les clefs du Royaume des cieux... Tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans les cieux, tout ce que tu délieras sur terre, sera délié dans les cieux” Mt 16). Plénitude de pouvoir affirmée par les Conciles Vatican I et II (DS 3064 ; LG 23), comme un aspect essentiel de la primauté de juridiction du Pontife Romain dans et sur l’Église. A l’image de Dieu lui-même, le Pape n’est jamais aussi puissant dans l’Église que lorsqu’il pardonne. Si Dieu pardonne la peine éternelle due au péché par le sacrement de Pénitence, le Pape pardonne, par le pouvoir reçu du Christ, la peine temporelle encore due par l’Indulgence.

D’autre part, les Papes médiévaux trouvaient dans les sentiments de compassion des fidèles à l’égard des âmes souffrant en purgatoire une occasion favorisant fréquemment leur volonté d’exercer leur miséricorde, d’une manière très avantageuse pour le sens ecclésial et chrétien : la Papauté montrait son aptitude à relier la terre au ciel en favorisant une prompte entrée dans le Royaume éternel des baptisés contrits et confessés.

D’où la facilité croissante avec laquelle les Papes des temps modernes (Benoît XIV, Paul VI) ont accordé aux fidèles l’indulgence plénière de l’article de la mort : ils se sont montrés ainsi avant tout soucieux de hâter l’heure de l’entrée des baptisés dans la vision béatifiante du Père et de les aider à satisfaire envers la miséricordieuse Justice divine.

L’indulgence est présentée par Paul VI à la fois comme une prière de l’Église et comme une concession, une distribution des mérites des saints, un acte d’autorité par lequel elle met à la disposition de ses membres le trésor que le Christ lui a confié en la personne de Pierre. Car les Saints, comme l’avait profondément compris saint Thomas d’Aquin, ont voulu ici-bas agir en tout pour le bien de l’Église et donc remettre entre ses mains la valeur de réparation et de satisfaction de leurs actes méritoires (Supp. de la Somme, 25.1). Les indulgences manifestent donc une vision très optimiste de la Rédemption dans une ligne paulinienne : “Là où a abondé le péché, là a aussi surabondé la grâce” ; les mérites du Christ et des Saints l’emportent tellement sur les démérites des hommes pécheurs que l’Église peut les utiliser aujourd’hui pour payer les dettes de ceux-ci !

Mais l’Église visible n’est pas seulement celle qui chemine ici-bas vers le ciel en aidant les âmes immortelles à se purifier dans l’au-delà ; elle est soucieuse aussi d’accroître les bonnes œuvres et les mérites de ses membres terrestres en conditionnant la distribution des indulgences par l’accomplissement d’actions utiles au bien commun de tous ses membres. Aussi Paul VI joignait à sa constitution doctrinale une importante concession d’indulgences partielles aux fidèles qui, avec un cœur compatissant, s’emploient au service de leurs frères dans le besoin. Ce qui nous rappelle les indulgences médiévales accordées aux constructeurs de ponts, d’églises ou d’hôpitaux. Historiquement, les Indulgences ont été des facteurs de progrès social et économique : les historiens du Moyen-Age le savent et le disent.

Paul VI souligne à la fin de sa constitution apostolique sur les Indulgences que celles-ci sont des dons gratuits conditionnellement accordés à ceux qui détestent leurs péchés et croient à l’utilité pour eux de la communion des saints. Elles veulent faciliter l’exercice de la charité envers Dieu, soi-même et l’autrui souffrant en Purgatoire. “Par les indulgences, dit-il, les membres de l’Église souffrante sont plus rapidement admis dans l’Église céleste, par elles le royaume du Christ s’étend de plus en plus.”

Certes, la foi au Purgatoire peut provoquer une crainte d’esclave devant les punitions divines possibles ; mais la vertu de charité tend à la transformer en crainte filiale d’être séparée de Dieu ; « Bien immense et très élevé », (immensum et altissimum bonum) dont il est suprêmement mauvais d’être séparé, dit l’Aquinate.

Ces réflexions de saint Thomas nous aident à comprendre l’évolution ordinaire que pourra connaître le chrétien ici-bas face au Purgatoire et aux Indulgences : son approfondissement de la foi le rendra moins sensible aux peines venant de la création méritées par ses péchés, et plus sensible à la “peine du dam” [4], à la séparation mystérieuse et temporaire d’avec Dieu -pourtant présent en lui par la grâce- qu’il éprouvera jusqu’à l’entrée dans la vision béatifique. L’indulgence plénière n’est effectivement accordée qu’à l’âme parfaitement détachée de la crainte désordonnée des châtiments. La foi cause simultanément crainte du Purgatoire et espérance du Paradis immédiat par l’indulgence plénière, pleinement reçue avec la contrition parfaite.

Paul VI, en somme, a voulu dans son document réaffirmer “la primauté de la charité” [5] dans la vie chrétienne, manifestée à travers les indulgences -car elles ne peuvent être acquises sans conversion sincère. C’est dans cet ordre de la charité que s’insère la rémission des peines par la dispensation du trésor de l’Église (IV, 11).

Le culte des indulgences, dit-il encore, donne “confiance et espoir d’une réconciliation avec Dieu le Père” (IV, 10). Il a donc son rôle dans la parfaite justification par les œuvres, non de la loi mais de la foi comme le souligne le P. B. Sesboué pour qui, l’exposition qu’en a laissée le serviteur de Dieu Paul VI, les rend acceptables par les protestants moyennant un accord préalable sur l’ecclésiologie et les sacrements.

Dans la foi au pouvoir qu’a l’Église de conférer des Indulgences, nous croyons au Père des miséricordes qui punit, lie et pardonne, au Fils qui expie, délie et réconcilie, à l’Esprit Saint qui est non seulement la rémission des péchés mais aussi des peines temporelles qui leur sont encore dues après leur pardon, à l’Esprit indulgent qui indulgencie par l’Église.

Les accords œcuméniques sur la justification et sur l’Eucharistie ne seront complets que lorsqu’ils incluront la volonté d’une prière commune pour les morts -déjà pratiquée par les luthériens [6]- et d’une commune volonté d’accueillir en leur faveur le sacramental [7] des Indulgences.

P. Bertrand de Margerie, P. Bertrand de Margerie, s.j., né en 1923, prêtre en 1956, théologien. Ouvrages récents : Ambassadeurs du Christ, autobiographie (1996) ; Les Pères commentateurs du Credo (1998) ; Le mystère des indulgences (1999).

[1] cf. E. Beaucamp, art. Péché, SDB VII, 1966, col. 611, 434 : à propos de la thèse de Koch, l’auteur écrit : “l’A.T. voit dans le mal un germe de désordre pour la société et la création elle-même (Ps 75, 4 ; 82, 5), un remous mortel propageant tout autour de lui des ondes maléfiques...” Pour Koch, tout acte mauvais porte en lui-même ses conséquences, sans qu’aucune puissance extérieure ait à intervenir pour le punir.

[2] Xavier Léon-Dufour, Vocabulaire de Théologie Biblique, art. Colère, Paris 1971, col. L86.

[3] Sur la plénitude du pouvoir pontifical, voir mon livre Le Christ pour le monde, ch. 13, Paris, 1971.

[4] cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de Théologie, II.II.7.1.

[5] voir B. de Margerie, Le Mystère des Indulgences, Paris, 1999, ch. 6 : Adrien VI et Bossuet.

[6] Ibid., ch. 11 : « Divergences sur et Convergences œcuméniques vers les Indulgences », texte correspondant aux notes 30 à 33.

[7] Ibid. ch. 10, l’indulgence-sacramental.

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