Rechercher

L’écologie catholique : un opportunisme de l’Église ?

Patrice de Plunkett

L’écologiste catholique est une espèce en voie d’apparition. C’est ce que voulait dire Josef Ratzinger – six mois avant le conclave de 2005 – en écrivant une lettre chaleureuse à la revue L’Écologiste : le futur pape appelait à « un dialogue entre la théologie catholique et les diverses pensées écologiques, qui éveillera au sein de l’Église une décisive prise de conscience de la responsabilité envers la Terre, devant le Créateur. » Chez le Cardinal, chaque mot compte. Dialoguer avec les « diverses » pensées écologiques, veut dire : dialoguer avec toutes les pensées écologiques – y compris les moins chrétiennes. « Éveiller » une prise de conscience au sein de l’Église, veut dire que (dans ce domaine) la plupart des catholiques dorment encore. « Responsabilité envers la Terre », veut dire que ménager « la Terre » n’est pas du néopaganisme – comme le croient les intégristes.

Les « papes verts » : Jean-Paul II, Benoît XVI

Le pape Ratzinger n’aura pas peur des mots. Le 1er janvier 2007, dans son message pour la Journée de la paix, il accuse « une conception inhumaine du développement » et plaide pour une autre civilisation : « Cela implique pour l’humanité, si la paix lui tient à cœur, d’avoir toujours plus présents à l’esprit les liens qui existent entre l’écologie naturelle et l’écologie humaine... L’expérience montre que toute attitude irrespectueuse envers l’environnement porte préjudice à la convivialité humaine, et inversement... La poésie-prière de saint François, connue aussi comme le cantique de Frère Soleil, constitue un exemple admirable – toujours actuel – de cette écologie multiforme de la paix ! »

Le 2 septembre 2007 à Lorette, devant cinq cent mille étudiants et lycéens, Benoît XVI proclame : « L’avenir de la planète est confié aux jeunes générations. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut faire des choix courageux, qui sachent recréer une solide alliance entre l’homme et la Terre. Un oui ferme est nécessaire pour la protection de la Création, ainsi qu’un engagement puissant pour inverser les tendances qui risquent de conduire à des situations de dégradation irréversible... » Là encore, il emploie des notions jugées démoniaques par les intégristes : notamment le risque de « dégradation irréversible », perspective que la droite taxe de « catastrophisme » – comme si envisager une catastrophe était un péché capital. Le principe de précaution est pourtant lié à l’éthique de responsabilité... Les Français de droite n’ont pas été élevés dans ces idées-là, mais Josef Ratzinger les professe depuis longtemps. En 1997, dans son entretien avec le journaliste allemand Peter Seewald, le cardinal disait : « L’écologie est née de la conscience que nous ne pouvons pas procéder avec la Terre comme nous le faisons [...] On peut pratiquer l’écologie chrétienne à partir de la foi en la Création, qui pose les limites de l’arbitraire humain et indique les dimensions de la liberté. »

Avant Josef Ratzinger, il y avait déjà eu un pape vert : Karol Wojtyla. Un an après son élection, il dotait l’écologie d’un saint patron : François d’Assise. En 1982, pour le huitième centenaire de la naissance de saint François, il plaidait pour « ce sens de la fraternité universelle » étendu par le Poverello « à toute créature même inanimée » : « l’exemple de François démontre encore ceci avec force : les créatures et les éléments ne seront protégés de toute violation injuste et nuisible que dans la mesure où, à la lumière de l’enseignement biblique sur la Création et la Rédemption, on les considèrera comme des êtres à l’égard desquels l’homme est lié par des devoirs... »

En 1987, l’encyclique de Jean-Paul II Sollicitudo rei socialis (paragraphe 34, « Respecter le cosmos ») reprenait tous les thèmes de l’écologie politique : la biosphère est un ensemble, les ressources naturelles sont limitées, un certain type de développement menace la qualité de la vie ; la domination accordée par le Créateur n’est pas un pouvoir absolu, l’homme n’a pas « la liberté d’user et d’abuser, ou de disposer des choses » comme il l’entend.

En 1991, l’encyclique Centesimus Annus (paragraphe 37) décrivait sévèrement les effets humains et écologiques du productivisme industriel, et demandait que les ressources vitales et fragiles ne soient pas laissées à la merci du marché.

Le 1er janvier 1990, pour la Journée mondiale de la paix, Jean-Paul II hausse le ton. Son discours (La paix avec toute la Création) sonne le tocsin écologique : « Face à la dégradation générale de l’environnement, l’humanité se rend compte désormais que l’on ne peut continuer à utiliser les biens de la Terre comme par le passé... On assiste ainsi à la formation d’une conscience écologique qu’il ne faut pas freiner mais favoriser ! » Le pape énumère tous les aspects de la crise de l’environnement : les déchets industriels, les gaz à effet de serre, la déforestation, les désherbants chimiques – avec leurs conséquences : les menaces climatiques et sanitaires. Il est même question des OGM (paragraphe 7) : « On n’est pas encore en mesure d’évaluer les troubles provoqués dans la nature par des manipulations génétiques menées sans discernement et par le développement inconsidéré d’espèces nouvelles de plantes et de nouvelles formes de vie animale... » C’est un discours d’écologie politique, qui accuse nettement l’économie capitaliste : « Les intérêts économiques l’emportent sur le bien des personnes, sinon même sur celui de populations entières. La pollution ou la destruction de l’environnement sont le résultat d’une vision réductrice et antinaturelle qui dénote parfois un véritable mépris de l’homme... Il n’est pas juste qu’un petit nombre de privilégiés continuent à accumuler des biens superflus en dilapidant les ressources disponibles, alors que des multitudes des personnes vivent dans des conditions de misère... C’est maintenant l’ampleur dramatique du désordre écologique qui nous enseigne à quel point la cupidité et l’égoïsme, individuels et collectifs, sont contraires à l’ordre de la création, dans lequel est inscrite également l’interdépendance mutuelle. »

Jean-Paul II critique avec force la mentalité hédoniste-consumériste, « indifférente aux dommages ». Il exhorte les peuples riches à « l’austérité, la tempérance et l’esprit de sacrifice » dans « la vie de chaque jour »... En effet, dit-il, « la société actuelle ne trouvera pas de solution au problème écologique, si elle ne révise pas sérieusement son style de vie, afin que tous ne soient pas contraints de subir les conséquences négatives de l’incurie d’un petit nombre. » Le pape appelle à « une conversion authentique dans la façon de penser et le comportement ». Il demande une « éducation à la responsabilité écologique ». Il souligne que les populations des pays riches ont à donner l’exemple : pas d’échappatoire devant « la nécessité absolue de la solidarité nouvelle appelée par la crise écologique » ! Et il conclut : « La problème écologique a pris aujourd’hui de telles dimensions qu’il engage la responsabilité de tous ».

Jean-Paul II parlait ainsi il y a près de vingt ans. Taxer d’opportunisme les positions écologiques de l’Église catholique, aujourd’hui, serait négliger deux décennies de travail intellectuel et moral.

Raisons matérielles d’une révolution spirituelle

Comme toute la doctrine sociale de l’Église, les appels écologiques du Magistère ne se situent pas sur le terrain du dogme, mais sur celui du bien commun de l’humanité. Le problème de la responsabilité envers la biosphère est désormais crucial pour tous les terriens. En ce début de XXIe siècle, le système économique mondial ne peut plus se présenter comme un « chantier pour améliorer le bien-être de l’humanité », selon le schéma optimiste des années 1990-2000. Ce schéma reposait sur trois axiomes :

1. la « croissance » économique sans limites ; 2. la puissance sans limites de la « technologie » ; 3. les promesses sans limites du « global ». Les « atteintes à l’environnement » étaient regardées avec condescendance, comme vouées à être effacées par encore plus de croissance, encore plus de technologie, encore plus de globalisation. C’était l’euphorie. Mais l’euphorie est derrière nous ! Des séismes de plus en plus violents font craquer le système global. Ainsi dans le domaine agronomique : en 2007-2008, on a vu les émeutes de la faim, dues au marché des matières premières alimentaires et à l’assujettissement de l’agriculture du Sud aux besoins des pays riches du Nord. On a vu la polémique des agrocarburants, accusés de réduire dangereusement l’espace des cultures vivrières des pays pauvres. Et la polémique des OGM, accusés d’être une imposture agronomique et de pousser ainsi au suicide des milliers de petits paysans... Puis est venue la crise des crises, au centre nerveux du système économique global : l’effondrement de la finance américaine (phare et modèle du capitalisme planétaire), déclenchant une réaction en chaîne d’une ampleur sans précédent. On comprit alors que la planète était livrée, non à un « chantier » produisant du « bien-être » pour l’humanité, mais à une finance-casino irresponsable : un « capitalisme qui perd la raison », selon la formule de Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie – et membre de l’Académie pontificale des sciences sociales.

D’ailleurs, qu’appelle-t-on « bien-être » ? Si c’est la consommation de masse toujours croissante, impulsée par une hypnose publicitaire (une « ingénierie des désirs ») visant à créer des besoins superflus pour faire tourner toujours plus fort la machine du productivisme industriel, alors ce modèle – cause de la crise écologique – ne va plus fonctionner longtemps.

Cela pour une raison matérielle simple : le pic de pétrole. Dans la perspective de l’épuisement des réserves géologiques, l’extraction des hydrocarbures va se mettre à décliner. Le pétrole va devenir de plus en plus cher (même si la crise économique actuelle masque provisoirement cette certitude). Aucune énergie de substitution ne pourra remplacer le pétrole dans ses fonctions actuelles. Ce sera la fin de l’énergie bon marché : donc la fin du type de société auquel nous sommes habitués... Quel que soit l’état dans lequel nous laissera la crise actuelle, la fameuse « croissance indéfinie » est condamnée par la raréfaction des ressources naturelles : d’un côté la baisse de production pétrolière, de l’autre côté la pollution des terres, des mers et de l’atmosphère — pollution largement due à notre mode de vie actuel.

Nous allons devoir inventer un type de société totalement inédit dans le monde capitaliste occidental. Car la fin de l’énergie bon marché, c’est la fin de la croissance économique indéfinie, la fin du productivisme industriel, la fin de l’Union européenne libre-échangiste, la fin de l’aviation commerciale de masse, la fin de la grande distribution ! Au total : la fin de la façon de vivre actuelle dans les pays riches.

Ce sera justice envers les pays pauvres. Le 12 novembre 2006, place Saint-Pierre, le pape Benoît XVI déclare :

Jésus a enseigné à ses disciples à prier en demandant au Père céleste non pas « mon » pain, mais « notre » pain quotidien. Il a voulu ainsi que chaque homme se sente co-responsable de ses frères, afin que ne manque à personne le nécessaire pour vivre. Les produits de la terre sont un don destiné par Dieu à toute la famille humaine... Il faut certainement éliminer les causes structurelles liées au système de gouvernement de l’économie mondiale, qui destine la majorité des ressources de la planète à une minorité de la population ! Cette injustice a été dénoncée en diverses occasions par mes vénérés prédécesseurs... Pour avoir un effet à grande échelle, il est nécessaire de convertir le modèle de développement mondial : c’est ce qu’exigent désormais non seulement le scandale de la faim, mais également les urgences liées à l’environnement et à l’énergie. Toutefois, toute personne et toute famille peut et doit faire quelque chose pour soulager la faim dans le monde en adoptant un style de vie et de consommation compatible avec la sauvegarde de la Création et avec les critères de justice envers ceux qui cultivent la terre dans tous les pays...

Changer le modèle économique global ? C’est de cela qu’il s’agit, si l’on veut être à la hauteur de l’enjeu : inventer un art de « vivre autrement, donc mieux » (non de vivre « moins ») ; mettre au point une économie relocalisée, décentralisée, autosuffisante par la décroissance de la consommation de matières et d’énergie. Ce qui veut dire : mobiliser la société autour d’une économie solidaire et sociale, inséparable de l’écologie pour les raisons que nous venons d’évoquer.

Cette mobilisation est indispensable. Mais sera-t-elle possible ? Qui va expliquer aux populations occidentales dans quelle situation elles se trouvent ? Qui aura le courage de leur indiquer les choix à faire, en leur disant : « Nous sommes dans une crise terrible provoquée par la folie du capitalisme financier, qui détruit les emplois et menace nos revenus, si petits soient-ils ; mais nous sommes aussi face à une échéance qui se rapproche : celle du pic de pétrole, qui nous impose de préparer dès maintenant le passage à une nouvelle société » ?

C’est beaucoup demander à des populations angoissées par leur avenir immédiat. Et néanmoins c’est indispensable : il faut s’occuper dès maintenant de l’échéance, puisque de toute façon l’échéance va s’occuper de nous. Alors, où trouver le courage de se réveiller et d’appeler à la mobilisation ? Ceci revient à poser un problème spirituel : le sens de la vie en société, la place de l’individu, ses vrais horizons, ses besoins profonds.

D’où cette troisième question : y a-t-il en vue une alliance inédite entre des gens venant d’horizons philosophiques divers, mais qui se retrouvent sur le constat de la même urgence ?

La réponse est « oui ». Les anciennes animosités ont perdu leur sens. De 1970 à ces dernières années, on s’était polarisé autour de deux attitudes extrêmes. D’un côté, des écologistes accusant le système actuel de « privilégier l’homme » (on parlait d’« anthropocentrisme ») au détriment de la nature. En réplique, les défenseurs du système actuel accusant les écologistes de privilégier la nature « au détriment de l’homme ».

Il y avait, d’un côté, ceux qui disaient (depuis le célèbre article de l’universitaire américain Lynn White dans la revue Science en 1967) que « privilégier l’homme au détriment de la nature » était « l’attitude de la civilisation occidentale héritée de la Bible », attitude qui aurait culminé à partir du XIXe siècle dans la conquête industrielle du monde. Selon eux, le verset 28 du chapitre 1 du livre de la Genèse (« remplissez la terre et soumettez-la ») était à l’origine de la mentalité d’exploiteur abusif qui caractérisait notre civilisation : pour mettre fin à l’exploitation abusive de la Terre, il fallait « éradiquer l’esprit biblique », cause lointaine de cette exploitation.

Et il y avait en riposte, les partisans du système économique actuel qui disaient : « On exagère beaucoup les nuisances à l’environnement, la nature est plus résiliente qu’on ne croit, et, de toute façon, si la nature s’épuisait, la technoscience saurait produire une nouvelle nature inépuisable ». Ils disaient aussi : « privilégier la Terre, ce serait nuire à l’homme et revenir à l’âge des cavernes. »

Mais réduire le débat à cette antithèse caricaturale (« privilégier la Terre » ou « privilégier l’Homme »), est-ce fondé ? Le productivisme industriel, cause vérifiable des dangers qui frappent l’environnement, vient-il réellement d’une civilisation engendrée par la Bible ? L’écologie consiste-t-elle réellement à « privilégier la Terre », à placer la nature au dessus de l’homme ?

Que disent la Bible, l’histoire et l’écologie ?

La Bible : du livre de la Genèse au livre de l’Apocalypse, elle ne pousse pas l’homme à saccager la planète. Au contraire ! Elle le pousse à se conduire en jardinier, en berger et en prêtre (face au Créateur) du reste de la Création... Donc : en responsable avisé. La traduction du verset 28 citée ci-dessus repose sur un séculaire faux sens : notre « soumettez-la » dénature l’hébreu vecavchoua, qui veut plutôt dire « conquérez-la », au sens de : « installez-vous et soyez-en responsable » ; en Gn 2, 15, on lit d’ailleurs : « l’Eternel prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder ». Une lecture attentive fait découvrir dans le texte de la Genèse les fondements métaphysiques de l’écologie moderne : – l’auto-limitation de la maîtrise humaine (Gn 2, 16-17) ; – le respect de la biodiversité (Gn 2, 19-20, autour de l’idée du « nom » donné à chaque espèce par l’homme) ; – la révolte de l’environnement contre la violence de Caïn (Gn 4, 10-12).

L’ensemble des Écritures développe ces thèmes : de Noé au Deutéronome, aux psaumes, à Job, à Isaïe, Jérémie ou Amos, jusqu’à une floraison inouïe dans l’épître aux Romains, où Paul étend la promesse de « la gloire des enfants de Dieu », non seulement aux humains, mais à « la Création tout entière ». La pensée biblique et chrétienne ne sépare pas l’homme de la Création dont il fait partie : au contraire, elle l’en rend responsable devant le Créateur.

L’histoire ? Contrairement au vieil article de Lynn White, elle montre une rupture avec la Bible aux XVIIe et XVIIIe siècles, quand l’Europe intellectuelle rejette l’idée de la Création continue (un univers créé à tout instant par Dieu : donc un univers dont l’homme est responsable devant son Créateur). À la place, apparaît alors l’idée du monde-machine exploitable à l’infini. Puis avec Adam Smith, l’idée que la nature n’a pas de valeur en soi, et que sa seule valeur lui est donnée par l’industrie humaine qui transforme la nature en profit... Donc l’homme a tous les droits : il peut abuser. Ce sera la philosophie de la révolution industrielle, avec toutes ses conséquences sur les hommes, puis sur l’environnement. Ces conséquences entraîneront en riposte, au XIXe siècle, la naissance du mouvement ouvrier, pour défendre les hommes. Puis, à la fin du XXe, la naissance de l’écologie, pour défendre la planète dont les hommes dépendent. L’écologie ? On ne doit pas la réduire à ses déviances minoritaires. Et l’on doit dialoguer même avec celles-ci, comme le cardinal Ratzinger le dit dans sa lettre à L’Écologiste...

L’écologie est en effet (pour l’instant) divisée contre elle-même : partiellement entravée par les préjugés idéologiques d’aujourd’hui, qui refusent la présence de l’invisible au cœur du visible, elle respecte la Création mais nie souvent le Créateur ; ceci crée en elle une incohérence intellectuelle et spirituelle. Incohérence qui ne vient pas du cœur de l’écologie, mais de l’air du temps. Ainsi certains écologistes sont « anthropophobes » : ils considèrent l’humanité comme nuisible, et voudraient réduire les naissances humaines au lieu de changer le système économique : or cette haine de la vie et de l’humain ne vient pas de l’écologie, mais de son contraire, étant née dans les courants les plus étrangers au souci écologique ! Souvenons-nous que Malthus était un économiste libéral.

La véritable écologie, même radicale (« allant à la racine » du problème), n’est pas une idéologie anthropophobe. D’ailleurs elle n’est pas une idéologie du tout, mais une science et un engagement. Comme science, elle étudie tous les aspects de la vie sur Terre : l’ensemble des interactions des espèces et de leur environnement. Ces interactions incluent les cultures, les spiritualités, les conceptions du rôle de l’homme dans la nature (une écologie véritable ne combat donc pas les religions, elle les prend en compte). N’étant pas seulement physique mais humaine, l’écologie concerne notre art de vivre, avec son impact sur l’homme et l’environnement ; impact qui dépend de la forme de nos sociétés, de nos cultures et de notre économie : nos diverses façons d’être au monde... C’est ainsi que l’écologie devient un engagement : une façon nouvelle d’aborder ces problèmes.

Mais qui les aborde ainsi ? Dans ce courant d’idées cherchant sa cohérence philosophique, comment se dessine l’alliance inédite de gens venant d’horizons divers ?

Une espèce en voie d’apparition

L’écologie est composée de non-chrétiens en grande majorité, comme toute la société contemporaine. Les écologistes chrétiens (on l’a dit) sont une espèce en voie d’apparition. Aujourd’hui, même des protestants évangéliques américains, longtemps manipulés par l’ultra-droite de G. W. Bush, pour qui l’écologie était satanique, prennent conscience du devoir chrétien de sauvegarder la Création menacée par la machinerie du profit.

Les chrétiens orthodoxes, dont la mystique porte une vision cosmique puissante, mais qui étaient inféodés au pouvoir politique, viennent de se libérer de cette tutelle en promulguant une doctrine sociale dont l’écologie occupe un chapitre entier.

Pour les catholiques, nous avons vu l’action de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Les conférences épiscopales plaident pour un changement d’art de vivre : une nouvelle civilisation sobre, harmonieuse et respectant la « destination universelle des ressources » (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 2007). Chez les laïcs, certains milieux se crispent contre ces exhortations de leur propre Église, mais la conscience écologique progresse : on en a vu un exemple lors du colloque de Ste-Foy-lès-Lyon, en janvier 2009, ouvert par le cardinal Barbarin et organisé par la toute nouvelle association « Chrétiens et pic de pétrole ». Colloque auquel ont également participé nombre d’écologistes non-chrétiens...

Chez ces derniers, en effet, on constate la montée d’une « écologie humaine » proche de certaines positions catholiques. Ainsi les combats du scientifique Jacques Testart contre les projets de l’industrie biotechnologique, ou l’engagement du journal La Décroissance (à la gauche de la gauche) contre le malthusianisme du parti des Verts.

La crise mondiale est un choc salutaire : elle fait naître dans les esprits l’urgence d’une révolution pour instaurer une « économie durable ». Révolution dans la finance, l’énergie, l’industrie, l’alimentaire ; révolution nécessairement écologique, puisqu’il faut rompre avec le productivisme industriel. Comment construire un nouvel art de vivre, capable de garantir à l’humanité ces nouveaux biens collectifs : la stabilité du climat, l’intégrité des services (vitaux) que nous rendent les écosystèmes ? Comment sauvegarder la planète dont nous dépendons tous, et qui est limitée, fragile, plus peuplée qu’elle ne le fut jamais ?

Cette révolution ne peut se faire que par l’outil du Politique, seul capable d’opérer cette transition. Mais pour cela, le Politique doit être réinventé. Nous devons nous libérer de la vieille philosophie du « contrat », héritée du libéralisme du XIXe siècle, selon laquelle la société n’aurait pour but que de permettre à chaque individu de produire et consommer toujours plus. Si la technoscience et le marché restaient aveuglément libres, lâchés comme deux Golems dans une société individualiste ne connaissant que le contrat, alors chaque acteur économique – chaque groupe d’intérêts – pourrait contribuer à l’épuisement de la biosphère. Ce serait le scénario du pire. Comment canaliser le pouvoir du marché et des techniques, s’il n’y a en lice que les intérêts des individus ? L’urgence est de faire naître un autre type d’intérêt, collectif : un « bien commun » de l’humanité, un accès équitable de tous aux ressources naturelles, et la sauvegarde de celles-ci contre l’emprise des mécanismes privés. Après vingt ans d’ivresses néolibérales, on voit l’urgence de retrouver l’idée de bien commun par delà les intérêts particuliers, et la vision du long terme par delà les réflexes de rentabilité immédiate. On voit aussi que cette découverte ouvre sur la vision catholique. Entre l’écologie, le politique et le christianisme, c’est le rendez-vous du XXIe siècle.

Avec mon livre L’écologie, de la Bible à nos jours [1], j’ai voulu contribuer à rendre à la question sa profondeur historique et religieuse. En décembre dernier, l’épiscopat français a publié un document intitulé « La Création au risque de l’environnement ». Dans les rencontres organisées sur ce thème en France, j’ai constaté que d’inexplicables réticences commençaient à se dénouer en milieu catholique, et que les esprits s’ouvraient. En Belgique et en Suisse, j’ai vu ces ouvertures déjà plus nombreuses que dans l’Hexagone... Les catholiques européens sont en train de comprendre que leur Église ne parle pas à la légère quand elle les incite à élargir leur vision et à prendre la mesure des responsabilités chrétiennes. Experte en humanité, riche du message cosmique des Écritures, en marche vers Celui qui récapitule tout en Lui, l’Église n’est pas opportuniste. Elle veille aux signes des temps.

Patrice de Plunkett, né en 1947, journaliste depuis 1972. Auteur de livres-enquêtes sur les phénomènes de société d’aujourd’hui : notamment L’Écologie, de la Bible à nos jours (L’Œuvre, 2008). Chrétien depuis 1985, membre de la revue Kephas et de l’Ordre du Saint Sépulcre de Jérusalem (aide aux chrétiens de Terre Sainte)

[1] P. de Plunkett, L’écologie, de la Bible à nos jours, Paris, L’œuvre, 2008.

Réalisation : spyrit.net