Rechercher

La Papauté, de Simon- Pierre à Jean-Paul II

Yves Bruley, CLD éditions, septembre 2003.
P.B.

Pour dessiner l’évolution de vingt siècles de papauté dans un monde si changeant, il faut saisir ce qui en a garanti la durée. Pour comprendre ce destin qui tient de l’épopée, du drame, où la scène s’ouvre sur l’action céleste, dont le personnage principal est le vicaire du Christ, il faut se placer sans cesse à l’articulation du charnel et du spirituel. Ce double enjeu est tenu par cette nouvelle histoire de la papauté grâce au choix d’une clef de lecture tant classique que problématique. En mettant le mythe de la romanité à l’épreuve de l’histoire, on discerne les fondements, l’identité et le programme de cette institution. Et aujourd’hui, réfléchir sur la romanité, c’est justement réaffirmer l’universalisme catholique manifesté à la Pentecôte. Ce n’est pas l’universalisme d’un vague cosmopolitisme, mais il fait retrouver le chemin vers l’unité à chaque homme qui reconnaît sa vocation à la sainteté, dans l’Église « à la fois ouverte et centrée au maximum », pour reprendre l’expression du P. de Lubac, dans Catholicisme. La romanité est donc réalité charnelle d’un corps spirituel, incarnation centrale d’un universalisme organique.

C’est pourquoi, après les promesses et la mission confiées par le Christ à Pierre, et de fragiles débuts, c’est toujours dans la dimension de la promesse que la romanité est à comprendre. C’est un programme, une espérance, la réalisation du projet de Dieu ; ce que l’on voit dans l’ « établissement papal » en est le chemin. « Enracinement nécessaire, et d’autant plus que la transcendance est plus haute », rappelle encore le P. de Lubac.

Progressivement affirmée sur la revendication d’un ministère de Pierre à Rome, la papauté révèle le lien essentiel entre le service de la Révélation et la tradition qui en préservera l’intégrité. Ce sont l’unité de l’Église, l’universalité de sa mission et la mémoire de l’Incarnation qui ancrent la barque de l’Église dans Rome. Ville des noces entre l’héritage gréco-romain d’une pensée de l’universel, et la nouvelle foi, Rome est la capitale incarnée de la « Cité de Dieu ». « Le pape est le vicaire de Celui dont le royaume n’a pas de limites », déclare Innocent III. Cité qui n’a d’autres frontières que spirituelles, mais qui doit sa pérennité à ses frontières temporelles, affermies ou contestées dans les alliances et les luttes avec les Empires. L’équilibre médiéval de l’Occident chrétien deviendra ensuite un « rêve d’Empire » avec la constitution des États modernes et la sécularisation croissante de la politique : le Pape devient alors le défenseur et l’annonciateur d’une religion qui a autant besoin d’unité que d’universalité. C’est pourquoi il faut redire combien la Rome pontificale même a pu être véritablement patria communis de l’humanisme, en particulier dans la belle figure de Nicolas V. Et cette réalité unique de l’État sans frontière permet en fait de penser la laïcité politique, en interrogeant la légitimité de la puissance d’États qui ne reconnaissent plus aucun vis-à-vis religieux ou culturel. Enjeu vérifié au long du siècle dernier, notamment dans l’apologie d’une romanité dégagée des États par Jacques Maritain (Primauté du Spirituel ), face à la romanité exaltée par le fascisme. Dans les représentations de Rome se rencontrent ainsi les oppositions et les attachements au discours de l’Église. Avec l’abandon de l’idéal de l’État chrétien, le conflit contre la modernité politique se déplace sur le terrain éthique : c’est pour cela que la « question morale » est maintenant si présente dans la perception que les médias ont de Jean-Paul II, et si cruciale pour comprendre l’évolution actuelle des relations entre le monde moderne et le Vatican.

Dans ce livre court et problématisé autour de ces enjeux, les figures souvent marquantes des papes sont replacées dans une histoire sans cesse interrogée de façon dense et claire, qui ne manque pas de s’incarner dans quelques étapes choisies d’un bel itinéraire romain. En annexe, le « petit dictionnaire pontifical » rendra aussi de bons services.

Aboutissant à la synthèse prospective de la fin, on fera alors converger les principaux fils de la réflexion sur une interrogation : « Voie romaine » sinueuse, mais ininterrompue après deux millénaires, la papauté n’ajoutera de nouveaux siècles à son histoire qu’au prix d’une réflexion sur sa propre « conscience de Rome ».

Il convient de citer ici Jean-Paul II, dans son discours au Patriarche œcuménique Dimitrios Ier en 1987 : « C’est par désir d’obéir vraiment à la volonté du Christ que je me reconnais appelé, comme Évêque de Rome, à exercer ce ministère [d’unité]... Je prie l’Esprit Saint de nous donner sa lumière et d’éclairer tous les pasteurs et théologiens de nos Églises, afin que nous puissions chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres. » (encyclique Ut unum sint, 25 mai 1995, §95).

Réalisation : spyrit.net