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La confirmation, sacrement du don

P. Guillaume de Menthière

« L’Esprit-Saint agit dans l’Église par les sacrements, surtout par la Confirmation » [1]. Par ces quelques mots, le pape Jean-Paul II invite toute l’Église à redécouvrir tout spécialement le sacrement de confirmation au cours de cette année 1998.

Qu’en est-il de ce sacrement ? Si l’Esprit-saint a pu être appelé le « divin Méconnu », on pourrait dire semblablement que la confirmation est bien souvent le « sacrement oublié ».

Un sacrement oublié

Témoins de cet oubli, les enquêtes d’opinion. On y recense les baptisés, les catéchisés, les mariés, les pratiquants dominicaux ; jamais les confirmés. Lorsque l’on reçoit de jeunes fiancés pour leur préparation au mariage, il n’est pas rare qu’ils ignorent s’ils ont été confirmés ou pas, alors qu’ils savent très bien s’ils ont été baptisés ou s’ils ont fait leur profession de foi. Les prêtres eux-mêmes invitent les chrétiens à réveiller le don de leur baptême, à vivre de l’eucharistie, à fréquenter le sacrement de réconciliation, jamais on n’entend l’interpellation : « Chrétien, qu’as-tu fait de ta confirmation ? ».

Plus grave encore, c’est l’existence même de ce sacrement qui paraît menacée. Ne doit-on pas s’alarmer de ce que, dans notre pays, l’immense majorité de ceux qui sont baptisés aujourd’hui ne seront jamais confirmés ? Soit parce qu’ils auront arrêté toute pratique avant l’âge de l’adolescence où ce sacrement est proposé, soit parce qu’à la suite de pastorales locales diverses, ils seront « passés à travers » : « Lorsque j’étais en classe de 5ème à Brest, on proposait la confirmation à partir de la 2de. Arrivé à Paris en 4ème, je n’ai pas été confirmé car la confirmation y était donnée en CM2 ! »

Ce genre de situation, très fréquente, conduit des pasteurs de plus en plus nombreux à proposer la confirmation à tous les âges de la vie, et l’on a vu se développer ces dernières années un grand nombre de « confirmationats » parallèles au catéchuménat des adultes ou en lien avec lui. On doit se réjouir de ces initiatives. En effet, l’Église rappelle qu’il y a une grave anomalie à ce qu’un baptisé ne soit jamais confirmé, le baptême portant en lui le « vœu » de la confirmation, et la confirmation étant le « sceau du baptême ». Un baptisé qu’on ne confirme pas est comme un enfant que l’on empêche de grandir. C’est pourquoi une des tâches prioritaires des pasteurs consiste à proposer ce sacrement « à temps et à contre temps ».

« Il nous revient de proposer sans cesse la confirmation, écrivait il y a peu Mgr Bouchex, archevêque d’Avignon. N’y aurait-il pas un effort d’envergure à entreprendre dans notre pays en ce sens ? Une des causes de la faiblesse de la foi chez les catholiques de France n’est-elle pas dans la désaffection vis-à-vis de la confirmation ? » [2]

Un sacrement controversé

On a pu dire que la confirmation était devenue chez les théologiens non plus seulement le sacrement de la chrismation, mais le sacrement de la crispation ! Le jeu de mot est un peu facile, mais il révèle combien la confirmation est l’objet de débats théologiques difficiles. Tout semble faire difficulté.

L’histoire du sacrement est fort complexe. On a bien du mal à en trouver une trace dans l’Écriture. S’il est clair que Jésus a donné à ses disciples l’ordre de baptiser, (cf. Mt 28,19), on ne voit rien de tel pour la confirmation. A partir de quand celle-ci a-t-elle pu constituer un vrai sacrement distinct du baptême ? Comment se sont élaborées les deux disciplines différentes d’Orient et d’Occident ? En Orient, en effet, le prêtre confirme immédiatement le nouveau-né qu’il vient de baptiser. En Occident, c’est l’évêque qui est ministre "ordinaire" de la confirmation et qui confère ce sacrement à des enfants ou à des adolescents baptisés à la naissance.

La liturgie du sacrement connaît la même dualité. En Orient, la confirmation est conférée par l’Onction du saint chrême. Mais l’Occident a longtemps tenu pour essentiel un autre geste, l’imposition des mains, que l’Orient ignore. A ces deux rites concurrents, onction et imposition des mains, s’ajoute le rite du « soufflet » donné par l’évêque et qui, psychologiquement, est bien perçu souvent comme le plus « frappant » !

La théologie explicite les effets du sacrement que les rites symbolisent. Or, ici, ce sont les sacrements eux-mêmes qui semblent entrer en concurrence . Comment dire en effet que la confirmation nous donne le Saint-Esprit si on l’a déjà reçu au baptême ? Que signifie le langage « inflationniste » que l’on emploie à propos de la confirmation en disant qu’elle nous donne « la plénitude du Saint-Esprit », qu’elle nous procure un lien « plus parfait avec l’Église », qu’elle nous oblige « plus strictement à répandre la foi » ? Parler de la confirmation en terme de « plus », n’est-ce pas parler du baptême en terme de « moins », et par là à déprécier le baptême ?

La pastorale se ressent de ces hésitations théologiques. Elle s’interroge sur la proposition du sacrement, sur sa préparation, sur sa célébration et sur son suivi. Nulle question ne suscite autant de polémiques et de divergences que celles de l’âge de la confirmation. Elle est, dans les séminaires et les presbytères, ce que fut en son temps l’affaire Dreyfus dans les familles : le sujet dont il vaut mieux ne pas parler ! Après avoir débattu toute une journée sur cette question, une commission de pasteurs et de théologiens ont conclu qu’ils étaient, quant à l’âge de la confirmation, « partisans de la souplesse » ! La conclusion est amusante. Elle n’est peut-être pas si mauvaise que cela. Après tout, c’est l’Esprit-Saint qui « assouplit ce qui est raide », comme dit le Veni Sancte Spiritus !

Reste que la confirmation plonge beaucoup de chrétiens dans un profond embarras. Qu’est-ce que cette « chose étrange » ? « Nous parlons bien du Saint-Esprit à propos de la confirmation, confesse le P. Louis Bouyer, mais quand on nous presse, nous balbutions... » [3]

Un sacrement orienté

Le principe d’une solution à cette perplexité réside sans doute dans un vœu constamment réaffirmé par le Magistère depuis le Concile Vatican II. Il s’agit de retrouver le sens de l’Initiation chrétienne et de son indivisible unité. En effet, aux yeux de l’Église, Baptême, Confirmation et Eucharistie sont les trois sacrements qui « font » le chrétien et qui constituent ensemble l’Initiation chrétienne.

C’est donc non seulement les rapports du baptême et de la confirmation qu’il convient de redécouvrir, mais aussi le lien de la confirmation à l’eucharistie. Certes, tous les sacrements sont, comme disent les théologiens, « ordonnés à l’eucharistie ». Mais cela est vrai tout spécialement de la confirmation qui,dans l’ensemble de l’Initiation chrétienne, est le sacrement qui introduit à l’eucharistie.

L’étude de l’histoire et de la liturgie de la confirmation manifeste cette orientation eucharistique de notre sacrement. L’imposition des mains est un geste à portée sacrificielle et l’onction d’huile parfumée nous rend capables de nous offrir en « sacrifice d’agréable odeur » nous unissant au sacrifice parfait du Christ. Par la confirmation, « l’Esprit-Saint fait de nous une éternelle offrande à la gloire de Dieu le Père » (cf. Prière Eucharistique n°3). Ainsi, d’un double point de vue, la confirmation peut être dite « sacrement du don » [4]. Parce que, par elle, nous est fait le Don du Saint-Esprit. Parce que, par elle, le Saint-Esprit fait de nous le don que Dieu agrée dans l’oblation eucharistique.

Le Don que Dieu a fait aux confirmés les engage à lui rendre un culte spirituel en « offrant leur personne en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu » (Rm 12,1). C’est ce qu’en une image superbe saint Augustin exprime excellemment lorsqu’il écrit aux chrétiens :

Vous avez été préalablement moulus par l’humiliation des jeûnes et les cérémonies de l’exorcisme. Puis s’est ajouté l’eau du baptême qui vous a humectés en quelque sorte pour vous faire prendre la forme du pain... Mais le pain ne le devient qu’après avoir passé par le feu, et qui est-ce qui représente le feu ? C’est le saint Chrême : l’huile qui représente notre feu est le sacrement du Saint-Esprit... L’Esprit-Saint vient donc : après l’eau vient le feu, et vous devenez pain, c’est-à-dire le corps du Christ [5]

Tel est le sacrement de confirmation qui fait de nous un beau pain à offrir dans la louange eucharistique. Entre le baptême et l’eucharistie, il est le sacrement du Don : Don de Dieu sans cesse à raviver, don de soi sans cesse à accomplir.

P. Guillaume de Menthière, Le P. Guillaume de Menthière, prêtre du diocèse de Paris, est aumônier du collège et lycée Henri IV et du lycée Saint-Louis, professeur de théologie sacramentelle à l’École-Cathédrale. Il est à l’origine de l’initiative du Concours Général de Théologie. Il a publié récemment, Le Sacrement de Réconciliation, guide du pénitent, éd. Téqui, Paris, 2001.

[1] Tertio Millenio Adveniente n°45.

[2] Mgr Raymond Bouchex, « Réflexions d’un évêque sur la confirmation », in La Maison-Dieu, 3e trimestre 1997, n°211, p.17.

[3] Louis Bouyer, La Signification de la Confirmation, Supplément de la Vie Spirituelle n°29, 1954, pp.162-179.

[4] Guillaume de Menthières, La Confirmation, sacrement du Don, Cerf/Parole et Silence, 150p., 1998.

[5] Saint Augustin, Sermon 227.

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