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La crise de la famille sous le regard des professionnels

Aude Julienne , Ghyslaine Jacques
Nous avons pensé opportun de demander à deux professionnelles des questions familiales, Aude Julienne, conseillère conjugale et familiale du cabinet Accordance [1] et Ghyslaine Jacques, avocat spécialisée en droit de la famille, de nous donner leur point de vue sur la crise que traverse actuellement la famille en partageant leur expérience auprès des couples fragilisés ou en situation de rupture.

Résurrection  : Pouvez-vous nous dire d’abord ce qu’est une conseillère conjugale et familiale ?

Aude Julienne  : Son travail est basé sur une écoute active. Il s’agit d’un métier d’écoute et de « conseil », non par pour « donner des conseils », ce qui est impossible lorsqu’on ne connaît pas les personnes qui s’adressent à vous, mais au sens de « tenir conseil », c’est-à-dire d’offrir aux demandeurs la possibilité d’un dialogue avec une tierce personne, en vue de les aider à progresser dans leur réflexion sur leur vie familiale. Le terme de « conseiller » est bien souvent source de malentendus car les clients s’attendent à recevoir des conseils qu’on ne peut leur donner. Notre tâche consiste à organiser des entretiens, qu’ils soient individuels, en couple, ou en famille plus élargie, pour un soutien ponctuel ou un accompagnement dans la durée. Il s’agit de rétablir une communication saine au sein du couple, d’offrir un espace permettant à chacun d’exprimer son ressenti et de le communiquer à l’autre, même si, en cas de forte mésentente au sein du couple, il n’est plus guère possible d’éviter un divorce. Du moins peut-on alors aider les personnes à divorcer dans les moins mauvaises conditions, sans rupture totale, en vue du maintien du couple parental.

Le conseiller conjugal et familial aide à admettre que l’autre a le droit d’être différent. Pour cela, la remise du profil de personnalité de chaque partenaire aidera à comprendre leurs différences, leurs complémentarités, leurs affinités mais aussi leurs divergences.

Le travail peut être de une ou deux séances à plusieurs mois, voire deux années, en fonction d’un problème ponctuel ou chronique.

Résurrection  : De quelle formation a-t-on besoin pour exercer votre métier ?

Aude Julienne  : La formation au conseil conjugal et familial se déroule en alternance sur trois années.

Une première année d’éducation à la vie de 160 heures, et deux années de formation au conseil conjugal et familial de 480 heures, incluant 2 stages pratiques de 40 h chacun.

Mi-thérapeute, mi-travailleur social, le conseiller conjugal et familial est tenu au secret professionnel. Il a de plus l’obligation de s’engager dans une supervision de sa pratique avec un professionnel de son choix.

Il existe 7 organismes de formation agréés en France, par le ministère des affaires sociales, avec divers sensibilités ; confessionnelle comme le CLER, psychanalytique, l’AFCCC, ou plus psychologique comme Couples et Familles, le MFPF, l’école des Parents et des éducateurs.

Il est demandé aux futurs praticiens d’avoir atteint une certaine maturité et d’avoir exercé auparavant un autre métier. Ce n’est pas une formation qui se fait à l’issue de son bac.

Résurrection  : Qui s’adresse à une conseillère conjugale ?

Aude Julienne  : Le conseiller conjugal accueille des couples, des jeunes et des personnes isolées. Il parle avec eux de leurs difficultés de communication, de leurs problèmes de couple (rupture, divorce, violences). Les questions de sexualité et de contraception sont aussi abordées.

Le conseiller conjugal et familial tente de faire comprendre aux hommes et aux femmes qu’il peut y avoir des conceptions différentes du couple à ses différents stades : l’état amoureux, la construction du couple, la passion, la sexualité et les loyautés familiales.

Des personnes sont envoyées par un avocat, un prêtre, un médecin, ou sur recommandation d’un(e) ami(e) et par internet, par les sites des cabinets de conseil conjugal et familial.

Environ la moitié des personnes viennent seules (hommes et femmes), et les autres en couple. Dans les deux cas, la démarche doit être considérée comme positive, car si au moins l’un des conjoints tente de bouger en identifiant et en exprimant son malaise, son comportement et sa communication vont être modifiés et ainsi l’autre conjoint devra lui aussi changer.

Les personnes qui viennent seules cherchent souvent une réponse que le conjoint ne peut pas leur donner. Les choses se compliquent lorsque les conjoints n’expriment pas la même demande.

Dans un cadre familial plus élargi, ce sont souvent des événements particuliers (naissance, mariage, décès) qui créent ou révèlent un déséquilibre. On constate à cette occasion que la famille est un système dans lequel la déstabilisation d’un des membres se propage sur l’ensemble du groupe.

L’objectif du conseiller conjugal est de tenter de rétablir cet équilibre, le cas échéant sur de nouvelles bases.

Résurrection : Nous le savons, les couples sont devenus particulièrement fragiles aujourd’hui, en France et ailleurs. Quelles sont d’après vous les principales causes de cette fragilité - ou des divorces ?

Aude Julienne  : Le pourcentage de divorces est maintenant très élevé en France : plus de 50% en région parisienne, plus de 30% en province. Les couples se séparent de plus en plus rapidement (on voit des ruptures après seulement 4 mois de mariage – même religieux ! – préparé pendant un an au sein de l’Église). Les séparations deviennent de plus en plus fréquentes après deux ans de mariage, et on voit également des couples rompre à plus de 70 ans, après 40 ans de vie commune. Il peut s’agir de couples qui n’existaient que par le lien des enfants, c’est-à-dire des couples parentaux qui n’ont pas entretenu le couple conjugal. Or, il faut entretenir un couple au quotidien, selon la formule paradoxale 1 + 1 = 3 (chacun des conjoints et le couple). Il faut s’astreindre à une hygiène conjugale, comme on doit prendre soin de son propre corps. Or, les gens consacrent de moins en moins de temps à leur couple.

En outre, le mariage est vu davantage comme un aboutissement, une fin en soi plutôt que comme la fondation de la vie conjugale, un commencement, essentiellement parce que, le plus souvent, les partenaires ont déjà vécu ensemble pendant une assez longue période. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette vie commune avant le mariage ne renforce pas celui-ci, car elle fait l’impasse sur une réflexion menée à deux pour construire le couple au sein d’un dialogue explicite, verbalisé, qui permet de se dire et s’écouter, ce que les psychologues appellent un « enchevêtrement narratif ».

D’autre part, en l’absence d’engagement, on s’habitue à l’idée qu’il y a une porte de sortie, le mariage conclu dans ces conditions peut être alors vécu comme une prison dont on a hâte de se libérer. C’est pourquoi nombre de couples ayant vécu ensemble avant le mariage se séparent rapidement après.

D’autre part, l’idéalisation de la vie conjugale fait courir les couples chez l’avocat dès les premières difficultés. L’énergie (considérable) qu’ils consacrent à un divorce précipité serait bien mieux employée à tenter de reconstruire leur relation. Il ne leur vient même pas à l’idée qu’il est possible de rebâtir un couple, certes sur des bases différentes, mais en général plus réalistes et parfois meilleures, en assurant par là une meilleure stabilité.

Enfin, la tendance contemporaine à ignorer le passé vaut aussi pour le couple : on s’imagine pouvoir gommer toute une vie commune et reprendre à zéro, « refaire sa vie ». Or on ne repart jamais en arrière, le futur se construit avec le passé.

Résurrection  : N’y a-t-il pas des couples qui s’imaginent que le mariage est une solution « magique » pour régler leurs problèmes relationnels ?

Aude Julienne : Oui, tout à fait. Aujourd’hui les gens ont perdu le sens de l’effort. Le mariage est fondé, pour eux, uniquement sur l’émergence d’un sentiment amoureux, dans une attitude de passivité. Ne dit-on pas couramment qu’on « tombe » amoureux ? Un sentiment peut être fluctuant au cours d’une vie. Or, le mariage est une action volontaire (« je veux t’aimer »). Cette volonté absolument nécessaire est ignorée actuellement par la plupart des jeunes couples.

De même, pour s’engager dans le mariage il faut être suffisamment mature et bien avec soi-même, pour ne pas considérer l’autre comme une béquille ou comme son thérapeute.

Résurrection : Ne peut-on pas dire que les relations physiques avant le mariage créent un sentiment amoureux qui gomme provisoirement l’incompatibilité des caractères, et entretient par là un malentendu sur la capacité du couple à construire une relation durable ? A l’inverse, bien des « mariages arrangés » étaient une réussite…

Aude Julienne : La sexualité pose la question du respect de l’autre, au-delà de sentiments immédiats et fluctuants. L’attirance purement sexuelle, l’euphorie amoureuse, dure en général 2 à 3 ans, elle s’exerce alors sans effort, sous l’action d’une hormone, l’ocytocine. Les relations physiques donnent alors le sentiment de l’amour, même sans bases solides. Mais avec les années, l’effet de cette substance s’atténue. Il faut alors vouloir construire des relations d’attachement et de fidélité. Le secret de la longévité du couple pourrait résider dans cette injonction provocante « ne vous mariez pas parce que vous vous aimez, mais mariez-vous parce que vous voulez construire une vie entière avec l’autre ». On ne reste pas « amoureux » de son conjoint au plus haut niveau toute sa vie. La fidélité est une alliance qui est à renouveler à chaque étape de la vie.

Mais même le premier enthousiasme passé, la sexualité n’en demeure pas moins essentielle comme un moyen irremplaçable d’entretenir les sentiments. Combien de couples en difficulté n’ont pas eu de relations sexuelles depuis des mois, voire des années !

Il peut exister d’autres motivations du mariage ne garantissant pas davantage sa stabilité au départ de sa construction : le désir d’échapper à l’emprise familiale, ou, au contraire, la pression des parents et des proches, le souhait de vivre ensemble de manière régulière, ou parce qu’on va avoir un enfant. De telles raisons ne contribuent pas à stabiliser le couple ainsi formé s’il n’y a pas une bonne construction par la suite.

Résurrection : Pensez-vous que cette crise a de graves conséquences, notamment sur les enfants ?

Aude Julienne : Pour Xavier Lacroix, « le mariage est à ce jour la seule institution qui articule conjugalité et filiation. » La parenté n’est pas seulement corporelle, elle est aussi symbolique et affective.

La filiation ne peut pas être le fondement de la famille. Or aujourd’hui la filiation est première et on ne tient plus forcément compte du lien conjugal, lequel perd son caractère institutionnel.

La rupture du lien conjugal entraîne souvent la fragilisation, voire même la fin du lien parental, surtout pour le père. Mais il faut bien souligner que le lien conjugal doit reposer sur autre chose que sur la parentalité.

L’enfant ne peut pas être le pôle de solidité de la famille, il est rassurant pour un enfant de savoir que le lien conjugal repose sur d’autres valeurs que l’attachement à l’enfant. Les enfants ont besoin de savoir qu’il existe une intimité entre leurs parents, indépendamment d’eux (c’est pourquoi ils désirent souvent que leurs parents sortent seuls, et cela pas seulement pour échapper quelques heures à leur contrôle mais pour être rassurés sur leur vie de couple et sa solidité dans l’amour).

Une des causes d’affaiblissement du couple - et de pathologies affectives chez les enfants - réside dans le surinvestissement affectif, généralement de la mère, envers les enfants. Selon le psychanalyste Jacques Lacan, pour être une bonne mère il faut être d’abord une bonne épouse. C’est profondément vrai. Une femme est épouse avant d’être mère. Or, trop de femmes ont tendance à délaisser leur mari au profit de leurs enfants, d’autant plus que les soins qu’elles leur prodiguent tendent à affaiblir leur libido. Les femmes se donnent des obligations, des « devoirs » envers leurs enfants, elles croient d’ailleurs bien faire et s’en font une vertu. Les maris s’en plaignent souvent. Cette situation est aggravée par la maîtrise de la procréation qui est maintenant totalement aux mains de la femme. L’homme n’a plus de raison d’être, son autorité est minée, le père n’a plus sa place dans la famille. La société devient progressivement conditionnée par l’équivalence totale des sexes, y compris au sein de la famille, ce qui conduit de fait à un fonctionnement matriarcal d’où le père est absent.

D’un autre côté, la place de l’enfant a, elle aussi, profondément changé. Autrefois, l’enfant devait tout à ses parents, aujourd’hui, c’est l’inverse.

Résurrection : C’est-à-dire ?

Aude Julienne : De nos jours, on peut choisir d’avoir un enfant quand on veut, comme on veut et avec qui on veut. En contrepartie, la femme se sent redevable vis-à-vis de son enfant si soigneusement programmé, elle est son « obligée ». On constate d’ailleurs dans beaucoup de familles que l’enfant règne en maître, dans une totale confusion des rôles entre parents et enfants. S’y ajoute la valorisation de l’indiscipline, du cancre, du « sale gosse » par la publicité. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce culte de l’enfant-roi, loin de libérer l’enfant, fait peser sur lui une charge insupportable, celle du maintien du lien conjugal dont il reste le seul garant.

Olivier Abel dit que maintenant, ce sont les parents qui quittent leurs enfants, et non plus les enfants qui quittent leurs parents. D’autre part, l’expérience montre à quel point le comportement du couple se reproduit chez ses enfants : la relation homme-femme est le premier témoignage de relation interpersonnelle donné aux enfants dès leur plus jeune âge, même et surtout au stade non verbal. Si cette relation est détériorée, l’enfant le ressent immédiatement et tendra par la suite à la répéter envers son futur conjoint. En particulier, le garçon risque de reproduire auprès de son épouse le comportement de son propre père avec sa mère.

Ce qu’un père peut apporter de plus précieux à son enfant, c’est la joie qu’il donne à son épouse – à la mère de cet enfant. Quand cette joie donnée disparait, pas seulement après une séparation, on peut imaginer à quel point cette rupture peut être destructrice. L’enfant risque à son tour d’avoir de grandes difficultés à donner à son tour de la joie à son futur conjoint.

Comme dit Christiane Singer « les enfants n’ont besoin que d’une chose, pas d’un amour braqué sur eux comme une arme blanche, seulement de grandir dans l’orbite de l’amour d’un homme et d’une femme. »

Résurrection : Le pape François est particulièrement préoccupé par la crise de la famille. Pensez-vous que l’Église puisse faire plus ou mieux pour l’enrayer ou l’atténuer ?

Aude Julienne : Il faut puiser dans les grâces du sacrement de mariage, par le rappel fréquent de cet engagement en Église, par une étude plus poussée du contenu de cet engagement. A chaque instant, les couples peuvent et doivent se féliciter d’être toujours unis. Notamment par la prière. L’exemple de Louis et Zélie Martin, qui vont être canonisés ensemble le 18 octobre 2015, peut s’avérer d’un grand secours pour les couples d’aujourd’hui.

De même avoir un “service après-vente” du mariage, comme le suggérait le cardinal André Vingt-Trois, pourrait s’avérer nécessaire pour beaucoup de couples. La préparation au mariage ne suffit plus et un accompagnement aux différentes étapes de la vie conjugale et familiale pourrait être judicieux. On n’apprend pas non plus à être parent.

REGARDER EN FACE LES DIFFÉRENCES

Nous vivons dans une société imprégnée de slogans de non-discrimination, c’est-à-dire qui interdit de faire des différences. Cela présente un gros avantage : escamoter tous les conflits. Chacun fait ce qu’il veut et la tolérance suppose que tout soit possible et que tout se vaille. Mais la vie n’est pas ainsi. Si les gens divorcent, c’est précisément parce qu’ils ne sont pas d’accord. S’il y a des conflits, c’est bien parce qu’il y a des discriminations. Vouloir escamoter ces différences constitutives de la vie sociale, c’est imaginer un autre univers, ce n’est pas le monde dans lequel on vit. La difficulté, est-ce la norme ou est-ce l’accident ? On me dit : vous faites des difficultés parce que vous demandez que le mariage soit unique et définitif…, mais la difficulté, c’est quand même que des gens ne peuvent pas vivre ensemble ! Je pense que cela dit quelque chose sur notre vie, sur notre vie collective, sur notre vie sociale. Cela dit qu’on a du mal à accepter que tout le monde ne soit pas au même endroit du chemin”

Mgr André Vingt-Trois
Réunion de bilan des équipes synodales

Résurrection : En quoi la crise actuelle du mariage affecte-elle la société dans son ensemble ?

Aude Julienne : Nous avons déjà vu en quoi la désunion conjugale est dangereuse pour les enfants, et notamment pour leur capacité à former eux-mêmes dans l’avenir un couple stable. La crise actuelle est un révélateur des faiblesses de notre société : refus de l’engagement durable, absence de dialogue, trop souvent confondu avec l’unanimité, incapacité à « mettre des mots sur les maux », manque de temps consacré au conjoint, surinvestissement de la mère dans l’éducation des enfants au détriment de la vie conjugale, effacement du père… Plus généralement, nous vivons actuellement une crise de la transmission – tout en excusant nos manquements au nom d’un héritage sociologique ou familial trop lourd.

Or, si l’on n’est pas responsable de ce dont on hérite, on est responsable de ce qu’on en fait.

Résurrection  : Pour terminer, je poserais la question : l’amour engendre-t-il le bonheur ?

Aude Julienne : Oui, car l’amour renforce l’estime de soi. Quand on suscite l’amour, on est narcissiquement valorisé. Si l’autre m’aime, je suis aimable, donc j’ai une valeur. Donc on s’exprime mieux, on a confiance en soi, on vit mieux. On bâtit des cathédrales.

A la suite de cet entretien, Maître Ghyslaine Jacques apporte le point de vue complémentaire de l’avocat.

Résurrection : Quels sont les différents types de divorces possibles de nos jours ?

Ghyslaine Jacques : Sur le plan strictement juridique, le divorce pour faute reste important, il est à l’origine de 35 % des séparations. En droit français, est considérée comme « faute » une série de faits graves et renouvelés qui rendent impossible le maintien du lien conjugal : violences, adultère répété, jeu et toute autre forme d’addiction (dont l’excès d’ordinateur et de jeux vidéo, le poker en ligne, la pornographie). Il faut dire qu’Internet favorise ce genre de déviances. Dans d’autres cas, le divorce est demandé par l’un et accepté par l’autre, ce qui réduit, au moins en apparence, les tensions. Le divorce par requête conjointe est également possible ; autrefois, il était assorti d’un délai de réflexion de six mois. Sous l’effet des idées libertaires, ce délai a été supprimé. Le divorce peut également être obtenu unilatéralement par l’un des conjoints pour « altération définitive du lien conjugal » à la suite d’une séparation totale pendant un certain délai. Ce délai était de six ans, ce qui permettait à la partie qui s’estimait lésée par le divorce ou le refusait pour motif de conscience de le suspendre pendant tout ce temps et quelquefois sine die. Mais ce délai a été réduit à deux ans et il est question de le réduire encore. Ensuite, le juge est pratiquement obligé de prononcer le divorce à la requête du conjoint demandeur, sans que l’autre puisse s’y opposer. Il s’agit là d’un retour à une forme de répudiation. De manière générale, l’évolution législative tend à faciliter le divorce.

Résurrection : D’après votre expérience, quelles sont les principales raisons de la fragilité des couples actuels ?

Ghyslaine Jacques : L’immaturité des jeunes époux et l’intervention abusive de leurs parents dans leur vie de couple constitue à mon avis une cause majeure de divorce. Les belles-familles peuvent jouer un rôle délétère, en particulier parce que l’un des conjoints – ou les deux – ne parvient pas à « quitter » son père et sa mère, selon l’injonction de la Genèse. Les parents des jeunes couples les aident de multiples façons, et pour cette raison se croient autorisés à régenter les moindres détails (jusqu’au choix du lave-vaisselle !) Les gardes d’enfants assurées par les grands-parents sont sans doute fort utiles, mais la grand-mère ne doit pas devenir une mère de substitution. Dans ces conditions, les couples ne se sentent plus acteurs de leur vie, ils n’assument plus leurs choix, au point que, en cas de difficulté, la personne consultée pour y faire face (conseillère conjugale, avocat) doit parfois définir pour chaque conjoint la liste de ses tâches. Pire encore, dans 20 % des divorces, les beaux-parents s’impliquent activement pour accuser leur gendre ou leur bru, via la surveillance des pages Facebook, par des enregistrements et autres formes d’espionnage. Et de fait, beaucoup de grands-parents considèrent le couple que forme leur enfant comme leur « chose », comme en témoignent des expressions étranges : « mon petit ménage » pour désigner le couple formé par son fils ou sa fille…

Résurrection : Et les raisons financières ?

Ghyslaine Jacques : La crise économique actuelle ne facilite pas la vie conjugale. Le chômage mine insidieusement le couple, il le gangrène, c’est pourquoi cette épreuve doit être traversée avec une vigilance toute spéciale. Cela étant, les difficultés matérielles servent en général de révélateur de problèmes plus profonds au sein du couple, elles ne sont pas, la plupart du temps, une cause réelle de divorce.

Résurrection : Que peut faire l’Église ?

Ghyslaine Jacques : Tout d’abord mettre en garde les futurs mariés sur la nécessité d’une nette séparation avec leurs parents. Ils doivent demeurer très vigilants vis-à-vis de toute intrusion dans leur vie de couple. A mon avis, lors des préparations au mariage, cet aspect pourtant crucial n’est pas suffisamment abordé. D’autre part, la parole de l’Église, notamment lors des homélies, doit être plus forte, plus « musclée », non seulement sur ce point, mais sur d’autres aspects déjà abordés dans cet entretien, comme la priorité à donner au conjoint, qui doit passer avant les parents et les enfants. Elle doit aussi rappeler aux grands-parents qu’ils ne doivent pas se mêler de la vie de leurs enfants mariés.

La pastorale doit également mette en garde les parents, en particulier les mères, sur les dangers de dévoiement psychologique de leur enfant, quand elles surinvestissent sur lui au détriment de ce qu’elles doivent à leur conjoint. Une intervention de l’Église est d’autant plus nécessaire sur ce sujet que la plupart des mères (et quelquefois des pères) agissant ainsi s’imaginent qu’il s’agit là d’une preuve de vertu.

D’autre part, il est trop souvent dit que le sacrement de mariage est un signe de l’amour. C’est inexact. Le mariage sacramentel est un acte qui procède de la volonté avant le sentiment ; s’il ne doit être que le « signe » de l’amour, il reste éminemment fragile, et il est difficile de le concevoir comme définitif. Là réside le malentendu concernant le mariage homosexuel : si le mariage est signe d’un amour, toute forme d’amour peut être consacrée par un mariage. Inversement s’il n’est qu’un signe, beaucoup de jeunes le ressentent comme superfétatoire. Or, le mariage chrétien n’est pas un signe d’amour, il est un consentement libre et volontaire à une fidélité définitive.

Aude Julienne, conseillère conjugale et familiale - Cabinet « Accordance » à Paris, mariée, 4 enfants.

Ghyslaine Jacques, avocat à la cour, mariée, 7 enfants.

[1] www.cabinet-accordance.fr

Réalisation : spyrit.net