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La doctrine sociale de l’Église

Résurrection

Pourquoi un numéro sur la doctrine sociale de l’Église dans une revue de théologie ? L’enseignement prodigué par le magistère depuis plus d’un siècle face aux mutations provoquées par la révolution industrielle n’est-il pas étroitement lié à des circonstances historiques contingentes, et ne court-il pas de risque d’une rapide obsolescence ?

La dernière encyclique de Benoît XVI, Caritas in Veritate, signée d’un pape théologien, montre au contraire que cette doctrine sociale s’affine et s’approfondit avec le temps, non seulement en fonction des évolutions de notre univers économique, mais aussi et surtout à la faveur d’une authentique réflexion chrétienne fondée théologiquement sur la vérité, en dialogue avec toutes les pensées qui ont marqué le monde contemporain.

Afin de mieux saisir l’impact des encycliques dites « sociales » sur l’implication de l’Église dans les questions économiques, Paul Airiau rappelle les conditions de l’émergence de ces documents pontificaux et les éléments de réflexion qu’ils proposent face à un contexte socio-économique éminemment changeant. Dès lors se pose la question de la pertinence d’une telle doctrine : apporte-t-elle des solutions appropriées aux problèmes du moment ? Est-elle mieux placée que les diverses théories économiques pour anticiper ou prédire ? Plus sérieusement, sa contingence intrinsèque ne pose-t-elle pas la question de sa réelle utilité ? Du moins est-elle la manifestation d’une fonction régulatrice, voire innovante, de l’enseignement social des papes. Et, de manière plus profonde, cette doctrine n’est peut-être en fin compte rien d’autre qu’une réflexion relevant de la théologie morale appliquée à la vie en société.

C’est précisément sur cet aspect que se penche l’article du P. Sentis qui pose la question du statut théologique de la doctrine sociale. Celle-ci est en effet fondée sur l’affirmation fondamentale de la dimension sociale de l’homme, mise profondément à mal par l’individualisme contemporain et ses corollaires : l’auto-détermination de l’individu, la « privatisation » des lois et des comportements, l’absence d’un référent universel en matière de morale privée et publique. Une réflexion authentique sur la question sociale doit retrouver ce référent, qui n‘est autre que la « loi naturelle », véritable fondement anthropologique des sociétés humaines, et principe du droit positif des différentes civilisations. C’est dans ce dynamisme spirituel inscrit en tout homme qu’il convient de rechercher les réponses aux problèmes sociaux rencontrés par les communautés humaines, non sous la forme de solutions toutes faites, mais comme le fruit d’une réflexion et d’un engagement où l’imagination et l’énergie de tous sont hautement nécessaires.

Michel Sollogoub présente de son côté une « réponse russe » aux bouleversements majeurs qui ont ébranlé les pays du bloc soviétique après la fin de l’URSS et la destruction de l’économie marxiste. La brutalité de la transition vers l’économie de marché a provoqué des drames humains autrement plus graves que la crise financière actuelle en Occident, et une réflexion chrétienne a rapidement vu le jour dans ce contexte. La position de l’Eglise orthodoxe semble de prime abord se démarquer de la doctrine sociale catholique sur des questions particulières comme celle de la propriété privée. Mais elle place au centre la liberté de la personne, une certaine dimension ascétique dans l’usage et la consommation des biens, le lien entre l’activité économique et la sanctification du travail humain, et surtout une relativisation des règles du monde capitaliste pour ceux qui, sachant que le Christ les a sauvés de la mort, portent sur le monde présent un tout autre regard. Le point central demeure la dimension ecclésiale et communautaire de l’action sociale, rejoignant par là les réflexions de l’article précédent.

Deux articles plus ciblés viennent compléter cette problématique. Patrice de Plunkett propose une réflexion originale sur la question de l’écologie, qui pourrait prendre le pas sur les problèmes plus classiques de l’organisation de l’économie et de l’équilibre capital/travail, en repensant la notion de destination universelle des biens à la lumière de la fragilité de notre environnement et de la nécessité de le protéger contre une gestion désordonnée des ressources naturelles. Là encore est soulignée la nécessité de penser l’environnement comme une autre forme de bien commun, à protéger et à faire fructifier selon l’intérêt bien compris d’une humanité perçue comme un corps uni et solidaire, et qui peut ainsi proposer un nouvel art de vivre. Enfin, Matthieu Bréjon de Lavergnée développe, à travers l’exemple de la Société de Saint Vincent de Paul, une théorie du don qui prend en compte la nécessité de médiateurs entre le donateur et le bénéficiaire, la question de la dignité du pauvre, et en fin de compte la manière dont une juste pratique de la charité reste sans doute la meilleure solution pour recréer un authentique lien social lorsqu’elle est enracinée dans l’amour du Christ pour tous les hommes.

Réalisation : spyrit.net