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La femme dans l’Islam

Isabelle Rak

La montée du fondamentalisme islamique, en terre d’Islam comme dans les cités des grandes métropoles européennes, a soudainement rendu visible l’étrangeté de la condition féminine en milieu musulman. La société occidentale découvre des mentalités et des pratiques qui heurtent de front les acquis de la modernité, parmi lesquels l’émancipation de la femme et la liberté sexuelle. Tiraillée entre les injonctions tiers-mondistes des maîtres à penser du politiquement correct, pour lesquels tout ce qui n’est pas occidental mérite notre sympathie ou requiert notre repentance, et la (re)découverte de la sujétion des femmes, voire de leur maltraitance, dans certains milieux musulmans, l’opinion publique est tentée par une vision simpliste et caricaturale de cette condition féminine en Islam, vision aggravée par une ignorance à peu près totale du religieux en général et de la religion musulmane en particulier.

Il est très difficile, en effet, de parler d’une religion qui n’est pas vécue de l’intérieur. Les tombereaux d’inepties que nous infligent les médias sur le christianisme le montrent bien. Le risque est grand de proférer des simplifications abusives, voire des erreurs grossières, lorsqu’il s’agit d’évoquer l’Islam et en particulier un aspect aussi complexe que celui du statut qu’il réserve à la femme. Cet article ne sera sans doute pas exempt de telles dérives. Pour limiter les dégâts, nous prendrons comme sources d’information principales l’ouvrage bien connu d’Abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en Islam (PUF, 1975), complété par l’analyse plus récente, et nettement plus féministe de Latifa Lakhbar, Les femmes au miroir de l’orthodoxie islamique (L’aube, 2007). Ces deux auteurs musulmans partagent une analyse de la place de la femme en Islam qui s’attache, tout en défendant la valeur de la doctrine islamique en la matière, à mettre en lumière les problèmes posés par la dérive misogyne d’une interprétation « rigoriste » du Coran et surtout de ses commentaires.

Une sexualité omniprésente

La sexualité en Islam est la base de l’anthropologie : l’homme est d’abord sexué. « La première chose que Dieu a créée chez l’homme, c’est son sexe » dira Abdullah Amr-Ibn Es ‘As. L’Eros est l’absolu par excellence, il englobe toute réalité créée. « La vision coranique de la sexualité est totale et totalisante » écrit Bouhdiba. En effet, la sexualité exprime la volonté de Dieu, le prolongement de sa propre activité créatrice. Le mariage est tout aussi « sacré » chez les musulmans que chez les Juifs ou les chrétiens, et il est compris d’abord comme le lieu privilégié de l’expression de l’amour, humain et divin. Au point que l’amour charnel est placé au même niveau que la prière ou l’aumône. Dans l’acte sexuel, aucune honte ni sentiment de culpabilité : les règles de purification qui lui sont associées ne sont pas de cet ordre, elle relève plutôt d’un besoin de reprendre le contrôle de son propre corps après qu’il s’est abandonné aux pulsions érotiques. L’amour charnel rend l’homme « co-créateur », car il est lui aussi générateur de vie. Cette valorisation de la sexualité est omniprésente au point qu’elle s’étend au Paradis, compris comme un lieu de plaisir et d’accouplement perpétuel.

Cette sexualité profondément charnelle est donc essentiellement fondée sur le biologique. En témoigne l’interdiction de l’adoption, la seule filiation possible étant celle du sang, de la procréation. Il n’y a guère de place ici pour une « paternité spirituelle » que le christianisme déploiera dans les monastères et au-delà. Cette attention portée à cette dimension biologique se traduit également par une ritualisation minutieuse de tous les phénomènes physiologiques, en particulier ceux qui sont liés directement à la vie sexuelle. Le corps est l’objet d’une auto-surveillance constante, les rites de purification sont, aux dires de Bouhdiba, quasiment obsessionnels. Il s’agit de sacraliser sa corporéité en la soumettant sans relâche à des règles de propreté très contraignantes, mais qui manifestent la maîtrise du corps et notamment des pulsions liées à l’activité sexuelle.

Enfin la sexualité est comprise comme manifestation d’une différence radicale entre l’homme et la femme, et refus de tout ce qui pourrait minimiser cette différence. Inutile de préciser que dans ce cadre, l’homosexualité est sévèrement prohibée. Cette différence sexuelle doit être rendue nettement visible, d’où l’importance d’un vêtement féminin bien spécifique, mais aussi de la séparation des sexes qui dans nombre de cas est quasiment totale en-dehors du cercle familial. Les photos de presse de la « rue arabe », d’où toute présence féminine est absente, le montrent clairement même si nos média le passent sous silence. Monde masculin et féminin ont leurs propres codes, leur propre langage. Certains se targuent même de ne jamais regarder en face une femme inconnue [1].

Du plaisir à l’interdit : les deux faces d’une même angoisse

On l’a vu, la vie sexuelle, et en premier lieu le mariage, sont hautement valorisés en Islam. Le mariage est une affaire publique, qui manifeste à l’ensemble de la société la fondation d’un couple destiné à prolonger l’œuvre d’Allah en « créant » à son tour d’autres hommes. Cette dimension sociétale, voire ostentatoire du mariage, témoigne d’une compréhension très juste des enjeux de la procréation au sein d’une communauté humaine qui ne se limite pas à la sphère purement privée. Nos sociétés occidentales gagneraient à redécouvrir cet aspect communautaire à l’heure ou le mariage est abandonné au nom d’une « privatisation » de la vie de couple. Le mariage est aussi et surtout un acte religieux : « un homme qui se marie se rend possesseur de la moitié de la religion » affirme un hadith. En conséquence, le célibat est sévèrement condamné.

Le plaisir charnel est associé intimement à la volonté divine. Selon un très beau hadith, « quand un homme regarde son épouse, disait le Prophète, et qu’elle le regarde, Dieu pose sur eux un regard de miséricorde. Quand l’époux prend la main de l’épouse et qu’elle lui prend la main, leurs péchés s’en vont par l’interstice de leurs doigts. Quand il cohabite avec elle, les anges les entourent de la terre au zénith. La volupté et le désir ont la beauté des montagnes » [2]. Le plaisir sexuel est le sommet de la vie humaine, il a priorité sur tout le reste, il vaut prière, aumône, djihad. Il y a donc en Islam une recherche continuelle de ce plaisir, ce qui explique la réputation de sensualité qui est faite à l’Orient en général et au monde musulman en particulier. De cette primauté du plaisir découle une certaine tolérance de fait vis-à-vis de la prostitution, du moins dans le passé, car cette activité a pour objet de procurer du plaisir. De même, la recherche du plaisir perpétuel et renouvelé encourage la polygamie et le concubinage, l’homme étant encouragé à rechercher de nouvelles sensations auprès de multiples partenaires. D’après Bouhdiba, il y aurait là « quelque chose d’essentiel qui empêche fréquemment le mâle d’être dans nos sociétés l’homme d’une seule femme » [3]. Dans cette vision absolutisée du plaisir, la visée procréative peut être légitimement laissée de côté, d’où l’autorisation de la contraception et même, dans certains cas, de l’avortement. Enfin, nous ne reviendrons pas sur une image du Paradis compris comme lieu d’une activité sexuelle permanente et sans faille.

Cela étant, l’Islam ancien a magnifié une forme d’amour courtois dans lequel l’assouvissement du désir se devait d’être différé au profit d’un quête exigeante de l’amour de la dame, cet idéal semble s’être développé en milieu bédouin, rural, où la vie en plein air ne permettait pas la claustration des femmes et donnait à celles-ci une importance inconnue dans les villes. Il y a une poésie arabe magnifiant l’amour chaste et fidèle, où la femme incarne la beauté, la justice, le bonheur, l’absolu. « La sexualité et la chair se taisent, et c’est l’esprit qui parle » [4]. Notons au passage qu’une telle vision de l’amour semble être corrélée à une société où la femme est davantage présente. Nous y reviendrons.

Un autre aspect de cette valorisation de l’amour charnel est associé à la nécessité de la parole. L’histoire de Shéhérazade dans Les Mille et Une nuits en témoigne. Le roi, pour venger l’affront que lui a fait subir sa première femme en participant à une orgie, fait tuer chaque matin ses nouvelles épouses, jour après jour, au risque de menacer la survie même du royaume qu’il dirige. Shéhérazade met fin à cette pratique atroce en épousant le roi et en lui racontant des histoires. Avide d’en connaître la fin, le terrible souverain lui donne, jour après jour, un sursis qui lui permet d’en commencer une autre. Au bout des fameuses mille et une nuits, un véritable amour s’est établi entre les époux, et le roi s’est réconcilié définitivement avec la gent féminine. La « misogynie » présumée de l’Islam a ses limites : l’homme est tenu de donner du plaisir à la femme, et Mahomet, ce grand amoureux, se montre un défenseur ardent des femmes, du moins lorsqu’il n’est pas obligé de céder aux revendications du très agressif et très misogyne Omar.

Comment en est-on arrivé à ce que l’Islam nous montre malheureusement trop souvent aujourd’hui ? Il semble y avoir un paradoxe flagrant entre cette exaltation du mariage, de l’amour, et du plaisir partagé, et la condition actuellement si peu enviable de millions de femmes soumises aux rigueurs de la charia. Il est vrai que le statut d’infériorité « naturelle » de la femme est l’un des rares points sur lesquels s’entendent les différents courants de l’Islam [5]. « La primauté de l’homme sur la femme en effet est totale et absolue. La femme procède de l’homme… La femme est chronologiquement seconde. » [6] Parce que la femme est créée après Adam, elle doit lui être soumise et lui procure jouissance et accomplissement. Une telle affirmation n’est certes pas spécifique de l’Islam et on en trouverait des échos dans toutes les civilisations, y compris la nôtre. Cependant, le caractère absolu et indépassable du plaisir sexuel tel qu’il est exprimé et obtenu d’un point de vue essentiellement masculin, porte en lui le risque de transformer la femme en pur objet de plaisir et de procréation, son humanité se réduisant exclusivement à ces deux aspects. Certes, dans l’Islam ancien, les grandes hétaïres étaient appréciées aussi pour leurs qualités intellectuelles, mais il s’agit là d’une époque révolue. La vision du paradis islamique est éloquente : l’élu (masculin) est promis à un accouplement perpétuel avec des créatures féminines parfaites, les « houris », dont le nombre va de pair avec l’anonymat le plus total. La place de la femme terrestre dans ce paradis n’est presque jamais évoquée, si ce n’est en des termes très vagues.

La « tyrannie du plaisir », selon la formule acide de Jean-Claude Guillebaud qui en a fait le titre d’un de ses livres [7] conduit donc paradoxalement à la soumission et à la dépréciation du féminin, perçu comme dangereux car générateur de pulsions incontrôlables, et devant pour cette raison être soigneusement contrôlé. L’hypersexualisation de la vision islamique conduit l’homme à craindre que la seule vision de sa femme par un autre soit une atteinte à ses propres prérogatives d’époux. Une relation fondée sur la seule sexualité conduit, comme le montre si bien l’histoire de Shéhérazade, à la négation du féminin, à la violence contre la femme, dont l’enfermement est le premier symptôme. Il y a là de quoi s’inquiéter, et pas seulement pour les musulmans, mais aussi pour nos sociétés où le sexe devient l’indépassable de la relation homme-femme. Dans le rigorisme islamique comme dans les tristes leçons « d’éducation sexuelle » dispensées à nos adolescents, se dégage une même vision d’une sexualité réduite à une mécanique sans amour. Il se peut même que se vive, au sein de familles musulmanes moins perméables que les nôtres à la permissivité ambiante, mais hostiles aux excès de leurs intégristes, une vie amoureuse plus riche et plus subtile que chez nombre de leurs voisins dont les repères éthiques et religieux se sont depuis trop longtemps brouillés…

Que reste-il de la femme après ce sombre tableau, trop bien connu désormais ? Seule la maternité permet à la femme de sortir de cet isolement. Certes, il s’agit là encore d’un aspect essentiellement biologique de la vie féminine, mais elle est pour la musulmane rigoriste le seul moyen d’épanouissement. L’enfant est pour elle ce qui la relie à son époux, il est tout pour elle – et l’enfant est par là soumis à un amour à la fois merveilleux et étouffant. L’enfant reste entièrement dépendant de sa mère, et d’elle seule, jusqu’à son passage à l’âge adulte. On dit avec raison que l’Islam est « le royaume des mères ». Mais par-delà cette extraordinaire valorisation de la maternité, risque de se dessiner une sorte de cercle vicieux : le petit garçon élevé dans un milieu exclusivement féminin risque à l’âge adulte de vouloir se libérer de cette relation fusionnelle en limitant au maximum le rôle de la femme. Et en retour c’est à cause de cette dépréciation que la femme s’investit totalement dans un rôle exclusif de mère qui peut être vécu comme une sorte de compensation de son enfermement.

Tentative d’interprétation théologique

Toutes ces considérations ne sauraient en aucun cas rendre compte de ce que vivent réellement une grande partie des familles musulmanes. Il est à espérer que la plupart ne se reconnaîtront pas dans le tableau peu engageant que nous venons d’esquisser trop sommairement. L’amour, la fidélité, le respect et la confiance n’ont certes pas déserté les couples musulmans, il s’en faut de beaucoup. D’autres sociétés apparemment moins contraignantes pour les femmes restreignent cruellement leur accès à l’existence. On connaît le déséquilibre inquiétant des naissances et de la survie des jeunes enfants – à l’avantage des garçons – dans des pays comme l’Inde ou la Chine. Dans ce dernier pays, les seules zones géographiques où cet « eugénisme sexuel » n’a pas cours sont les régions musulmanes de l’Ouest. Les parents musulmans laissent naître leurs petites filles et en prennent soin aussi bien que de leurs garçons.

Cependant, la difficulté en Islam d’une vraie monogamie, le statut juridique pour le moins problématique de la femme dans la plupart des pays musulmans et la coexistence apparemment contradictoire d’une hyper-sexualisation du monde et d’un rigorisme sexuel parfois effrayant incitent à rechercher les racines du problème au-delà de considérations sociologiques ou anthropologiques. Nous tenterons donc, dans ce qui suit, d’établir une corrélation entre le discours de l’Islam sur Dieu et ce que nous avons entrevu de sa conception de la sexualité.

Le Dieu de l’Islam est tout d’abord anhistorique, comme le reconnaît lui-même Bouhdiba [8]. L’histoire n’est pas porteuse de progrès, le temps n’est pas « orienté » comme dans la tradition judéo-chrétienne, il est ce qui dégrade la pureté du message originel qu’il faut toujours retrouver au-delà des aléas ultérieurs. « En toute chose, rechercher la conformité avec le passé » [9]. Le fondamentalisme, compris comme retour à des sources mythifiées, menace tout particulièrement l’Islam. La vie humaine est un cycle allant « de l’Éden à l’Éden ». La vie future est un retour au jardin perdu, alors que le monde futur est vu par le christianisme comme tout autre, comme une cité « la Jérusalem céleste », qui remplace le jardin des origines. Il en découle, outre le problème métaphysique posé par cette vision du temps, une absolutisation de pratiques anciennes dans lesquelles l’Islam peine à démêler l’essentiel du contingent.

D’autre part, et c’est le point principal, Allah est grand – et il est seul. Il est l’Unique, non seulement dans son essence comme le Dieu des juifs et des chrétiens, mais dans son « économie », réduite d’ailleurs à la portion congrue. Allah n’est pas pour l’Oumma un interlocuteur, un partenaire qui conclut des alliances comme le Dieu d’Abraham. Il ne parle pas à Mahomet « comme un ami parle à son ami », contrairement au Dieu de Moïse. Il ne se place pas dans un rapport réellement dialogal avec son prophète ou la communauté des croyants. Et bien sûr il ne se manifeste pas sous cette forme plurielle des trois envoyés qui annoncent à Abraham la naissance d’Isaac. Le Dieu de Mahomet est seul face aux hommes, seul en lui-même enfin. Il ne peut donc y avoir d’analogie entre l’amour divin et l’amour humain, ce dernier restant voué à l’inconstance et à la fragilité des circonstances, des désirs et de la liberté humaine qui, dans le domaine de la sexualité, demeure souveraine face à la volonté de Dieu. « Fonder la sexualité sur la liberté et l’autonomie de la personne, c’est admettre forcément la précarité et la relativité ; en matière sexuelle, la volonté de Dieu s’efface devant la volonté de l’homme » [10]. Tout est dit : l’amour humain, tout béni par Dieu soit-il, reste fragilisé par une liberté humaine qui, dans ce contexte, se rapproche étrangement de la « liberté d’oscillation » chère à nos contemporains…. Enfin, cette solitude divine s’étend à l’homme lui-même. Si la femme est à peine reconnue comme une personne, et si la perspective de la procréation peut être légitimement écartée, voire supprimée, au profit du seul plaisir, celui-ci reste désespérément solitaire. La béatitude du croyant s’accouplant sans relâche avec ses houris anonymes se réduit alors à un isolement tragique.

Et cette solitude est en fin de compte mortifère. Chez les extrémistes contemporains, le Paradis est la récompense du suicide comme instrument du meurtre de masse. La seule avancée concédée par certains religieux à la participation des femmes à ce paradis sexuel est liée à leur implication dans cette œuvre de mort. Ce sont les femmes kamikazes qui se voient reconnaître l’accès au Paradis et au commerce de beaux jeunes gens [11] ! Le lien entre le sexe et la mort, tellement fantasmé dans tant de cultures, revêt ici une terrible réalité.

La vision biblique : Alliance et épousailles

Par contraste, la vision biblique de Dieu nous dit tout autre chose. D’abord parce que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob intervient personnellement dans l’histoire de certains hommes et d’un peuple particulier. L’histoire est orientée vers un salut promis, vers un événement qui advient au cœur même du temps. Elle est donc ce chemin qui conduit vers un accomplissement, le passé ne saurait remplacer le présent et encore moins devenir l’idéal vers lequel il faudrait constamment revenir. D’autre part, la différence sexuelle n’est pas spécifique à l’homme, elle est le lot de toutes les espèces animales. La sexualité ne saurait donc être le tout de l’humanité, la création « ultérieure » de la femme signifie bien que l’être humain ne peut être enfermé dans la seule différenciation biologique des sexes. En revanche, Ève est créée pour qu’Adam accède à la parole et donc à sa pleine humanité. La sexualité est donc indispensable à l’homme, mais d’abord comme découverte de l’altérité et de la parole échangée, avant sa dimension biologique que l’homme partage avec les animaux.

D’autre part, le récit de la création de la femme n’avalise pas sa prétendue infériorité ou sa dépendance vis-à-vis de l’homme. L’antériorité d’Adam n’est comprise comme supériorité que dans une vision du monde où le passé est supérieur au présent – comme dans l’Islam. Dans la vision biblique, le récit de la création d’Ève vise à montrer deux choses : que la femme est de même nature que l’homme (« voici la chair de ma chair et l’os de mes os ») et que l’homme n’est pour rien dans sa création puisqu’il dormait lorsque Dieu a façonné Ève. Si ultérieurement Dieu prédit à la femme que l’homme dominera sur elle, c’est uniquement en tant que conséquence du péché originel, qui brise l’équilibre des relations homme-femme et les conduit à l’affrontement où c’est le plus fort qui triomphe. Il ne s’agit aucunement d’une situation de nature.

Enfin, le Dieu des Juifs et des chrétiens est le Dieu de l’Alliance, un Dieu qui intervient dans leur histoire et leur propose un lien concret de partenariat, où l’homme est appelé à jouer un rôle actif. Le Dieu de la Bible n’est pas seul : il dialogue avec l’homme, il s’engage avec lui dans une relation dont il est le garant, permettant ainsi à l’homme d’imiter cette fidélité inaliénable qui lui est rendue accessible en vertu de sa propre ressemblance avec le Créateur. Et cette Alliance n’est pas uniquement comprise selon le modèle politique des alliances dans l’ancien Orient : elle est décrite et vécue sous un mode sponsal. L’alliance de Dieu avec son peuple est un mariage indissoluble, car c’est Dieu lui-même qui donne à l’homme la grâce nécessaire à cette fidélité impossible. « Je te fiancerai à moi pour toujours », dit le prophète. Alliance portée à sa plénitude par le Christ, l’Époux du cantique, qui a aimé son Église et s’est livré pour elle. Seule une telle vision permet d’échapper à la tyrannie du plaisir dévorant et, en fin de compte, aliénant et pour la femme et pour l’homme s’il n’est pas fondé sur une théologie dans laquelle l’équilibre entre fusion et distance est réellement atteint dans l’image des noces du Christ et de l’Église.

Isabelle Rak, née en 1957, mariée. Professeur des Universités (Sciences Physiques) et chercheur à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Membre des comités de rédaction des revues Communio et Résurrection.

[1] « Avez-vous remarqué que je ne vous regarde pas ? » dira le maire d’une ville algérienne à Martine Gozlan venue l’interviewer (M. Gozlan, Le Sexe d’Allah, Livre de Poche Biblio-Essais, 2004, p. 124).

[2] Cité par A. Bouhdiba, op. cit. p. 110.

[3] Ibid. p. 273.

[4] Ibid. p. 136.

[5] Latifa Lakhdhar, op. cit. p. 31.

[6] A. Bouhdiba, op. cit. p. 20.

[7] Jean-Claude Guillebaud, La tyrannie du plaisir, Seuil, 1998.

[8] A. Bouhdiba, op. cit. p. 12-13

[9] Ibid. p. 14.

[10] Ibid. p. 123.

[11] Voir Martine Gozlan, op. cit., p. 100-101.

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