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La paix des cimes (François Mauriac)

Éditions Bartillat, 588 pp. Édition établie par Jean Touzot.
D.L.G.

Mauriac : 1948-1954.

Mauriac, juste après la guerre, sait, quand il le faut, appeler un chat un chat, et un communiste un menteur doublé d’un ennemi de la religion catholique. Mauriac se tient, face à l’histoire-en-train-de-se-faire, vigilant et ferme.

Les recueils d’articles de journaux vieux de cinquante ans sont impitoyables. Les brumes de l’histoire ont été dissipées. Les faiblesses morales, erreurs politiques, jugements hâtifs apparaissent dans la lumière sans concession d’une histoire déjà faite.

Mauriac, dont on vient de faire paraître en un seul volume les chroniques écrites dans le Figaro littéraire entre 1948 et 1955 (superbement présentées par Jean Touzot), tient l’épreuve du temps et le choc de l’histoire. Cette lecture est du plus grand intérêt. Mauriac traverse tous ces événements (et Dieu sait qu’ils furent, dans cette période, nombreux et tragiques) avec une même inquiétude chevillée au corps, un même émerveillement de lecteur infatigable, une même conscience chrétienne de la justice, une même allergie au mensonge - surtout s’il est d’État. Le romancier ne joue pas à être journaliste. Il l’est de plain pied -comme il le sera plus tard dans ses fameux blocs-notes. « Je tiens, quant à moi » dit-il en octobre 1951, « que le courage, chez ceux qui sont appelés à éclairer l’opinion, consiste à serrer du plus près possible la réalité politique, et non de se donner les gants de n’en pas tenir compte sous prétexte que l’on est un esprit libre. »

Jamais il ne faiblit face aux mensonges et intimidations des nervis intellectuels du P.C.F - dont, à l’époque, Pierre Daix, Claude Morgan, André Wurmser. En apportant son soutien à Kravenchenko, lors de son procès, en 1949 et à David Rousset, en 1950, il s’en prend tout à la fois à la servilité coupable des scribes communistes et prête son oreille attentive aux dépositions de Marguerite Buber-Neumann - communiste allemande réfugiée en U.R.S.S. avant la guerre et que Staline livra à Hitler qui l’envoya aussitôt à Ravensbruck. Lors de la parade de procès fait au cardinal hongrois Mindszenty, en 1949, il affirme que les communistes sont « les ennemis les plus froidement déterminés de l’Église catholique ». Quant à Simone Tery, propagandiste communiste qui s’indignait du seul sort d’un communiste grec, il la renvoie « aux trente millions d’esclaves des camps de travail ». Aux yeux de Madame Simone Tery, dit-il, qui baise la « main la plus sanglante de l’histoire contemporaine », celle de Staline, « les Russes ne sont pas punis parce qu’ils sont coupables, mais il sont coupables puisqu’ils sont punis. ».

Il dit la vérité concentrationnaire des régimes communistes ; il intervient aussi (et peut-être surtout) dans le champ de la littérature française. L’athéisme de Sartre (plus théorique) l’inquiète moins que celui de Gide - ce dernier, vieil ennemi, qualifié « d’adversaire le plus redoutable ». Par contre, au sujet de la diarrhée dialectique sartrienne appliquée à « saint » Jean Genet (et, pour Sartre, d’une sainteté plus grande que celle de Thérèse d’Avila), Mauriac s’en prend à l’admiration toute française pour la dialectique quand bien même le point de vue défendu serait absurde ou inepte. Il renvoie Genet, « Orphée de la pègre, onaniste inspiré », à Rimbaud et conclut : « il y a pis que le vice et que le crime, c’est l’utilisation littéraire du vice et du crime ». Telle est la leçon de Rimbaud. Quand Cocteau, en 1951, s’en prend à l’Église, dont la mission serait de « régir les consciences », il lui lance : « tu as passé ta vie à attraper les courants d’air ». Il ne cesse de redire son enthousiasme pour les écrivains de sa jeunesse et, entre autres, au Barrès de Sous l’œil des Barbares. Admirateur de Claudel, il assiste à la représentation de ses pièces et se désole quand, lors de la représentation de l’Échange, le public, trop imbu de son importance, « congèle » ce chef-d’œuvre. Pour lui, le théâtre, en lui-même, est moins important que « le vide en nous qu’il s’efforce de combler ».

Quant à son christianisme, Mauriac le place à la source de son comportement politique. Sa foi, faite d’inquiétude et d’angoisse, est d’abord, dit-il, un acte : « de même que la prière est un état, la foi est un acte ». C’est pourquoi, souvent, il s’en prend aux grenouilles de bénitier et à toutes les formes de « ghetto catholique ». Sensible, dès 1948, au travail des prêtres-ouvriers (aimés des cardinaux Suhard et Feltin et soutenus pour partie par le P. Congar), il s’en prend, en janvier 1952 et en octobre 1953, à ceux qui dénoncent sans retenue la morsure communiste sur le clergé « avancé ». Mauriac, conscient de ce risque mais aussi de celui d’un enfermement à droite, met en lumière les responsabilités douloureuses de l’Église quant à sa séparation d’avec les ouvriers. Ces prêtres-ouvriers donnent le Christ à une masse ouvrière déchristianisée et se coltinent au réel tel qu’il est. Et s’il faut se soumettre, comme il le fera à contrecœur en 1954, il le fait en faisant part de sa douleur. Alors même qu’ils sont sanctionnés (entre autres, les PP. Chenu, Congar, Feret), Mauriac défend les Dominicains, exalte « l’esprit dominicain » « esprit de liberté au sein de l’Église, en étroite union avec le Siège de Pierre ». Il reconnaît les imprudences, les positions aventureuses mais indique, haut et fort, qu’avec ces sanctions « l’aile marchante » de l’Église de France est atteinte.

Dans toutes ces pages, nous retrouvons l’humanité souffrante de Mauriac et toujours, avec bonheur, son écriture magnifique : griffue quand il le faut, ramassée en des formules fulgurantes, traversée par de belles perspectives historiques, un brin nostalgique, toujours au bord de l’introspection, sensible aux oiseaux du ciel et aux vignes des terres bordelaises, ferme face aux barbaries et toujours intelligente. N’en doutons pas : Dieu est un artiste. Mauriac aussi.

Réalisation : spyrit.net