La prédication et l’Église chez Eckhart et Nicolas de Cues. (sous la direction de Marie-Anne Vannier)

Ouvrage collectivement rédigé par plusieurs chercheurs spécialistes en philosophie et théologie médiévale, ce livre est très difficile d’accès pour le grand public, pas familiarisé avec la pensée de Nicolas de Cues, Maître Eckhart, Jean Tauler, Henri de Suso et autres personnalités marquantes parmi les mystiques rhénans du XVème siècle. Il présente l’avantage d’être extrêmement riche, tant par la diversité des éminents auteurs qui ont contribué à sa rédaction en écrivant chacun un ou plusieurs chapitres – Jean-Pierre Torrell introduit l’objet d’étude de l’ouvrage en développant le rôle du prédicateur chez saint Thomas d’Aquin, Klaus Reinhardt analyse très précisément le thème des Noces de Cana dans un sermon déterminé de Nicolas de Cues – que par la diversité du sujet et des objets d’étude abordés. Cet ouvrage contient aussi bien des lectures et interprétations, parfois ligne à ligne, de plusieurs sermons de Nicolas de Cues ou de Maître Eckhart, qu’une étude générale d’un thème qui traverse plusieurs sermons du même auteur, par exemple l’action de l’Esprit Saint dans l’Église selon Nicolas de Cues ; et contrairement à ce que le titre laissait présager, l’ouvrage ne se limite pas à l’étude de ces deux maîtres, mais il pratique fréquemment des excursions, durant un chapitre entier, chez d’autres théologiens et prédicateurs, tels Jean Tauler, Albert le Grand, etc.

Le matériel sur lequel les spécialistes s’appuient est très riche, mais il offre l’inconvénient d’être le plus souvent parfaitement inconnu du lecteur : en effet, par exemple, il s’agit d’étudier le rôle du prédicateur d’après les sermons latins de maître Eckhart et non d’après ses sermons allemands ; or les sermons latins de maître Eckhart ne connaissent pas encore d’édition française (l’introduction à l’ouvrage nous précise que celle-ci est en cours de préparation par Jean Devriendt). Plusieurs textes analysés sont novateurs pour la recherche, mais la complexité et la richesse vont de pair avec un certain manque d’unité, faute d’un fil conducteur clairement exposé et repris dans chaque chapitre. Le mouvement général de l’ouvrage pourrait en effet sembler clair pour un lecteur superficiel : étude du rôle du prédicateur et de l’Église chez Eckhart et Nicolas de Cues, comme l’annonce le titre, en partant des origines jusqu’aux prolongements dans l’histoire de la pensée ; évolution de ces thèmes depuis la pensée de st Thomas d’Aquin (pour qui la prédication a pour but l’édification spirituelle du corps du Christ) pour aboutir, par exemple, au dernier chapitre, à des parallèles (avec leurs limites) entre la pensée de l’Église chez Nicolas de Cues et chez Pic de la Mirandole. Mais le va-et-vient entre les thèmes, les auteurs, et les textes étudiés fait que ce fil directeur n’est pas aisément repérable : ni le plan du livre ni le contenu de ses différents chapitres ne sont justifiés par rapport à cette thématique ; et le livre donne surtout l’impression d’être la juxtaposition de différents travaux de chercheurs, chacun très intéressants en soi, mais sans qu’il soit possible de les mettre réellement en rapports les uns avec les autres.

Une grande finesse dans l’analyse est donc à mettre au crédit des auteurs, avec une étude parfois ligne à ligne de certains textes qu’ils considèrent comme majeurs, tels que par exemple l’analogie entre le travail du prédicateur et celui d’un boulanger dans le sermon XLI de Nicolas de Cues (texte qui, une fois n’est pas coutume, est intégralement reproduit dans le corps de l’ouvrage).

Nous conclurons en disant que ce livre constitue une œuvre-clé pour quiconque s’intéresse à la pensée de la prédication et de l’Église chez Nicolas de Cues et d’Eckhart, mais qu’il est aussi ardu que riche, et nécessiterait chez le lecteur un véritable travail de recherche, ne serait-ce que pour pouvoir lire les textes sur lesquels les chercheurs s’appuient, et surtout pour constituer au préalable dans son esprit une problématique générale qui permette de rassembler les différentes parties du livre.