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La rigueur des choses. (Jean-Luc Marion, Dan Arbib)

Paris, Flammarion, coll. Essais, 2012, 297 p.
J. de Guillebon

Quelles que soient les réserves que l’on puisse émettre sur sa phénoménologie, ou sur la phénoménologie tout court, le professeur et Immortel Jean-Luc Marion révèle dans ce livre d’entretiens qu’il donne à Dan Arbib son génie de la didactique et de la synthèse. C’est qu’il parvient, dans cet exercice acrobatique qui consiste à parler de soi quand on est l’auteur d’un discours philosophique, à se livrer en même temps sous son jour le plus humain, le plus philosophe, et le plus catholique, sans aucun faux-fuyant, et dans une netteté assez rare pour qu’on la retienne. Il y fait surtout, consciemment ou non, à travers le résumé succinct de sa vie, l’histoire d’une époque, l’histoire de sa génération intellectuelle.

Comblé d’honneurs aujourd’hui et au faîte de la gloire médiatique et universitaire, l’ancien disciple de Mgr Maxime Charles retrace à bâtons rompus et sans plan préconçu, d’apparence, le chemin qui, depuis une thèse sur Descartes au début des années soixante-dix, l’a mené jusqu’à l’Académie et à la chaire Étienne Gilson de la Catho, en passant par la Sorbonne et Chicago.

Pour le lecteur qu’intéresse d’abord l’histoire des idées contemporaine, la première partie du livre, où il décrit avec délectation sa formation intellectuelle et catholique, est passionnante. Ainsi, on voit le jeune Marion qui, dès 1967, entraîné par son camarade de khâgne Jean Duchesne, se retrouve à diriger Résurrection, la revue de Mgr Charles, le grand pasteur du Sacré-Cœur de Montmartre, alors qu’il ne connaît encore rien à la théologie. Mais ce meneur d’hommes dans l’âme qu’est Mgr Charles les initie bien vite, lui, et ses condisciples comme Rémi Brague, à Lubac, à Daniélou, à Bouyer, et à Urs von Balthasar.

Étourdissant enseignement, vu d’ici. Parallèlement, le jeune philosophe devient, après sa thèse sur Descartes, l’assistant de Ferdinand Alquié à la Sorbonne. C’est alors que, avec ses compères, ils vont lancer, sous l’impulsion d’Urs von Balthasar, la version française de la fameuse revue Communio en 1975. Née des tensions qui traversaient alors la revue Concilium, du fait de ceux qui s’opposaient à « l’esprit du concile », comme Josef Ratzinger, elle irriguera la pensée théologique jusqu’à aujourd’hui.

Guéri, dit-il, des sirènes médiatiques par la publication de L’Idole et la distance qui à l’époque le fait confondre avec les Nouveaux philosophes, Jean-Luc Marion consacre alors sa vie et à une nouvelle compréhension de Descartes et à l’élaboration d’une phénoménologie neuve, française et inspirée. Si ce n’est pas le lieu ici de discuter de la pertinence et de l’effectivité des concepts qu’il formule, comme la réduction ou les phénomènes saturés, il faut accepter que cette entreprise philosophique demeure comme l’une des plus vivantes et fructueuses du dernier quart de siècle européen. On reprochera seulement à l’auteur de ne pas se détacher entièrement de son animosité fondamentale pour la philosophie analytique anglo-saxonne et d’être parfois injuste avec Gilson ou Bergson, qui l’on pourtant précédé sur de nombreux points de sa pensée.

Restent de très beaux passages de ce catholique qui s’est fait philosophe, notamment sur l’adoration eucharistique comme moyen de prière dialogique et sur l’inutilité de « rechercher Dieu » puisque, dit-il, Son existence est plus sûre que la nôtre et que rien ne lui est extérieur. Et l’on mesure la dette de sa génération vis-à-vis de celle qui la précéda quand il déclare : « Il ne m’arrive jamais d’écrire une ligne sans me demander ce qu’en penseraient Hans Urs von Balthasar, Jean Daniélou, Jean Beaufret, Emmanuel Levinas ou Michel Henry.  »

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