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Laïcat catholique et société française. Les Comités catholiques (1870-1905). (P. Daniel Moulinet)

Paris, Cerf, coll. Histoire religieuse de la France, 2008. 582 p.
Paul Airiau

La mode serait-elle à l’étude des œuvres laïques ? On peut le penser, et le Père Daniel Moulinet, professeur d’histoire religieuse contemporaine à l’Université catholique de Lyon, propose, avec la publication de son habilitation à la direction de recherche soutenue en 2004, sa contribution à ce chantier en cours. On peut y voir les effets a posteriori de l’effondrement d’une Action catholique que les soucis de contrôle doctrinal et l’ecclésiologie de Pie X, clairement accentués par Pie XI, avaient largement et puissamment cléricalisée. On peut y voir aussi un effet décalé des mutations de l’ecclésiologie assumée dans la constitution dogmatique sur l’Église, Lumen gentium, lors de Vatican II. On peut y voir enfin, à la lumière de l’incertitude des possibilités de l’Action catholique dans les temps qui sont les nôtres, une réévaluation des modalités de l’engagement catholique au XIXe siècle, longtemps considéré comme ce temps horrible durant lequel le catholicisme ignorait la réalité sociale – image fausse bien sûr, mais image encore trop prégnante.

Quoi qu’il en soit de ces considérations intempestives, l’ouvrage du Père Moulinet peut servir de bonne base de départ pour comprendre ce qui s’est passé et ce qui exista comme formes et modalités de la mobilisation sociale et socio-politique du catholicisme français entre la fin de la Guerre de 1870 et la Séparation des Églises et de l’État. Il offre ainsi un travail qui s’inscrit dans des recherches partiellement inabouties, engagées il y a plus de dix ans par des spécialistes d’histoire religieuse contemporaine, et consacrées aux congrès catholiques, une des formes particulières de la mobilisation ecclésiale, des années 1870 aux années 1940.

Car l’enrôlement catholique dans des organisations aussi diverses que variées fut intense, tant dans la défense religieuse (maintenir des positions acquises, lutter contre les lois de laïcisation et leurs conséquences) que dans ce qui devint le mouvement catholique, cet ensemble multiforme d’œuvres et de réalisations destinées à reconquérir les masses et une société dont on pensait qu’elles avançaient à grands pas vers un athéisme généralisé promu et alimenté par la République. Les Congrès parisiens et nordistes, ainsi que leurs déclinaisons diocésaines, en furent une expression privilégiée, servant de vitrine des réalisations du catholicisme français.

Le P. Moulinet montre bien combien les soucis religieux ont pu y croiser les soucis politiques, tant la République était alors considérée, à partir de ce qu’en disaient les républicains, comme plus qu’une forme politique – une idéologie proprement antichrétienne. Il peut ainsi souligner l’importance des modèles étrangers (la Belgique, les Katholikentage allemands), et les inflexions chronologiques et spatiales liées au développement d’un anticléricalisme européen (le souci d’une coordination continentale de la résistance catholique surgit après 1870 et forme ce qu’on appelle l’Internationale noire), à l’installation de la République, à son orientation plus ou moins anticléricale, aux choix tactiques de Léon XIII (le Ralliement), aux choix socio-politiques typés qui composent les instances dirigeantes de ces Congrès catholiques multipliés (Charles Chesnelong en particulier).

La masse des documents exploités, l’importance numérique des hommes engagés, le poids des réseaux, empêchent une analyse approfondie et systématique de tout ce qui se réalisa. Mais la conclusion propose une synthèse des caractéristiques générales des Congrès catholiques français avant la Séparation. Et les chapitres du cœur de l’ouvrage (deuxième à quatrième partie), ainsi que le CD-Rom d’annexes (qui offre une masse de documents qui ne peut qu’impressionner lorsque l’on songe au travail que représente leur sélection et leur reproduction, même avec les actuels moyens informatiques), font en fait de cette habilitation un important outil pour repérer des personnes, des sujets, des œuvres, des thèmes et des enjeux, qui invite à la rapprocher de dictionnaires plus conventionnels. Ainsi, outre la lecture continue ou celle qui exploite la table des matières, une autre possibilité s’ouvre : un parcours à partir des index, spécialement celui des œuvres et groupements.

On pourra alors repérer l’importance de la Société de Saint Vincent de Paul, comme œuvre matricielle ; le poids de la Société générale d’éducation et d’enseignement ; l’existence d’un Syndicat agricole de Poligny, de la Ligue des Retraitants, de la Maison de famille de l’ouvrier, de l’Œuvre des enfants tuberculeux, ou de l’Atelier Saint Generosus. Bref, avant Prévert, les Congrès catholiques avaient inventé l’inventaire étonnant, quoi qu’ils procédassent aux classements des réalisations en fonction de leur thème. C’est la richesse de l’ouvrage du P. Moulinet d’en offrir ici un recensement aussi abondant que possible, qui rappelle la multiplicité et l’ampleur des formes de l’engagement catholique à la fin du XIXe siècle.

Paul Airiau, marié, huit enfants, né en 1971. Diplômé de l’IEP de Paris, agrégé et docteur en histoire, enseignant dans un établissement public (ZEP) de l’Académie de Paris.

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