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Le P. Bouyer et la prière eucharistique n° 3

P. Michel Gitton

Le pape Paul VI, au moment où se mettait en place le nouvel Ordo Missæ, avait émis le souhait que, à côté de l’ancien Canon romain (devenu la prière eucharistique no 1), à côté des anaphores empruntées plus ou moins littéralement à saint Hippolyte de Rome (prière eucharistique no 2) ou à saint Sérapion de Thmuis (prière eucharistique no 4), les prêtres puissent disposer ordinairement d’une prière eucharistique de facture plus homogène, permettant de mieux souligner le mouvement de la prière de l’Église, à ce moment capital où elle devient la prière même du Christ. C’est au P. Louis Bouyer, spécialiste incontesté des liturgies eucharistiques anciennes, membre à l’époque du Conseil pour l’application de la Réforme liturgique, que revint cette tâche, qui ne fut pas une sinécure. Les délais étaient très serrés et le père raconte, dans ses mémoires [1], qu’après avoir travaillé à marche forcée il devait apporter sa copie, « comme un collégien », à la Porta dei Campani, à l’entrée des palais du Vatican, où l’attendait un émissaire de Mgr Bunigni. Par la suite, Louis Bouyer nous faisait la confidence qu’il ne pouvait décidément pas prier sur un texte qu’il avait écrit lui-même sur une table de café au Trastevere !

Ces péripéties mises à part, on reste frappé, après plus de quarante ans d’usage, par la qualité de l’œuvre de l’oratorien aujourd’hui disparu. L’Église dispose grâce à lui d’une prière eucharistique, qui, sans singer aucune de celles qui existent, retrouve comme naturellement le mouvement qui constitue le cœur de l’antique eucharistia, à la fois louange et imploration pour que Dieu se souvienne de ses hauts faits (c’est cela « faire mémoire ») et les réalise dans le don qu’il nous fait, toujours à neuf, du sacrifice de son Fils.

Le rôle du Saint Esprit, dont on a souvent souligné l’absence dans le Canon romain (même s’il est sans doute sous-entendu dans le mot de bénédiction), est ici remarquablement mis en avant. Non seulement on le trouve dans le grand appel à l’Esprit qu’on désigne sous le nom d’épiclèse (épiclèse double, à la vérité, car on appelle d’abord l’Esprit sur le pain et le vin avant la consécration, et on l’invoque encore pour qu’il vienne sur les fidèles, après la consécration), mais sa présence agissante dans toutes les œuvres de Dieu est mise plusieurs fois en valeur, notamment dans l’oraison post Sanctus qui est un petit chef d’œuvre. En voilà la traduction française :

Tu es vraiment saint, Dieu de l’univers,
et toute la création proclame ta louange,
car c’est toi qui donnes la vie,
c’est toi qui sanctifies toute chose par ton Fils, Jésus Christ, notre Seigneur,
avec la puissance de l’Esprit Saint ;
et tu ne cesses de rassembler ton peuple
pour qu’il te présente partout dans le monde une offrande pure.

Trois œuvres de Dieu sont ici mentionnées : le don de la vie, la sanctification et le rassemblement des hommes dans l’Église, achèvement du projet de Dieu qui, nous ayant renouvelés intérieurement, nous réunit en un seul corps. L’allusion à la phrase du prophète Malachie (1, 11) est ici évidente : en tout lieu, un sacrifice d’encens est présenté à mon nom, ainsi qu’une offrande pure, car grand est mon nom parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant. On remarque que seule la deuxième de ces œuvres reçoit un traitement explicitement trinitaire, mais il est évident que ce qui est dit d’une d’entre elles vaut des deux autres...

Nous avons encore beaucoup à méditer sur ce texte qui est déjà comme un jalon de la Tradition vivante de l’Église.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] Malheureusement inédites à la date d’aujourd’hui.

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