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Le Saint sacrement

Isabelle Rak

Pourquoi l’Eucharistie est-elle, parmi les sept sacrements, le seul à être appelé saint ? Comment cette expression, si familière pour nous, de « Saint Sacrement », peut-elle nous aider à mieux comprendre ce qu’est la sainteté de Dieu lui-même ? C’est en revenant aux sources bibliques et patristiques, où la sainteté divine est d’abord présentée comme séparation, que nous appréhenderons sa manifestation dans le Corps eucharistique du Christ.

Le Dieu saint de l’Ancien Testament

Ce que l’on appelle le « sens du sacré » est couramment compris par les ethnologues comme le saisissement éprouvé par l’homme devant une divinité qu’il ressent comme infiniment mystérieuse et supérieure. Les interventions naturelles et historiques de Dieu, même dans la Bible, remplissent les hommes de terreur et d’effroi, telles les manifestations de sa « gloire » comme le Buisson ardent ou le Sinaï fumant (Ex 19, 16), ou la victoire sur l’Égypte (Ex 14, 25). Cette peur est présente dans la plupart des paganismes ; peu exprimée de nos jours dans les civilisations industrielles, elle est peut-être d’autant plus redoutable qu’elle est refoulée par la rationalité - ou du moins son apparence - d’une société technologiquement « avancée ».

Le Dieu de l’Alliance : un Dieu séparé

Cette terreur sacrée ne suffit pas pour ramener l’homme à Dieu : même les démons tremblent devant Lui, écrit saint Jacques (Jc 2,19), mais ils restent des démons. Mais elle peut aider à faire comprendre que Dieu est le Tout-Autre, infiniment supérieur à l’homme, complètement différent, en un mot, « séparé », c’est-à-dite « saint ». L’humilité d’Abraham témoigne de cette distance non seulement quantitative, mais aussi et surtout qualitative : « Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur, moi qui ne suis que poussière et cendre » dit Abraham avant de demander la grâce de Sodome (Gn 18, 27). Relisons à ce propos ce commentaire d’Origène :

« Soyez saints » dit le Seigneur, « car moi aussi je suis saint ». Qu’est-ce à dire « car moi aussi je suis saint » ? Ceci : moi, je suis à l’écart et séparé, loin de tout ce qu’on adore et honore, sur terre comme au ciel ; moi, je surpasse toute créature, je suis à l’écart de tout ce qui a été créé par moi ; de même, vous aussi, soyez à l’écart de tout ceux qui ne sont pas saints ni dédiés à Dieu [1].

Dans la même perspective, le théologien protestant Karl Barth nous met en garde contre l’usage de toute extrapolation de nos concepts et de nos représentations pour parler de Dieu : « Dieu n’est pas la majuscule des grands sentiments humains ».

Une sainteté partagée

Compris comme radicalement différent de ses créatures, le Dieu d’Israël peut dès lors entrer en relation avec l’homme sans l’anéantir : c’est l’Alliance, par laquelle un peuple « passe » du côté de Dieu, et entre par là même dans sa propre sainteté. C’est pourquoi Israël est « mis à part », il devient un peuple séparé, ce dont témoigne en premier lieu la circoncision, qui est elle-même séparation, coupure. Le même mot désigne en hébreu sainteté et séparation (qodesh). Plus encore, cette séparation est également présente au sein de ce peuple, de par l’élection particulière des Fils de Lévi ; elle fait partie de l’espace sacré, comme le signifient les différentes parties du temple et en premier lieu la définition de l’espace divin, le Saint des Saints. Les règles de pureté, parfois arides ou étranges au lecteur moderne, relèvent elles aussi de cette volonté de séparation : beaucoup d’entre elles visent à interdire la « confusion » de ce qui ne doit pas être mélangé : l’interdit de l’inceste constitue naturellement le précepte le plus fort en cette matière, mais on peut signaler d’autres exemples qui témoignent du souci minutieux d’intégrer cette notion dans la vie quotidienne :

Tu n’accoupleras pas dans ton bétail deux bêtes d’espèces différentes, tu ne sèmeras pas dans ton champ deux espèces différentes de graines, tu ne porteras pas sur toi un vêtement en deux espèces de tissu (Lv 19, 19).

Pour certains personnages bibliques, la mise à part s’accompagne d’un changement de nom attribué par Dieu lui-même : Abraham, Sarah, Jacob, Pierre. Pour d’autres, c’est Dieu lui-même qui leur donne un nom avant leur naissance : Isaac, Jean-Baptiste, et Jésus, bien sûr. Aujourd’hui encore, les moines et moniales prennent un nouveau nom au moment où ils se consacrent à Dieu. Notons encore que dans le cas d’Abraham et de Sarai, leur nouveau nom (« Père d’une multitude » et « princesse », respectivement) est débarrassé de la connotation possessive de l’ancien : Ab(i)ram signifiait « mon père est roi », Saraï « ma princesse » : signe de la libération du paganisme ancien et de sa « possession ».

La sainteté et ses exigences

L’homme ne peut pas d’emblée participer pleinement à cette sainteté divine, et Dieu ne veut pas le transformer sans la participation de sa volonté propre. C’est pourquoi nous avons besoin d’une pédagogie, d’exercices qui nous permettent de mieux comprendre cette distance, afin de pouvoir rencontrer Dieu tel qu’il est, et non pas tel que nous aimerions qu’il soit. D’où l’importance, dès l’Ancien Testament, du rite, dont Dieu n’a pas vraiment besoin (il le redira à plusieurs reprises par la voix des prophètes) mais qu’il donne à l’homme pour l’amener, au moins par la participation de son corps, à reconnaître et à comprendre cette sainteté. Il ne s’agit pas ici de gestes magiques qui donneraient l’illusion de « contrôler » la divinité : beaucoup de rites de pureté juifs invitent au contraire à tout consacrer à Dieu, jusqu’aux gestes les plus ordinaires de la vie quotidienne. D’autre part, l’impureté, si redoutée dans l’Ancien Testament, se rapporte le plus souvent à ce qui peut porter atteinte à la vie, ce qui en est une perte partielle (le sang) ou totale (la mort). Ces prescriptions apparemment déroutantes enseignent en fait que tout ce qui n’est pas donné, consacré à Dieu, est perdu, la mort étant la conséquence de ce refus du don.

La sainteté du don : le sacrifice

Seuls sont sanctifiés ceux et ce qui est donné à Dieu : c’est le sacrifice. C’est pourquoi, dans l’Ancienne Alliance, le sang, impur lorsqu’il est versé dans des circonstances « profanes », devient au contraire purificateur lorsqu’il est répandu pour le Seigneur. D’où l’importance du sacrifice d’animaux (celui des hommes, on le sait, est interdit depuis Abraham mais est remplacé par un sacrifice de rachat, au moins pour les premiers-nés, cf. Ex 13, 11-16), où l’homme, par le sang répandu offre, symboliquement, sa vie même. C’est pourquoi l’offrande de Caïn n’est pas acceptée : le fils aîné d’Adam et Ève n’offre que des végétaux, alors qu’Abel sacrifie les premiers-nés de son troupeau. On offre, dans le sacrifice, ce qu’on a de meilleur, une bête sans défaut, donnée avec générosité et sans arrière-pensée.

La sainteté, agir de Dieu, agir comme Dieu

« Moi, Dieu, je dis et je fais ». Cette formule revient souvent dans l’Ancien Testament. Dieu fait tout ce qu’il dit, plus encore, sa parole est immédiatement suivie d’effet. Et il demande à l’homme de faire comme lui, d’agir conformément à la parole, c’est-à-dire à la Loi qu’il leur a donnée. Cette obéissance est demandée de manière tellement immédiate qu’elle semble même devoir précéder l’écoute « nous ferons et nous écouterons » répond le peuple à Moïse lors de la conclusion de l’Alliance (Ex 24, 7). D’où le caractère arbitraire de certains préceptes : ils existent pour éduquer l’homme à l’obéissance. La réponse immédiate et concrète est le signe effectif du don de soi, de l’engagement et de la confiance de l’homme en Dieu. Paradoxalement, cette obéissance où l’homme semble tellement soumis à Dieu, le rapproche de Lui et le met en sa présence. En se reconnaissant comme totalement dépendant de son Créateur, il retrouve son état d’avant la chute, le moment même de sa création, et retrouve du même coup sa liberté aliénée par son péché. « Obéir au plus Haut, c’est être libre » écrit le philosophe contemporain Emmanuel Lévinas [2].

Bien sûr, cette obéissance aux préceptes a pour objet principal le service de Dieu et du prochain. On oublie trop souvent que le commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même » est énoncé pour la première fois dans le Lévitique (19, 18), le livre le plus soucieux des règles de pureté. Dans la Loi, adorer le Dieu unique et aimer les autres hommes ne forment pas les deux termes d’une dialectique, ces deux exigences sont intrinsèquement liées. Les préceptes de justice sociale les plus concrets sont immédiatement suivis de l’affirmation fondamentale : « Je suis le Seigneur votre Dieu » (cf. Lv ch. 19). Ainsi, Dieu peut parler à l’homme parce qu’il lui a d’abord appris sa transcendance.

La sainteté du Christ

Les Évangiles de l’enfance ne sont pas une concession au merveilleux, mais l’affirmation de la mise à part de Jésus dès sa conception, par sa naissance virginale d’une femme préservée du péché originel. Le nom de Jésus lui est donné par l’Ange du Seigneur, signe éminent de son élection. Marie tient la clé de cette mise à part dès l’origine et en observe les effets en silence. Durant la vie publique du Christ, sa filiation divine se manifeste par sa maîtrise des éléments naturels, ce qui provoque d’ailleurs l’effroi chez les Apôtres (Mc 4, 41), les miracles, et des manifestations plus directes de sa divinité, à la Transfiguration par exemple. Les gardes venus l’arrêter sont saisis de crainte (Jn, ch.18). Le Christ lui-même prend ses distances vis-à-vis du monde, comme en témoignent son détachement des biens matériels, son célibat, inhabituel pour un maître en Israël, sa liberté de ton et de comportement, et l’autorité qui se dégage de ses paroles. Son discours après la Cène rappelle clairement aux Apôtres qu’il n’est pas de ce monde (Jn, ch. 17).

Un homme au milieu des autres et pourtant séparé

Et en même temps, le Christ a vécu la vie d’un homme comme les autres, dans la simplicité et la banalité d’une vie cachée (pendant trente ans !) qui ne le distingue guère de ses concitoyens de Nazareth et rendra par là même sa prédication impossible dans la ville où il a grandi. Il mène l’existence d’un Juif pieux de son époque, obéissant aux commandements, participe avec entrain aux festivités et aux banquets, ce qu’on ne manquera pas de lui reprocher lors de sa vie publique. La matière même du sacrement de l’Eucharistie qu’il institue à la Cène est constitué des éléments les plus humbles de l’alimentation de l’époque. Et c’est précisément ce contraste entre la manifestation de sa souveraineté messianique et cette existence toute humaine qui provoque l’incompréhension, voire l’hostilité de ses contemporains.

La Passion, suprême séparation

Cette tension entre une sainteté venue d’ailleurs et une humanité si semblable à la nôtre culmine bien sûr dans le sacrifice de la Passion. Jamais le Christ n’est plus solidaire de l’homme que dans une mort que pourtant il ne porte pas en lui même. Et en même temps, il est rejeté de l’humanité, non seulement parce qu’il est trahi ou abandonné par ses disciples et rejeté par ses compatriotes, mais par la manière dont il meurt, puisque, selon l’Écriture même « maudit soit quiconque est pendu au gibet » (Dt 21,23). C’est la Loi donnée par Dieu lui-même qui le rejette hors de l’humanité, et c’est peut-être aussi en ces termes que l’on peut comprendre son sentiment d’abandon total par son Père « Eli, Eli, lama sabactani ». Sur la Croix, là où son humanité se fait vraiment la nôtre, Jésus éprouve en même temps la séparation suprême, non seulement du monde des vivants, mais de son Père lui-même. Il est véritablement, en cet instant, complètement « séparé » de tout. Mais parce que cette séparation n’est pas celle du réprouvé, parce qu’elle n’est que « Oui » total au Père, elle est sainteté et non pas damnation, elle fait passer toute son humanité, et donc la nôtre, du côté de la sainteté divine, elle comble l’abîme de la mort qui séparait l’homme de son Créateur. Par son sacrifice, le Christ résout la tension entre l’infinie transcendance de Dieu et sa constante sollicitude envers son peuple.

Ainsi, le Christ n’est que don. La manière dont il se donne, c’est d’être donné. Il se donne en permanence au Père dans la vie intratrinitaire, c’est pourquoi il est appelé le Saint de Dieu. Il y identification totale de celui qui donne et de celui qui est donné. Comme le dit la liturgie, « il est à la fois l’autel, le prêtre et la victime » [3].

Le Saint - Sacrement

Comment discerner dans le sacrement de l’Eucharistie, et plus encore dans les espèces eucharistiques où notre rite latin nous invite à l’adorer même en dehors du sacrifice de la messe, la transcendance de Celui qui s’y rend présent ? Car la présence réelle n’en est pas moins cachée. Les apparences du pain et du vin sont comme la main posée au-dessus de Moïse lors du passage de la gloire de Dieu (Ex 33, 22-23), elles indiquent une transcendance qui ne peut pas encore se laisser contempler à visage découvert, elles nous ramènent au mystère d’un Dieu présent parce que caché, et qui par là même veut préserver notre liberté. Mais leur aspect on ne peut plus prosaïque constitue une difficulté indiscutable, et nous avons parfois besoin d’être aidés dans notre perception de la présence du Fils éternel. La beauté, voire la splendeur des objets dévolus au culte eucharistique constituaient à cet égard une pédagogie réconfortante.

La réponse de l’homme

Le retour à une simplicité qui se veut « évangélique » a fait disparaître des manifestations de piété jugées ostentatoires, voire triomphalistes, reléguant - du moins dans notre pays - les processions de la Fête-Dieu au rayon de pratiques folkloriques révolues, et préférant aux calices dorés une grossière vaisselle de grès. La liturgie eucharistique étant devenue elle-même particulièrement dépouillée dans bien des cas, et la pratique du sacrement de Réconciliation de plus en plus limitée, comment dès lors comprendre l’Eucharistie comme le sacrement par excellence de la sainteté de Dieu dans son sens pleinement biblique ? L’extrême fragilité, la petitesse, la vulnérabilité du Corps et du Sang eucharistiques sont la marque de la confiance extrême du Christ envers les hommes auxquels il « livre » son corps et son sang pour être avec nous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. Un minimum d’honneur et de respect envers ce qui nous est donné de voir et de toucher du Fils de Dieu semble une réponse naturelle, et qui devrait être spontanée, à cette confiance. Non pas tant pour exprimer une sorte de terreur sacrée dont nous avons évoqué plus haut les ambiguïtés, que pour répondre à cette « délicatesse » divine par des marques visibles d’une affection aimante et émerveillée. Le saint Corps du Seigneur mérite bien ces petites attentions parfois touchantes inventées par les fidèles, comme le dais portatif, les fleurs, la clochette à son passage, ou toute autre signe d’amour et de respect. Comment retrouver des gestes, renouveler une esthétique qui permette de faire transparaître, à travers la simplicité des apparences du pain et du vin, à la fois la grandeur divine qui les habite et la réponse de l’homme au don que le Christ fait de son propre corps ?

Sainteté et communion

La sainteté du sacrement de la présence corporelle du Fils est communicative : elle nous fait entrer dans la sainteté même de Dieu. « Aux saints les choses saintes » disait une ancienne formule de l’Église primitive avant la consommation des espèces eucharistiques. D’où l’expression « communion » utilisée pour désigner ce moment privilégié de la liturgie de la messe. Par l’union corporelle des fidèles à l’unique Corps du Christ, c’est l’Église qui se construit et se fortifie, c’est ainsi qu’elle devient elle-même le Corps du Sauveur. Par là même, la possibilité de « communier » au même sacrement devient le signe de l’union des Églises entre elles, et a contrario, le signe de leur division lorsque cette communion devient impossible. Si la sainteté divine peut se démultiplier à l’infini par la dispensation de l’Eucharistie, elle est aussi ce qui manifeste la rupture.

« Moi, Dieu, je dis et je fais »

L’Eucharistie est le seul sacrement où le signe soit en même temps réalité. En cela, Dieu réalise immédiatement ce qu’il promet. C’est aussi l’une des marques de sa sainteté que cette identité entre le dire et l’agir, et qui le distingue radicalement de sa créature. Or, dans la réception de l’Eucharistie, le fidèle est tenu de se conformer à l’attitude de son Seigneur, comme celui-ci l’exige déjà de son peuple dans l’Ancienne Alliance : « Soyez saints comme je suis saint ». Jésus lui-même insiste sur la nécessité de se réconcilier avec son frère avant de porter une offrande à Dieu, saint Paul s’indigne en voyant les manquements à la charité lors des repas eucharistiques (1Co 11, 21). Conformément à cette exigence de sainteté constamment exprimée dans la Bible, l’Église n’a cessé de demander aux fidèles de recevoir le Corps du Christ dans des dispositions conformes à la sainteté de Celui qui se donne en nourriture, notamment en proposant l’usage du sacrement de Pénitence pour bien s’y préparer. Les formules pénitentielles reviennent à plusieurs reprises dans la messe romaine, sans parler des rituels orientaux où la formule « Seigneur, prends pitié » revient des dizaines de fois ! Il ne s’agit pas de nous éloigner de l’Eucharistie dans un esprit de scrupule et de terreur sacrée, mais de nous y préparer en prenant au sérieux l’exigence d’une réponse concrète à l’amour qui nous est ainsi donné. Pratiquer la communion systématique sans recourir au sacrement de Pénitence risque de nous installer dans une bonne conscience béate qui ferait l’économie des commandements auxquels le Christ lui-même s’est soumis pendant sa vie terrestre. La sainteté se manifeste par des actes concrets et responsables. Sans cela, la communion devient la réception d’une chose et non l’accueil d’une personne.

Gestes, rites, actes de pénitence et observance des commandements nous rappellent aussi que tout ce qui est créé est appelé à participer à la sainteté que le Seigneur nous offre de partager avec lui. Les signes de purification (eau, encens, signes de croix...) ne sont pas des survivances archaïques de pratiques vétéro-testamentaires dont le dernier Concile ne nous aurait pas encore débarrassé : ils nous sont donnés pour comprendre que tout est appelé à être récapitulé dans le Christ et que, conformément à l’intuition déjà exprimés dans les rituels et les préceptes de l’ancienne Alliance, « tout ce qui n’est pas donné est perdu ». Entrer dans la sainteté de Dieu, c’est tout lui donner, ou plus exactement lui rendre tout ce qu’il nous a donné.

Devenir ce que nous sommes

C’est ainsi que, transformés par l’Eucharistie en Corps du Christ, l’homme, loin de s’approprier ce sacrement pourtant si vulnérable, est approprié par lui. Rappelons la belle formule de saint Augustin « vous devez être ce que vous voyez et devez recevoir ce que vous êtes » (Sermon 272). Ce n’est pas le Corps eucharistique qui est absorbé par l’homme, c’est ce dernier qui devient ce qu’il a mangé. Par là il entre en communion avec la Trinité et toute l’Église du ciel, comme l’expriment avec solennité les rituels des Églises orientales. Par un mouvement simultanément ascendant et descendant (cf. le songe de l’échelle de Jacob), le Christ, en donnant son propre corps en nourriture, nous fait accéder à son intimité avec le Père. En présentant au Père le sacrifice eucharistique, c’est toute l’Église qui, anticipant la récapitulation de toutes choses en Dieu, est entraînée par le sacrifice du Christ dans la sainteté même de Dieu.

Isabelle Rak, née en 1957, mariée. Professeur des Universités (Sciences Physiques) et chercheur à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Membre des comités de rédaction des revues Communio et Résurrection.

[1] Origène, Homélies sur le Lévitique, Coll. Sources chrétiennes, Cerf, Paris, 1981, tome II, pp. 147-149).

[2] Emmanuel Lévinas, La Révélation dans la Tradition juive, p. 68.

[3] Cinquième Préface de Pâques dans le missel romain de Paul VI.

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