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Le Sens spirituel de la liturgie

P.B.

Sous le titre de Sens spirituel de la liturgie, c’est un monument de la tradition d’exégèse spirituelle de la liturgie que l’on retrouve dans la traduction nouvelle du Livre IV du Rational des divins offices de Guillaume Durand, évêque de Mende. En effet, cette somme liturgique (de l’époque de la Somme théologique), est un commentaire qui repose sur l’héritage des auteurs antérieurs, de la liturgie la plus « commune » du temps, c’est-à-dire romaine. ; l’auteur est un évêque appartenant à l’administration pontificale, et qui fut enterré à Santa Maria sopra Minerva.

La traduction par Dominique Millet-Gérard, est accompagnée d’une préface de la traductrice, et d’une introduction par le P. Claude Barthe. Ainsi, le livre ne s’adresse guère pas tant aux seuls spécialistes qu’aux lecteurs prêts à redécouvrir la beauté et la richesse – parfois de nouveau voilées – de la liturgie, prêts à renouer avec un génie à l’œuvre dans l’architecture des cathédrales, avec la cohérence perdue de la théologie et de la liturgie, dirait Péguy. C’est un appel à l’émerveillement que formule le Prologue de ce Rational : « Toutes ces choses pleines de symboles et de mystères divins que sont les offices, les objets liturgique et les ornements de l’Église, débordent d’une douceur céleste pour ceux qui, les scrutant avec amour, savent extraire le miel de la pierre et l’huile du plus dur rocher ». Plus dur rocher qu’est devenue notre sensibilité, car dans l’exigence de l’allégorie, elle n’a plus appris à lire amoureusement l’office divin…

Comme le genre de l’ouvrage le demande, le latin scolastique se plie à l’explication : la traductrice en a respecté l’aspect didactique. Le latin biblique est traduit, tandis que les formules de la messe, restées en latin, sont données dans la traduction du missel tridentin, en annexe à la fin du livre.

Sens spirituel ou sens mystique de la liturgie : « De même que le commentaire traditionnel de l’Écriture recherchait, outre le sens littéral du texte, le sens spirituel (Jonas restant trois jours dans le ventre du poisson signifie mystiquement le Christ au tombeau), le commentaire de la liturgie mettait en lumière sa signification mystique (l’encensoir et ses charbons ardents représentent l’humanité du Christ brûlante de charité). » Ainsi le titre joue-t-il également sur une métaphore : le pectoral (ou sachet que le grand prêtre portait sur la poitrine, ou « dans l’écrin de son cœur ») portait les deux mots Doctrina et veritas, traduits par Durand de Mende : « manifestation et vérité ». Dominique Millet-Gérard montre l’épaisseur des sens du titre de Rational, herméneutique selon les quatre sens de l’Écriture , poétique (l’esthétique n’y est pas séparée de la vérité), et parénétique : il vise à « élever l’âme du lecteur ». Tout y est correspondance, aimanté par l’unique sacrifice du Christ. Comme le remarque Dominique Millet-Gérard, « frappante est la volonté d’exhaustion du sens, dans une civilisation qui ne laissait rien au hasard : ainsi, même des pratiques contradictoires trouvent une justification, grâce à la labilité des symboles » (sans compter les étymologies fantaisistes) – labilité, mais en même temps inépuisable et diverse gravité de signification. Et conscience très forte des pouvoirs du langage, d’autant plus qu’elle a affaire à la rhétorique de l’Absolu, disant dans la messe « la plénitude du sens ».

Consacré précisément à la messe, le livre IV est comme la pointe de la liturgie : s’y rejoignent, pour n’être qu’un, « L’Esprit et la lettre », dans le « sacrifice de signification » . L’élucidation des figures liturgiques tend à la coïncidence exacte entre la vérité et la figure, dans le « sacrement de l’autel ». Ce livre suit les étapes de la messe en faisant l’exégèse des gestes et des paroles du célébrant. L’explication des diverses fonctions et représentations liées à l’encensement, chanté dans les psaumes, en est un exemple marquant. Le commentateur accorde moins souvent des remarques aux fidèles participants ; c’est avant tout une exégèse du rôle du prêtre, et avant tout en ce qu’il est conformé au Christ. Ainsi sont expliquées la gauche et la droite de l’autel par rapport à la Révélation, et au Christ. Non seulement les explications sont riches, multiples parfois, pour développer les significations d’une expression, mais encore elles sont très belles. Il faut lire le bref préambule à l’explication du canon :

Nous avons prévu ici de nous livrer à une explication du canon. Et pourtant, tout ce que nous nous efforçons d’exposer en vue de cette explication nous semble de bien peu de poids. La langue se dérobe, les mots s’évanouissent, l’esprit est écrasé, l’intelligence dépassée. Je frapperai néanmoins à la porte, pour que mon ami me donne trois pains qui seront bien nécessaires à ce repas, à savoir : la foi qui demande et reçoit la vie ; l’espérance qui cherche et trouve la voie ; la charité qui frappe et ouvre la porte à la vérité.

Après avoir conjuré le risque de mutisme apophatique, il faut embrasser l’autre versant du langage religieux, et abonder sur l’infinité des sens qui en même temps dévoilent un mystère unique. Ceci est pourtant fait dans une sobriété de langue (dont on a souligné le caractère didactique) qui rend l’aspect simple et presque transparent du signe, par le regard de foi que Guillaume Durand porte sur ce mystère en inépuisable et continuel dévoilement. Ce sont alors les matières, les parties chantées ou non, les lettres mêmes par lesquelles sont inaugurées les formules (le T, par exemple, de Te igitur, rapproché du Tav et de la forme de la Croix), qui sont rattachées à la tradition hébraïque puis au Nouveau Testament qui l’accomplit, et expliquées avec minutie.

Référence incontestée jusqu’au XVIIème siècle (il sera ensuite lu notamment par Monsieur Olier), le Rational avait ensuite été oublié, à mesure qu’étaient discrédités le recours à l’allégorie, le goût médiéval pour l’analogie. Lorsqu’ils le liront avec fascination, Huysmans qui s’y réfère dans La Cathédrale, puis Paul Claudel, grand commentateur de la Bible, seront sensibles à cette révélation du signe, que le courant symboliste littéraire de leur époque ne faisait qu’approcher. Au même moment, le Rational est repris par Dom Guéranger, qui en fait plutôt une relecture selon son intérêt historique. Peut-être faudrait-il maintenant en retrouver la substance nourrissante, pour comprendre et aimer à travers cet ouvrage ce qui constitue un lien essentiel entre la Bible et l’Église, à travers la tradition.

Réalisation : spyrit.net