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Le choc des cosmologies : 2.500 ans d’histoire - perspectives théologiques (Pascal Génin)

éd. Lessius, coll. Donner raison n° 53, Théologie, 2016, 274 pp.
Roland Hureaux

Le choc des cosmologies qu’a écrit le P. Pascal Génin est moins une thèse que l’histoire de l’évolution de la question du monde – singulièrement de son origine – à travers l’histoire. L’ouvrage croise théologie, philosophie et science, avec plus de philosophie au début et plus de science à la fin, sans les confondre mais pour en montrer les corrélations. Clair et documenté, ce pourrait être un manuel.

Qu’y apprend-on ? Que l’héliocentrisme est antérieur à Copernic : Aristarque de Samos (IIIe siècle avant JC), le cardinal Nicolas de Cues (XVe siècle) l’avaient envisagé. Ce dernier ne rencontra aucune objection du magistère, pas plus que Copernic qui fut expert scientifique au Ve Concile de Latran (1512), pour préparer la réforme du calendrier que devait réaliser le pape Grégoire XIII en 1582.

La dimension personnelle et politique de l’affaire Galilée est bien décrite : la désinvolture méprisante du savant s’est conjuguée avec la politique internationale pour conduire à la malheureuse affaire que l’on sait – et qui n’empêcha pas que le pape continue à lui verser la pension qu’il lui avait attribuée deux ans avant le procès ! La personnalité complexe de Newton est également bien évoquée.

Surprise d’apprendre que le savant Laplace, déterministe emblématique, était un catholique croyant, en tous les cas est mort en chrétien.

Ce texte montre combien certaines découvertes scientifiques conduisant à remettre en cause l’éternité du monde furent combattues avec une passion qu’on ne soupçonne pas toujours, d’abord par les scientifiques athées qui y virent des agressions. Maxwell avait dit que le principe d’entropie conduisait à la foi en Dieu et c’est pour cela que Nietzsche ou Haeckel la récusèrent avec tant d’obstination. Même le Kulturkampf la combattit ! Ce déni apparaît aussi dans une lettre de Engels à Marx : « il n’y a qu’à attendre que les curés s’emparent de cette théorie ».

Même hostilité à la thèse du big bang jusqu’en 1966 (découverte du rayonnement de fond de l’univers), défendue seulement par Lemaître qui était prêtre et par Gamow qui était alcoolique, combattue par Einstein dont l’autorité était grande. Nous apprenons qu’Alexandre Friedmann, le premier à parler d’un univers en expansion, était un croyant orthodoxe. Pour David Bohm, les tenants de cette théorie sont seulement des « traîtres » à la science, pour V.E. L’lov, cosmologiste stalinien, « l’expansion de l’univers est une tumeur cancéreuse qui gangrène l’astronomie ». Si en Occident cette thèse pouvait conduire à la marginalisation, en URSS, Génin le rappelle justement, des dizaines d’astrophysiciens furent envoyés à la mort parce qu’ils la soutenaient ou en étaient soupçonnés. Le choc des cosmologies a été parfois mortel !

Il est difficile de tout dire en 250 pages sur un sujet si vaste. Disons quand-même les quelques regrets que nous laisse l’ouvrage : la philosophie grecque semble commencer à Platon : on aurait aimé un mot des présocratiques. Si l’auteur nous révèle les spéculations audacieuses de Jean Scot Érigène qui, au temps carolingien, tenta de réconcilier éternité de l’univers et création, comme plus tard Avicenne, il semble arrêter le Moyen Âge à saint Thomas d’Aquin, passant sous silence les spéculations de Maître Eckhart qui reprit brillamment cette tentative mais fut condamné.

On s’étonne que la théorie de l’entropie soit uniquement rapportée à l’allemand Clausius sans référence au jeune Français Carnot qui l’avait pourtant devancé de vingt-cinq ans. Comment peut-on simplifier le Syllabus au point d’écrire qu’il « inscrit l’opposition de la science et de la théologie dans le magistère d’Église ? »

Sans être un spécialiste, on peut se demander si le calcul de la page 184, qui additionne l’expansion de l’univers dans un sens et dans l’autre pour évaluer son diamètre total, est bien compatible avec la relativité.

Mais ces petites observations sont minimes face à un ouvrage qui demeure une utile synthèse pluridisciplinaire.

Roland Hureaux, ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud et de l’ENA, agrégé d’histoire, rédacteur en chef de Résurrection de 1975 à 1976, auteur de Jésus et Marie-Madeleine (Perrin, 2005), et de Gnose et gnostiques des origines à nos jours (DDB, 2015).

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