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Le face-à-face entre le Père et le Fils

A partir de la lecture du « Jésus de Nazareth » de Benoît XVI
J.S.S
Qui m’a vu a vu le Père (Jn 14, 9)

Le livre de Benoît XVI cherche à réconcilier le « Jésus historique » et le « Christ de la foi », dont les deux figures avaient fini par être dangereusement distinguées par un certain courant de l’exégèse historico-critique libérale contemporaine. Cette dernière avait profité des encouragements de l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII et surtout de la constitution Dei Verbum de Vatican II encourageant l’une et l’autre la recherche exégétique pour se développer et devenir la démarche scientifique dominante, au risque de dénaturer le portrait de Jésus par une relecture essentiellement contestataire de la véracité des Évangiles, en particulier celui de saint Jean. Sans entrer plus profondément dans ce débat qui fait le cœur de l’avant-propos de l’ouvrage du pape, il nous faut plutôt nous intéresser à comprendre la démarche du Saint-Père pour évoquer la figure de Jésus, du baptême dans le Jourdain jusqu’au moment de la Transfiguration. Il analyse Jésus surtout à partir de « sa communion avec le Père, qui est le centre proprement dit de sa personnalité ; (car) sans cette communion, on ne comprend rien et, grâce à elle, le Christ se rend présent à nous encore aujourd’hui » (p. 9). L’originalité du Pape est de replacer la relation Père – Fils au cœur du message de Jésus, comme ce qui éclaire tout et donne sens au reste. Jésus parle véritablement à partir de la vision du Père, il enseigne à partir du dialogue ave le Père. Le dialogue constitue la vie du Christ. Toute exégèse ou enquête historique qui ne respecte pas cela conduit inévitablement à une réduction du message de Jésus. En posant d’emblée ce postulat de départ, Benoît XVI évite cet écueil, en montrant que cette clé herméneutique est celle qui permet d’unifier le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. En reprenant ainsi sa démarche, on peut essayer de retracer ici les grandes lignes de la relation Père – Fils en les nourrissant des sources bibliques commentées par Benoît XVI dans son ouvrage. Comme il l’explique dans son introduction, à la différence du prophète Moïse qui n’a vu Dieu que « de dos » pour reprendre l’expression du livre de l’Exode (33, 23), le Christ est Celui qui vit devant la face de Dieu, en qualité de Fils, entretenant une union intime parfaite avec le Père. C’est donc à partir de ce fondement révélé que nous relirons le Jésus de Nazareth de Benoît XVI, en nous intéressant au plus près à cette relation filiale, qui est au cœur de la foi chrétienne, et sans laquelle le message de l’Évangile n’aurait qu’un intérêt seulement historique ou au mieux philosophique. Il s’agit de savoir comment la relation Père – Fils a été et nous est révélée aujourd’hui, et surtout de savoir en quoi la nature de cette relation filiale doit se concrétiser dans notre vie de croyant.

1 - Une révélation progressive de la relation Père – Fils.

Cette relation est apparue mystérieuse, car l’accomplissement de l’Ancienne Alliance n’avait pas été interprété par ses contemporains comme la venue du Fils de Dieu lui-même pour le salut du monde et le rachat du péché originel. Dans son tout premier chapitre, Benoît XVI évoque la scène du baptême de Jésus, ce moment crucial de la révélation de la nature du Fils aux yeux des premiers baptisés. Les quatre Évangiles racontent, de façon à chaque fois un peu différente, que « le Ciel se déchira » (Mc 1, 10), « s’ouvrit » (Mt 3, 13 ; Lc 3, 21), et que l’Esprit descendit sur Lui « comme une colombe » (Mc 1, 11 ; Lc 3, 22). Selon saint Matthieu, une voix « venue du ciel » retentit et déclara à ceux qui étaient réunis autour de lui : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j’ai mis tout mon amour » (Mt 3, 17). Cette voix du Père, que nous retrouvons plus tard lors de la Transfiguration, proclame la nature de la mission de Jésus parmi les hommes, en se référant au « premier chant du Serviteur » (Is 42, 1) : « Voici mon Serviteur que je soutiens, mon élu en qui mon âme se complaît. J’ai mis en lui mon esprit ». Cette mission n’est pas de faire quelque chose de précis, mais d’apporter Dieu. Jésus est le « Fils bien-aimé » et c’est à Lui que Dieu a remis son amour divin. Benoît XVI profite de son étude du récit pour contester une exégèse libérale du baptême, selon laquelle Jésus aurait découvert à ce moment-là sa vocation parmi les hommes de son temps. Au contraire, nous dit le Saint-Père, Jésus est le Fils bien-aimé et non pas un homme prophète. Cette parole du Père demandant au Fils d’être ce qu’Il est et doit être, reprend en écho la citation d’Isaïe, tant commentée par Jean le Baptiste (Lc 3, 4) : « Une voix proclame : préparez à travers le désert le chemin du seigneur. Tracez dans des terres arides une route aplanie pour notre Dieu » (Is 40, 3-5). Il est demandé à Jésus, non pas d’accomplir une œuvre, même d’envergure divine, mais de dévoiler progressivement la face de Dieu aux hommes. Tout le mystère de la vie de Jésus tient là, en cette explication de la mission de Fils, et l’étonnant parcours au milieu de ses contemporains de Palestine s’explique à nous dans cette affirmation du Père, qui introduit la vie publique du Christ.

C’est lors des épreuves de la tentation au désert que la relation Père – Fils nous apparaît encore plus clairement. Le but recherché par le diable est de pervertir cette relation, de la mettre à l’épreuve et de la discréditer finalement. Dès la première tentation, le diable demande au Christ de prouver ce qu’il prétend être, afin de devenir crédible : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains » (Mt 4, 3). La demande du grand miracle et de la preuve indiscutable traverse tout le parcours de Jésus. Dans ce combat contre les trois tentations de l’avoir, du pouvoir et du savoir, dont Jésus sort largement vainqueur, il est intéressant de souligner que le tentateur cite, en les détournant de leur finalité, les sources bibliques pour justifier ses propositions (Ps 91, 11-12). D’où la citation par Jésus du livre du Deutéronome (6, 13) en réponse au tentateur pour affirmer sa nature pleinement divine, à l’égal du Père : « c’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras » (Mt 4, 10). Lorsqu’il s’est ainsi révélé comme Fils, le ciel s’ouvre au-dessus de lui et les anges le servent (Mt 4, 11), ce qui accomplit le psaume 91 [90], 11 : « Il a pour toi donné ordre à ses anges de te garder en toutes tes voies ».

Un peu plus loin, Benoît XVI profite de son commentaire sur « le sermon de la montagne » pour expliciter davantage la relation Père – Fils. Tout d’abord, cette allocution se déroule sur la montagne, lieu de prière de Jésus, et de son face-à-face avec le Père. C’est justement pour cela qu’elle est aussi le lieu de son enseignement, qui procède de l’échange le plus intime avec le Père. À la différence de Moïse qui redescend vers le peuple pour révéler le Décalogue, le Fils, lui, fait venir la foule à son mystère. La montagne était la chaire de Moïse ; pour Jésus, elle est le « nouveau Sinaï ». Jésus s’assied là comme un plus grand Moïse, « qui étend l’alliance à tous les peuples ». La montagne des Béatitudes est le lieu pour Dieu de révéler son amour et sa douceur, qui permet au « nouveau Moïse » d’accomplir sa parole, la « Torah définitive ». Les Béatitudes ne sont pas l’antithèse néotestamentaire du Décalogue comme cela a pu parfois être dit, mais au contraire un accomplissement des commandements de l’Ancienne Alliance. Benoît XVI voit dans la septième Béatitude (« Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu »  ; Mt 5, 9), une indication précieuse pour comprendre le rôle de Jésus. Jésus est le Fils, et il l’est réellement. C’est ce qui fait de lui le vrai Salomon, car il est celui qui apporte la paix. « Faire œuvre de paix appartient par nature au fait d’être fils », nous dit le Pape. La Béatitude refléterait donc la promesse du Seigneur à David : « c’est en ses jours (ceux de Salomon) que je donnerai à Israël paix et tranquillité. Il bâtira une maison à mon nom, il sera pour moi un fils et je serai pour lui un père, j’affermirai le trône de sa royauté sur Israël pour toujours » (1 Ch 22, 9-10). De même, à l’imitation du Fils, il est demandé aux auditeurs de Jésus sur la montagne (et par conséquent à nous-mêmes, le peuple des croyants) de se réconcilier avec Dieu, pour faire la paix, et se préparer à sa venue dans la gloire.

Pour envisager la relation entre Père et Fils, il s’agit aussi de s’intéresser aux « pouvoirs » du Fils. Jésus ne serait-il que l’ « amour » et le Père « la toute-puissance » ? Afin de sortir de cette naïve et fausse explication, il faut s’attacher à comprendre l’autorité du Fils dans son enseignement, notamment par le commentaire de la « Torah du Messie ». En effet, on attendait dans la tradition juive que le Messie apporte une Torah renouvelée, « sa Torah ». Au cours de son enseignement sur le respect de la règle du Sabbat, qu’on assimile trop facilement à une distance à prendre à l’égard du strict formalisme des pharisiens, il est important de voir que Jésus se conçoit comme la Torah lui-même. Le rabbin Neusner, sans doute beaucoup mieux que l’exégèse libérale d’un Adolf Von Harnack ou d’un Rodolf Bultmann réduisant Jésus à sa seule personnalité historique, a su voir dans son livre A Rabbi talks with Jesus l’importance symbolique de cette volonté du Christ de se placer comme l’accomplissement de la Loi. Jésus a voulu se constituer comme un élément essentiel de la cohésion du peuple de Dieu, de sa pleine et entière autorité. C’est au Fils que revient l’autorité de dire ce qui doit et ne doit pas être fait, même lorsqu’il s’agit en l’occurrence du sabbat, soit l’un des fondements de l’ordre social d’Israël pour les juifs (Ex 20, 8). Au même titre que le Dieu inscrivant par son doigt les règles du Décalogue une à une (Ex 31, 18), Jésus est la Torah, et non pas un prophète apportant une Torah, même renouvelée. Mais, le Christ a profité de l’ambiguïté pour dévoiler sa face de Dieu aux hommes progressivement, selon la réponse qu’ils faisaient à son amour.

La révélation de la relation Père – Fils, qui est le centre de la Révélation de Dieu aux hommes, est demeurée privée dans un premier temps pour ne pas scandaliser trop tôt, ou pour mieux se faire comprendre par les signes réalisés et les paroles prononcées. Cette révélation « privée » s’est faite par miracles successifs devant les apôtres. Lorsque Jésus marche sur les eaux du lac pour rejoindre la barque de ses disciples et calmer la tempête, ce sont les seuls disciples qui reconnaissent sa véritable nature. En effet, les disciples restés dans la barque affirment après avoir vu ce spectacle : «  vraiment tu es le Fils de Dieu !  » (Mt 14, 22-33). Toutefois, c’est surtout au moment de la Transfiguration, que la vérité est révélée de manière privée aux trois disciples Pierre, Jacques et Jean, toujours sur le lieu symbolique de la montagne. Le Christ apparaît dans toute sa splendeur au côté de Moïse et d’Élie. Une voix se fait entendre dans la nuée : « Celui-ci est mon Fils bien aimé. Écoutez-le » (Mc 9, 7). De ce récit fondamental, qui attribue au Père les mêmes paroles qu’au moment du baptême, Benoît XVI tire le commentaire suivant : « La nuée sacrée, la shekhinah, est le signe de la présence de Dieu lui-même. La nuée au dessus de la tente de la Révélation indique la présence de Dieu. Jésus est la tente sacrée au dessus de laquelle se trouve la nuée de la présence de Dieu, et à partir de laquelle cette nuée couvre de son ombre les autres aussi » (p. 344). Sur la montagne, Moïse a reçu la Torah. Cette fois, c’est Jésus lui-même qui est Parole de la Révélation divine elle-même. L’éclat de cette cérémonie grandiose où le Christ ne se révèle qu’à un petit nombre choisi, au lieu de s’accomplir devant une foule innombrable, est un signe de la nécessaire préparation à la révélation divine, y compris pour les apôtres pourtant intimes de Jésus. La relation Père – Fils n’est pas une évidence : pour entrer dans ce mystère, qui fait appel à la foi, il faut y être préparé au préalable par le Fils lui-même.

2 - Il faut la foi pour accepter la relation Père – Fils

Au contraire de ses contemporains, même bien intentionnés, qui souhaitaient faire de lui un « prophète qui serait revenu », « Élie », « Jérémie » ou « Jean le Baptiste » (Mc 8, 28 ; Mt 16, 14 ; Lc 9, 19), le Christ s’est attaché à faire découvrir sa vraie nature. Parmi les affirmations de Jésus sur lui-même, on peut citer celle de « Fils de l’homme », qui est la plus particulière car cette expression était inédite. Sans entrer dans une trop longue exégèse de la formule qui apparaît quatorze fois dans la bouche de Jésus lui-même pour se désigner, il faut néanmoins rappeler qu’elle n’a pas été bien comprise par l’entourage du Christ. Il n’hésite pas à utiliser cette expression énigmatique qui lui permet de ne se révéler publiquement qu’au moment de son jugement, avant sa Passion. Il lève alors toute l’ambiguïté de la formule quand il comparaît devant le Sanhédrin. À la question « Tu es le Christ, le Fils du Béni ? », Il répond qu’il appartient désormais au « Fils de l’homme de siéger à la droite de la Puissance de Dieu » (Mc 14, 61 ; Lc 22, 69).

Autre expression, encore plus explicite, pour se révéler au monde, celle qui utilise l’image du « fils », par laquelle Jésus se montre comme Seigneur et Dieu. Benoît XVI nous rappelle que l’expression « fils de dieu » était utilisée par la « théologie politique » de l’Orient ancien, en Égypte ou à Babylone. La formule évocatrice de « fils de dieu » était donnée aux fils de souverains qui accédaient au trône royal, dont le rituel était parfois assimilé à « un engendrement », nous explique le Saint-Père (p. 364). Avec Jésus, le titre de « Fils de Dieu » se détache du pouvoir politique et s’affiche comme l’expression d’une Alliance avec Dieu. Celle-ci se manifeste dans la Passion et la Résurrection. Mais, l’expression plus simple de « Fils » (et non « Fils de Dieu ») confère à Jésus une dimension beaucoup plus intime, car le Fils connaît réellement le Père. Benoît XVI affirme que « connaître réellement Dieu, présuppose la communion avec Dieu, voire l’union ontologique avec Dieu » (p. 368). C’est pourquoi Jésus peut se permettre publiquement de s’adresser au Père en utilisant la formule toute simple et familière « Abba » (« papa ») pour converser avec son Père.

Cette proximité entre le Père et le Fils proclamée ouvertement par Jésus est la cause de sa perte aux yeux des juges de ce monde. Dans la parabole des vignerons homicides, le « fils bien-aimé » (Mc 12) est envoyé par le maître afin de faire valoir son droit au fermage. Le fils est tué par les fermiers parce qu’il est l’héritier. D’où la conclusion de la parabole faite par le Christ à la fin de son récit, par laquelle il expose le rôle de son Père : « Il viendra, fera périr les vignerons, et donnera la vigne à d’autres » (Mc 12, 9). C’est à une réalité présente qu’il se réfère. Les auditeurs comprennent la signification, car ils sont directement visés par la menace du châtiment divin, face au refus d’accepter Jésus, comme Fils de Dieu et Dieu lui-même. C’est le refus de croire la vérité qui fait le cœur du dialogue entre Jésus et les prêtres et les scribes, au Sanhédrin (Lc 23). Tout le scandale de la relation Père – Fils apparaît clairement. Jésus doit être condamné à la mort pour avoir affirmé son égalité avec le Père et s’être proclamé Dieu vivant. C’est cet aspect que la foi monothéiste des juifs ne pouvait pas reconnaître, et c’est pourtant cette relation que Jésus a voulu faire comprendre progressivement et ouvertement à ses contemporains. Jésus est Fils de Dieu et il est Dieu. Cette réalité a été bien difficile à admettre pour ses disciples qui ont utilisé des formules périphrastiques de l’Ancienne Alliance, mais la reconnaissance ne viendra finalement que lorsque Thomas, invité à toucher les plaies du Christ ressuscité, s’écrira « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28). La parole de Dieu ne devient crédible qu’au moment de la Résurrection. Elle est le cœur de la foi chrétienne.

3 - La relation entre le Père et le Fils, et avec nous

À la différence du Sanhédrin, il nous revient d’accepter la réalité de l’intimité de la relation entre le Père et le Fils et de faire ainsi acte de foi. L’instructive évocation de la « confession de Pierre », à la question de Jésus (« Qui suis-je ? » ; Lc 9, 18), nous permet de cerner quelle était la nature de la foi des douze apôtres. Saint Luc lie la confession de Pierre à un moment de prière : « Un jour, Jésus priait à l’écart. Comme ses disciples étaient là… » (9, 18). Les disciples sont invités à vivre le moment privilégié de cette relation intime entre le Père et le Fils. Benoît XVI nous explique que c’est à ce moment qu’il leur est permis de le « voir dans ce qu’il a en propre, dans son être filial, ce point d’où procèdent toutes ses paroles, tous ses actes et toute son autorité » (p. 319). Pour reprendre les trois formules de la « confession de Pierre », retransmises successivement et différemment par les Évangiles synoptiques, Il est le « Messie », le « Messie de Dieu », le « Fils du Dieu vivant ». Faire acte de foi, c’est savoir qui est le Fils par rapport au Père. Il nous est demandé d’accepter et de confesser cette filiation divine.

De même, au moment de la « pêche miraculeuse », Pierre tombe aux pieds de Jésus en adoration (Lc 5, 8) et reconnaît le pouvoir de Dieu lui-même agissant au travers de la parole de Jésus. Cela signifie sa rencontre directe avec le Dieu vivant en la personne de Jésus. Pierre est le témoin de l’irruption directe de la proximité de Dieu lui-même en Jésus. D’ailleurs, il se sert à ce moment là de l’expression de « Seigneur » (Lc 5, 8), Kyrios, reprenant le mot par lequel les croyants de l’Ancienne Alliance remplaçaient le nom imprononçable de Dieu (YHWH) révélé au moment de l’épisode du Buisson ardent, alors qu’il appelait Jésus Epistata (Lc 5, 5) (« Maître », « Rabbi ») avant le départ de la barque. Il reconnaît cette fois en Lui le Kyrios.

Sans doute la relation Père – Fils touche-t-elle davantage les apôtres au moment de « l’apprentissage de la prière » par Jésus lui-même. Le Pape poursuit son étude en analysant la relation Père – Fils dans la prière du Notre Père. Il montre que saint Luc place le Notre Père dans le contexte d’une prière personnelle de Jésus lui-même. En intégrant les apôtres dans sa prière, il nous conduit dans les profondeurs du dialogue intime de l’amour trinitaire. Ainsi, la prière commence par l’adresse à un Père qui est aussi le nôtre. Chaque homme est conçu individuellement et voulu comme tel par Dieu. Dieu est notre père aussi. Le Père est la source de tout bien, comme le critère de l’homme devenant juste. Nous Le connaissons à travers Jésus. Le Notre Père est donc une prière trinitaire, nous prions le Père avec Jésus et par le Saint Esprit.

Enfin, seul le Fils connaît réellement le Père. La connaissance présuppose une certaine égalité : « personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler » (Mt 11, 27). Pour connaître Dieu, il faut être en communion avec Lui. Saint Jean est sans doute le plus explicite sur cette relation Père – Fils. L’insistance sur ce point expliquerait pourquoi, selon Benoît XVI, son Évangile a été le plus contesté par l’exégèse libérale. Son Évangile a le mérite de nous intégrer au cœur de cette relation : « Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1, 18). Mais cette révélation n’est accessible qu’aux tout-petits. La volonté du Fils ne se fait qu’avec l’accord du Père. Il y a une union intime entre les deux volontés. Il faut être simple et « avoir un cœur pur pour voir Dieu », pour reprendre la formule de la Béatitude (Mt 5, 8). L’homme pécheur est appelé par le Père pour être aimé du Fils : « Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire » (Jn 6, 44). Pour comprendre Dieu, il faut être dans une disposition particulière, et le cœur de l’homme doit rester prêt à accueillir la Vérité révélée.

Pour conclure, trois expressions peuvent définir Jésus et dévoiler son mystère : « Fils de l’homme », « Fils », « Je suis ». Ces formules sont enracinées dans la Bible d’Israël et se dévoilent par Jésus à nous. Le Concile de Nicée a reconnu en l’an 325 à l’adjectif « consubstantiel » d’être le terme de synthèse pour définir la réalité de la relation Père – Fils. Mais au-delà de la définition théologique, l’accès à cette vérité s’adresse aux cœurs humbles et non aux savants. Jésus était le prophète qui, comme Moïse, parlait avec Dieu face à face, en ami. Alors que Moïse ne voyait pas le visage de Dieu (Ex 33, 20), Jésus de Nazareth, parce qu’il est Fils de Dieu, est celui qui nous montre la divinité dans toute sa splendeur et sa puissance. Lors du discours d’adieu du Christ après le lavement des pieds, saint Jean retranscrit ainsi la parole du Fils : « Nul ne vient au Père sinon par moi » (Jn 14, 6).

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