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Le pèlerinage comme démarche ecclésiale

Michel Stavrou, Sœur Jean-Marie Valmigère, Thélès, 2004, 100p., 16 €
Jacques-Hubert Sautel

Ce livret est composé de deux études distinctes et complémentaires, qui portent sur le thème du pèlerinage, avant tout chrétien. Elles émanent pour la première d’un théologien laïc orthodoxe, pour la seconde d’une religieuse catholique, et sont présentées conjointement par la préface d’Elisabeth Behr-Siegel, théologienne orthodoxe elle aussi, qui explique la genèse du livre et en analyse les grandes lignes.

La réflexion de M. Stavrou s’article en trois temps, qui sont les trois composantes du pèlerinage. La rupture (ou l’ « expatriation ») en est le premier moment : le pèlerin se fait étranger à son mode de vie quotidien, à son univers familier. C’est une expérience de l’étrangeté au monde extérieur, une xeniteia (du grec xenos, à la fois étranger et hôte), qui n’est pas sans rappeler le point de départ de la vie monastique, l’exil hors du monde. Ce premier moment est celui d’une ascèse, car il faut faire effort sur soi pour quitter son « chez soi ».

A l’autre terme du pèlerinage, il y a la quête du lieu saint, qui se réfère à l’histoire biblique, à la vie des saints ou des moines célèbres. Le lieu saint par excellence est bien sûr le tombeau du Christ à Jérusalem, parce qu’il est aussi le lieu de la Résurrection, l’Anastasis (du grec anistèmi, se lever, ressusciter) : là notre vie et l’histoire du monde ont basculé de la faute originelle vers les derniers temps. Entre ces deux extrêmes de la démarche du pèlerinage, se trouve la marche, occasion d’affronter les dangers ou difficultés extérieures, mais aussi de vivre avec nos frères et sœurs la conversion quotidienne à Jésus-Christ : en cela , elle est bien le symbole de toute vie chrétienne.

A cette réflexion, présentée en trois axes, fait écho le récit concret et vivant de trois pèlerinages que Sœur Valmigère nous fait, partageant ainsi des expériences vécues et méditées dans la prière. Le premier, vers la Terre Sainte et le Sinaï, intitulé pèlerinage biblique, présente la route d’une fraternité orthodoxe vers les lieux saints de Jérusalem, du monastère Sainte-Catherine du Sinaï et enfin du Buisson Ardent. Le récit est vif, précis et coloré ; il fait ressentir au lecteur aussi bien la majesté des liturgies orthodoxes que la beauté, simple et dépouillée, de ces lieux chargés d’Histoire sainte. Le second récit est une découverte des monastères et des églises russes, sur les pas de Saint Serge de Radonège et de saint Séraphim de Sarov ; le pittoresque des voyages est relayé par les rencontres émouvantes et instructives avec les communautés chrétiennes : on a le sentiment qu’après la chape de plomb des années communistes, la ferveur rejaillit de braises qui ne s’étaient pas éteintes. La dernière relation allie une démarche pèlerine auprès des reliques de saint Nicolas, venues de Myre (Asie Mineure, actuellement Turquie) à Bari, en Sicile, avec un colloque tenu en cette ville, à dimension œcuménique.

Le lecteur observera que les trois récits de la seconde partie du livre correspondent, à une interversion près dans l’ordre de l’exposé, aux trois types fondamentaux de lieux de pèlerinage distingués par M. Stavrou : les sites bibliques, les reliquaires des saints, les lieux de résidence des moines célèbres. Par ce discret écho, qui s’ajoute à beaucoup d’autres, plus explicitement présentés dans ce livret, les voix orthodoxes et catholiques s’unissent, pour le bonheur du lecteur, en marche vers le Dieu vivant.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

Réalisation : spyrit.net