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Le vrai visage du Christ

Jacques-Hubert Sautel

« Pour vous, qui suis-je ? ». Cette question, le Seigneur Jésus l’a posée à ses Apôtres, il la pose aujourd’hui encore à chacun de nous, et cela dans le contexte de la société qui est la nôtre. Il la pose à ceux, de moins en moins nombreux, qui vivent paisiblement et sans inquiétudes le temps présent, dans un certain bien-être matériel et moral. Mais il la pose aussi à ceux qui ont perdu leurs raisons de vivre, qui sont dans la détresse ou le deuil ; à ceux qui s’interrogent sur leur avenir, à ceux qui se demandent quelle est leur place dans l’Église ; à ceux qui assistent, en notre vieille Europe, à l’effritement, qui leur semble inexorable, de la pratique chrétienne ou des repères moraux, notamment dans le domaine du respect de la vie ou de la collaboration harmonieuse de l’homme et de la femme dans la société. Il nous la pose face à l’extraordinaire assaut des médias contre l’enseignement de l’Église catholique, sa cohésion ou son existence.

Pour nous aider à répondre, nous vous proposons quelques éclairages dans un parcours historique et thématique : procéder ainsi peut permettre de ne pas s’engluer dans les difficultés présentes, mais de les mettre à leur juste place, et du coup de progresser dans la connaissance du visage de Jésus. Ces éclairages sont introduits par un texte de notre pape et conclus par une synthèse.

Dans son livre Jésus de Nazareth, qu’il avait commencé quand il était encore le cardinal Ratzinger, et qui est paru en 2007, Benoît XVI nous a offert un remarquable survol de l’exégèse du XXème siècle, faisant le tri entre les fausses pistes — tout ce qui peut contribuer à perdre et à faire perdre la foi — et les découvertes qui ont vraiment fait progresser l’humanité dans la connaissance du visage de Jésus. Nous citons un extrait de l’introduction de ce livre : le Saint-Père y montre comment Jésus se situe dans la lignée des prophètes de l’Ancien Alliance et comment il révèle en même temps peu à peu à ses disciples une réalité tout autre, celle de sa relation filiale unique à Dieu.

Le P. Gitton nous fait découvrir ensuite les étonnantes déformations que la gnose, mouvement multiforme et complexe, a fait subir au visage de Jésus dès les premiers siècles : une interprétation éthérée, fondée avant tout sur la connaissance (tel est le bien le sens du mot grec gnôsis), apportant à l’homme un salut, moyennant initiation, dans la lignée des religions à mystère de l’Antiquité tardive. Si une telle vision est si proche de certaines formes disponibles sur le « super-marché des religions » que Benoît XVI dénonçait dans son discours aux jeunes réunis pour les JMJ de Cologne en 2005, c’est peut-être bien précisément parce que les exigences morales en sont faibles : à l’initié est acquis le salut, c’est-à-dire l’assurance du bonheur, quel que soit son comportement, par le simple fait que : « il sait ».

Avec la personnalité d’une universitaire spécialiste du monde juif ancien et médiéval, Jacqueline Genot, le P. Gallez nous introduit dans une approche beaucoup plus « sympathique », au sens exact du terme, de la personne de Jésus. Un esprit original, amoureux de la vérité, a habité J. Genot et l’a conduite à mettre au jour des éléments singuliers en Jésus, qui ne rentraient pas dans le consensus scientifique des historiens du christianisme ; l’autorité de la démonstration sur ces points précis est d’autant plus grande qu’on ne pouvait suspecter l’auteur, très marquée par son judaïsme, de partialité.

Le P. de l’Éprevier nous offre ensuite une synthèse riche et détaillée de trois siècles de critique historique de Jésus : depuis le XVIIIème siècle, l’exigence rationnelle a obligé les chrétiens à se mesurer à un autre regard sur Jésus-Christ. Pour répondre à l’opinion, qui ne cessera de grandir, tout en se transformant au cours des siècles, que l’on ne peut finalement pas connaître grand chose de Jésus-Christ, et que la religion est du domaine des fables et des mythes, nos frères protestants nous ont montré le chemin d’une nécessaire confrontation avec les sciences humaines au fil de leur développement et de leurs mutations : histoire, philologie, linguistique. L’Église catholique les a suivis avec prudence, et on peut désormais s’appuyer sur le texte solide de la Constitution Dei Verbum de Vatican II (1965), qui avait été précédée notamment par l’encyclique Divino Afflante de Pie XII (1943) et qui est suivie et actualisée régulièrement par la Commission biblique pontificale. Les chrétiens possèdent en ce domaine une sérieuse avance sur l’islam : nous avons accepté que la Parole de Dieu soit contestée par la science de notre temps et nous avons été récompensés par une plus riche approche du visage de Jésus. Il faudra continuer cette confrontation, avec courage et prudence.

Llydwine Soucouville nous offre ensuite, dans un dialogue avec le P. Meriadoc Touque, cinéphile averti, une réflexion originale sur la place du cinéma dans le regard de nos contemporains sur Jésus. Vu l’importance de l’audio-visuel par rapport à l’écrit dans notre société, cette réflexion a toute sa place dans une enquête sur le vrai visage du Christ. Elle montre les grands atouts de ce sixième art pour présenter un visage de Jésus dont certains traits donnent à reconnaître, voire à adorer, des reflets de la gloire divine, à l’instar des icônes, produits achevés de la peinture byzantine.

Une synthèse du P. Gitton vient conclure ce dossier en rappelant les termes du problème — quelle clef permet de donner le sens plus intelligible aux écrits qui nous parlent de Jésus ? —, puis en présentant la réponse donnée par l’Église, longuement méditée au fil des siècles, celle qui place la clef dans la foi en la Trinité, mystère insondable mais qui donne seule à contempler un visage plausible et vivant. Cette réponse, il nous appartient de toujours la reformuler, chacun personnellement, par le travail et la prière.

En post-face, nous présentons une analyse du discours prononcé par le pape Benoît XVI lors de son voyage apostolique en France de l’automne dernier, à l’occasion de l’inauguration du Collège des Bernardins, comme nouveau lieu de culture catholique et chrétienne dans le diocèse de Paris.

En somme, il nous semble que deux obstacles sont posés sur le chemin de l’homme de bonne volonté qui se met à la recherche du Christ. Le premier, c’est celui du bandeau que placent sur les yeux de Jésus les soldats qui l’outragent durant sa Passion : c’est l’obstacle du péché de ceux qui, consciemment ou non, défigurent le Christ par les propos mensongers qu’ils tiennent sur lui ; ce sont nos contemporains, athées, peu ou mal croyants, c’est aussi nous-mêmes plus d’une fois. Le second, c’est le voile de Véronique, qui a essuyé ce même visage de Jésus, ou celui dont Moïse se revêtait la face quand il entrait dans la tente de la Rencontre pour parler avec son Dieu : nous ne voyons pas alors le visage, mais seulement sa trace sur le linge, ou à travers le linge. L’obstacle est ici dans la relation de notre regard avec son objet, car le vrai visage de Dieu, nul ne peut le voir, comme cela fut dit à Moïse, et même si Jésus nous en a donné, en son humanité, une « copie authentique », au sens notarial d’un document qui a même valeur que l’original, cette copie authentique demeure encore à jamais inépuisable et toujours au-delà de nos tentatives pour la cerner.

Ce second obstacle, nous devons en être conscients, comme du premier : l’un et l’autre montrent que notre quête du vrai visage de Jésus sera le bonheur de toute notre vie, car elle nous conduira toujours plus loin, dans l’amitié de notre Seigneur. Puisse ce numéro de notre revue nous en donner et redonner le goût, pour chacun de nos jours et pour tous ceux auprès de qui nous serons appelés à en rendre compte, avec douceur et respect.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

Réalisation : spyrit.net