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Les fausses pistes du dialogue

P. François Jourdan

P. François Jourdan, pouvez vous vous présenter ?

De la congrégation des Eudistes, je suis ici à la paroisse du Saint-Esprit depuis 12 ans, mais avant j’ai été au Chesnay, au Maroc, en banlieue parisienne. J’ai aussi été missionnaire au Bénin, au contact de l’islam africain. Je suis depuis dix ans délégué du diocèse de Paris pour les relations avec l’islam après six ans à l’équipe du Secrétariat de l’Épiscopat pour les Relations avec l’islam.

J’ai publié un livre sur la tradition des sept dormants d’Éphèse. C’est une histoire entièrement chrétienne qui est passée dans le Coran et qui a été islamisée. Ce sont des martyrs reconnus comme chrétiens, pas explicitement dans le Coran, mais dans les commentaires coraniques, ce qui fait un point de convergence.

J’ai fait ma thèse de doctorat en Sorbonne et à l’Institut catholique sur la mort de Jésus en croix, qui est niée par l’islam, ce qui fait un point de divergence.

Il faut prendre l’ensemble du dossier quand on se rencontre, les choses qui nous rapprochent et celles qui nous séparent sans chercher à les cacher.


Vous venez de publier un livre sur ces questions du rapport entre musulmans et chrétiens.

Il s’appelle Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans et est le premier livre des éditions de l’Œuvre. Il est le fruit de 35 ans de réflexion dans le domaine de l’islam et du monde arabe.

Depuis longtemps j’avais l’intuition qu’il y avait des choses qui n’étaient pas en place.

Dans ce livre je remets à plat ce qu’est l’islam à ses yeux à lui et ce qu’est le christianisme à nos yeux à nous ; et le fait que l’islam n’est pas une religion doctrinalement biblique.

Le problème c’est que nous sommes dans une société laïciste avec des gens qui ont tendance à vouloir passer par-dessus les problèmes liés au contenu des croyances.

Dans nos rencontres on ne regarde surtout pas la doctrine. Donc on a un travers laïcard qui nous fait regarder « les religions », notamment l’islam, d’un point de vue sociologique ou historique qui peut être très utile, mais reste extérieur à la religion. On s’interdit de regarder la doctrine, pensant qu’il s’agit de dogmatisme. Toutes les religions ont des dogmes, avoués ou pas ils fonctionnent. On y a un chemin, une vision de Dieu, du monde, de soi même et des autres.


Si on se préoccupe de la rencontre entre ces dogmes, peut on dire qu’ils se sont rencontrés au Moyen-Âge, particulièrement en Andalousie ?

Je dis maintenant ce que je ne disais pas auparavant. Depuis l’Hégire, qui a vu Mahomet se replier sur Médine en 622, jusqu’à 1962, date symbolique des indépendances et de la fin de la colonisation, durant toute cette immense période, nous avons été chrétiens et musulmans en opposition géopolitique, ce qui rend le dialogue difficile.

En orient, l’islam est arrivé minoritaire en Mésopotamie et en Syrie Palestine. Les populations y étaient, depuis des siècles, chrétiennes en grande partie. Les chrétiens y ont été mis progressivement en situation de citoyens de seconde zone. Encore aujourd’hui, ils risquent leur situation dans la société, quand ce n’est pas leur vie ; comment voulez-vous faire du dialogue dans cette situation complètement inégalitaire.

Il y a eu le grand moment des conquêtes avec les Omeyyades jusqu’en 750, puis les Abbassides qui ont tenu un ou deux siècles avant de se morceler, mais en maintenant toujours la tutelle musulmane. Les croisades se sont faites au moment où cet empire était devenu un peu fatigué et ont profité de cette fragilité. Le XIXe siècle a beaucoup idéologisé les croisades. Sur le moment les musulmans n’en ont pas fait grand cas comme on le fait aujourd’hui. Cela ne facilitait cependant pas des relations saines et un dialogue éventuel, même si il y a pu y avoir quelques rencontres culturelles qui n’ont pas été inintéressantes. Après, il y a eu le regard ottoman avec une reprise de la conquête jusqu’aux portes de Vienne en 1683, ce qui a redonné du lustre au monde musulman ; avant qu’il ne soit grignoté par la colonisation.

C’est pour cela que je dis que de 622, où Mohammed devient chef guerrier autant que religieux, jusqu’en 1962, le dialogue n’était pas facile.

Alors il y a eu des exceptions. Vous avez saint François d’Assise qui domine les siècles. Au cœur de la Ve croisade en 1219, il va rencontrer, mains nues, le sultan qui est connu par les historiens comme certainement un homme de grande classe, Malik Al Kamil. Nous n’avons pas beaucoup de détails, mais il semble qu’il ait eu là une rencontre intéressante où saint François lui-même à dû se rendre compte qu’il y avait beaucoup de gens qui marchaient vers Dieu de cette manière-là. Il y allait pour christianiser, annoncer l’Évangile plus exactement. Il s’est aperçu que ce n’est pas comme ça qu’il fallait s’y prendre, que le musulman avait aussi sa foi. C’est quand même une découverte qu’on va retrouver avec Charles de Foucault qui, bien plus tard, va rencontrer les musulmans et leur tradition religieuse qui marche vers Dieu, comme toutes les religions, à leur manière bien évidement.

A propos de l’Andalousie, un médiéviste connu en philosophie médiévale, Alain de Libéra, dit qu’on « en a fait un mythe ». Dans l’Andalousie islamique, il y a eu des contacts, plus culturels que religieux, mais variables selon les périodes, avec l’Andalousie des trois religions, mais aussi les martyrs de Cordoue en 850 étaient des chrétiens qui ne voulaient pas être musulmans alors que l’islamisation faisait son chemin en Espagne. Il y a eu Abd Al Rahman III, le grand calife culturel qui a facilité les contacts, pas toujours très doux d’ailleurs. Il y a aussi eu l’école de traduction de Tolède, à l’initiative de l’évêque de Tolède. Cela s’est fait dans la ville reconquise et non à l’initiative des musulmans. Une partie du patrimoine islamique est passée à la chrétienté médiévale mais il est difficile de dire qu’il y ait eu un dialogue vraiment religieux.


Quelles furent les réflexions des années 1960 sur les manières de s’y prendre pour entrer en contact avec l’islam, alors que de nombreuses populations d’origine musulmane ont choisi de s’installer dans des territoires chrétiens, ce qui était rarissime auparavant ?

1962, fin de la guerre d’Algérie et début du Concile, nous avons eu Louis Massignon, le plus grand islamologue que la France ait connu. C’était un mystique lui-même, pas toujours très compréhensible dans ses propos mais qui a préparé la nouvelle attitude prise par le Concile peu de temps après sa mort.

Il s’agit de tourner la page, ce qui devient possible après les indépendances. La fin des dominations mutuelles les uns sur les autres permet de se voir autrement. C’est une attitude inspirée par l’Évangile et l’Esprit Saint.

Au lieu d’aller vers l’autre pour le convertir ou pour le dominer on veut rencontrer l’autre comme un chercheur de Dieu comme nous. Nous sommes à égalité comme êtres humains. Sur des chemins différents, nous voyons Dieu et nous allons à Lui de manière différente, mais on peut se rencontrer même sur ce plan.

Dans la foulée de Vatican II, il y a le texte « dialogue et annonce » qui est sorti en 1991 et qui dit il y a plusieurs niveaux de dialogue :

  • Un dialogue de vie, dans les quartiers, la rencontre, les associations et la solidarité humaine, ce qui est tout à fait essentiel.
  • Il y a un dialogue plus religieux qu’on peut voir dans un dialogue spirituel, à l’occasion de la fête de Noël, de la fin du Ramadan, de l’Aïd el Kébir. Il peut donner l’occasion d’une certaine compréhension que le Concile demande. Même si on sait qu’on n’est pas d’accord on peut se comprendre.
  • Et puis il y a un dialogue doctrinal. Beaucoup disent qu’il est impossible. Ma note personnelle après un certain nombre d’années de pratique est qu’il est inévitable.

Même dans le dialogue de vie ou le dialogue spirituel, on parle de la doctrine. Tous les musulmans sont des gens très religieux et aiment bien parler des choses religieuses. Ils le font très spontanément, même quand on discute d’un prix dans un souk et cela me plaît. Les réflexions d’ordre doctrinal ressurgissent constamment dans les rencontres qui sont organisées à Paris ou ailleurs.

Si c’est « nous avons le même Dieu », et bien je suis désolé mais cela ne marche pas ! Le mot même est à bannir dans les relations inter religieuses parce que ce mot en français veut dire à la fois unique et identique. On peut dire qu’il est unique, algébriquement il n’y en a qu’un, mais ce n’est pas le même ; chez nous il est Trinité, et l’islam ne veut pas de cela.

Il y a là des simplismes qui nous empêchent de nous comprendre et entretiennent une confusion permanente.

Bien sûr, nous disent les musulmans, « l’islam est dans la continuité du judaïsme et du christianisme » ; et bien je suis désolé, ce n’est pas vrai. Il est dans la succession historique, et encore six siècles après Jésus, mais d’un point de vue doctrinal il n’est pas dans la continuité.


Comment peut-on alors définir le dialogue entre des proclamations doctrinales directement contradictoires ?

Le dialogue, ce n’est pas d’être d’accord, il y a là une espèce de rêve spontané de beaucoup de gens. Il faut désenchanter des choses qui ne sont pas réalistes. On dit « nous avons beaucoup de choses en commun ». Effectivement nous avons des choses qui peuvent nous rapprocher d’une certaine manière comme le « monothéisme » mais nous n’avons pas le même monothéisme. Le nôtre est trinitaire alors que le leur est unitaire.

Il y a quelques petites choses qui nous rapprochent. Nous sommes des êtres humains, cela nous rapproche mais tout autant qu’avec l’hindouisme ou les religions anciennes des petits villages d’Afrique.

On peut cependant se rapprocher pour se comprendre, même si on n’est pas d’accord, et c’est la première des choses nécessaires pour vivre ensemble. Pas de paix sans paix des religions, disait justement le théologien allemand Hans Küng.

Le plan doctrinal c’est l’identité profonde de chaque religion, de chaque musulman que je rencontre ou du chrétien que j’essaie d’être. Si on ne le prend pas en compte on ne peut pas se comprendre.

Il faut donc s’atteler aux questions doctrinales. Avec quelques repères nécessaires elles ne sont pas très difficiles. Or, depuis le Concile, beaucoup de gens se sont engouffrés dans la rencontre un peu rêvée et affective, sans travailler les questions doctrinales ce qui fait que nous ne nous comprenons pas.

Pour cela, il faudrait que les islamologues soient aussi des théologiens, en particulier pour décoder tous les mots que nous partageons en leur donnant un sens différent. L’Abraham du Coran n’est pas le même que le nôtre, ce qui fait qu’on ne peut pas parler de « religion abrahamique ». Le cycle prophétique coranique commence avec Adam, ce qui n’est pas le cas dans la Bible.

Abraham inaugure la notion biblique d’Alliance, qui est à mon avis la clef fondamentale qui nous sépare avec les musulmans. Dieu commence à se donner à Moïse en lui communiquant son nom, ce qu’il ne fait pas dans le Coran.


Quels seraient alors les points à creuser pour trouver une compréhension mutuelle avec les musulmans. Peut-on le faire à partir du soufisme ?

On se fait souvent des idées sur le soufisme. Il est très divers, souvent décrié et mélangé a des pratiques animistes. Il n’a pas le monopole de la recherche de Dieu chez les musulmans. Contrairement à ce que dit le chef de la confrérie Alaouiya en France, le soufisme n’est pas le cœur de l’islam.

Pour avoir enseigné le contenu des enseignements soufis, je sais qu’on trouve chez certains d’entre eux le travail de la grâce dans le cœur de l’homme. Ils restent cependant musulmans et cela ne les a pas empêchés de faire le djihad guerrier ou d’avoir plusieurs femmes. Ils adhèrent à l’idée coranique du pacte primordial, issu de Dieu qui fait que tous les hommes sur la terre naissent musulmans. Que cela nous plaise ou non, il faut savoir que les musulmans sont sur ce registre-là.

Je reprends volontiers cette phrase d’un pasteur protestant, « il faut essayer d’être d’accord sur nos désaccords ». J’aimerais pourvoir dire publiquement, avec des musulmans que je connais comme Ghaleb Bensheikh : « aujourd’hui, je sais que tu as compris comment je vois Dieu et comment je vois mon chemin et vice versa ».


Est-ce que cela peut arriver ?

Oui mais avec du travail. On ne le fait pas souvent par manque de liberté, y compris collective. Je pense qu’en islam, il y a un manque de liberté très grave, peut-être depuis les origines.

L’islam s’est diffusé par conquêtes, en limitant la liberté religieuse de ceux qu’il dominait, mais aussi des musulmans. Le mutazilisme, courant rationalisant qui aurait développé une liberté profonde a été évincé. Averroès qui était aristotélicien a été enterré avec ses bouquins, on n’en voulait pas, et le refus d’Aristote est très grave dans la pensée.

A mon avis, cela s’explique par une raison doctrinale : en islam, la vision de Dieu est écrasante. Dans les religions anciennes, le divin se cristallise sur des idoles et n’est pas écrasant. La Bible innove avec un monothéisme avec lequel on vit. On est en face d’une personne divine qui n’est pas écrasante parce qu’il y a l’alliance. Dans l’alliance, Dieu fait droit à l’altérité de l’homme et le fait grandir par son amour.

Dans l’islam, ce qui est très grave de la part de Mahomet, le fondateur, c’est qu’il a pris l’idée monothéiste de la Bible, sans l’alliance. Dieu est séparé de l’homme et il est énorme, il prend toute la place.

Même chez les soufis, quand on lit leurs textes on se pose souvent la question de la consistance de ce qui n’est pas Dieu. Le mystique afghan hanbalite et soufi, Abdallah Ansari, disait à Dieu « Tu es tout, et c’est Tout ». La première partie est classique chez les mystiques, mais le « et c’est tout » me paraît très musulman. Cela fait que, dans tout cela, je compte pour du beurre.

Cela fait qu’il y a un problème insoluble chez les musulmans qui est la liberté humaine. On ne peut pas la nier puisqu’il y a un jugement dernier, mais en même temps la toute puissance de Dieu prend toute la place.


La lettre de cent trente-huit musulmans au Pape est-elle un signe d’ouverture ?

Elle fait partie de deux événements intéressants, avec la visite, inédite, du roi d’Arabie Saoudite au Vatican. Cela montre qu’il y a des choses qui bougent, mais il faut laisser du temps au temps. Il y avait eu la citation très rude de Manuel Paléologue par le Pape à Ratisbonne. Elle a été mal reçue, même s’il abordait des questions de fond sur Foi et Raison, ou Foi et Violence.

Je trouve bien qu’elle ait été envoyée à l’initiative de la Jordanie, du Prince Talal et des ses conseillers, dont fait partie un américain, ancien chrétien. C’est une expression de bonne volonté de musulmans et non pas de tout l’islam, qui n’a pas d’autorité légitime commune.

Il ne faut pas non plus rêver. Si on travaille, on verra si la volonté de dialogue est profonde. Je suis heureux de voir que le Vatican a réagi en invitant une délégation de signataires pour un groupe de travail avec l’Institut Pontifical d’Études Arabes et Islamiques, le PISAI.

Le dialogue inter religieux entraîne pour chaque religion un travail intra-religieux. Il lui faut revisiter sa manière de croire pour mieux la faire comprendre à l’autre. Un exemple, on dit tout le temps « Jésus Fils de Dieu », cela ne veut pas dire que Dieu fait un petit Dieu à côté, ce que comprennent les musulmans ou les témoins de Jéhovah. Cette expression ne dit pas ce que nous voulons dire. Disons alors plutôt Fils du Père, dans le cœur de Dieu, quand nous nous adressons à des gens qui ne sont pas de culture chrétienne, et qui sont nombreux en France aujourd’hui.

Cela ne change pas ma doctrine, mais la rend mieux compréhensible. Même si la Trinité nous dépasse toujours, on peut quand même donner des éléments qui permettent de la comprendre un peu mieux.


Un musulman qui aurait connu une rencontre à la Claudel, non pas sous un pilier de Notre-Dame de Paris, mais dans une mosquée, comment pourrait-il se placer dans ce dialogue ?

Il y a deux choses, la question des miracles et la question des conversions. Il y a des évangéliques à la Georges Bush, qui font de l’argent sur le dos des autres et qui exploitent le sentiment religieux sans aucun contrôle. A Lourdes, même des médecins athées peuvent aller au bureau médical qui vérifie les choses avant de parler de miracle.

Il y a des choses dans la vie qui sont des hasards providentiels, qui nous font penser à un signe de Dieu sans être des miracles. Ceci dit, il peut y avoir des miracles dans toutes les religions.


L’islam le dit-il ?

Il ne le théorise pas, non, mais j’ai eu vent d’une femme qui avait fait le pèlerinage et qui, dans l’Atlas marocain à posé la main sur le côté d’un pasteur protestant qui avait trois côtes cassées. Elle lui a consolidé les os au point que la radio faite le lendemain a montré le cal osseux parfaitement consolidé. En tant qu’ancien kinésithérapeute, je sais qu’une consolidation osseuse demande trois mois. Pour moi c’est de l’ordre du miracle et c’est une musulmane qui en a été l’agent. Une fois qu’on a dit cela, qu’est ce qu’on a dit ? Cela ne veut pas dire que toutes les religions qui peuvent en connaître sont la perfection, pas du tout.

Maintenant la question des conversions. Elles sont dans les deux sens, sans être comparables. Pour quelqu’un d’origine chrétienne, c’est extrêmement facile de devenir musulman. Après deux ou trois petites réunions, il suffit que vous disiez en arabe « pas de divinité sauf Dieu, et Mohamed est l’envoyé de Dieu » et ça y est. On vous donne un papier qui vous permet d’aller à la Mecque. Vous avez la liberté religieuse pour le faire en France.

Mais, en France, un musulman qui voudrait devenir chrétien c’est extrêmement difficile. C’est pour lui une trahison de sa famille, de sa religion et de son milieu. Les musulmans ont le passeport français, mais du point de vue culturel, ils sont à moitié français car la force du groupe est encore forte chez eux. J’en connais qui ont fait leur catéchuménat à l’autre bout de Paris pour que personne ne les voie dans leur quartier. Leur famille ne sait pas qu’ils ont été baptisés.

Ce sont des gens courageux, car l’Église met la barre assez haut avec, au minimum, deux ans de catéchuménat.

L’Église ne fait pas de prosélytisme, même si elle essaie de témoigner de l’amour de Dieu qu’elle a découvert. C’est normal que l’Église ait été missionnaire depuis le début, mais missionnaire pas n’importe comment.

Cela peut être missionnaire comme saint François d’Assise. Charles de Foucault va au milieu des musulmans et qui « crie l’évangile par toute sa vie », mais il ne peut le crier en paroles car c’est irrecevable dans le contexte. Les chrétiens ont à exprimer cet amour de Dieu par leur vie ou leur parole, selon le contexte.

Il faut ajouter que dans les statistiques de conversion de la grande mosquée de Paris, vous avez un tiers de conversions pour raisons non religieuses, pour un voyage en Arabie Saoudite, parce qu’on se marie, pour faire plaisir à la belle famille.

Cela rend difficile les comparaisons.


Pour conclure, quelles perspectives d’avenir voyez-vous pour la rencontre religieuse entre chrétiens et musulmans ?

Bien des Pères Blancs disaient très justement « beaucoup de musulmans sont meilleurs que la religion qu’ils professent ». Ils ont un travail d’entrée dans la modernité et d’application de la raison critique au Coran qui sera terrible à réaliser pour eux. Il va bien falloir, comme dit Abd el Nour Bidar, dans son livre Self islam, déclarer caducs tous les versets du Coran contraires aux droits de l’homme. Il a le courage de voir qu’il y en a, et qu’il faut une réinterprétation substantielle, il dit un nouvel « Ijtihâd ». Abd el Majid Charfi, un autre de ces modernisants complètement ignorés de la communauté musulmane, a dit « il faut changer le statut du Coran », et des étudiants turcs à qui j’en parlais m’ont dit : « c’est impensable ! ».

Je crois qu’ils ne pourront pas échapper à la question des rapports entre raison et foi. Il faut que les chrétiens se rendent compte que le musulman entre dans cette période difficile. L’islamisme est un courant minoritaire, mais présent partout dans le monde où il y a de l’islam. Il est là pour exprimer cette peur devant cette raison critique qu’il va bien falloir accepter. Chez les chrétiens nous sommes entrés dans la modernité, car nos bases religieuses s’harmonisent beaucoup plus avec la raison. Nous ne croyons pas que la Bible est descendue du ciel à la lettre et que le texte est divin.

Nous avons un autre travail à faire, nous sommes la seule religion à théologiser, au sens propre. Toute pensée religieuse n’est pas de la théologie. L’exégèse, la philosophie de la religion ou la spiritualité ne sont pas de la théologie. Par la nécessité interne d’une foi révélée, qui contient des choses énormes, la résurrection de Jésus, qu’il est né d’une vierge, etc. … Nous avons besoin de comprendre cet héritage révélé. La théologie a beaucoup à dire sur des réalités qui nous dépassent sans être contraires à la raison. Elle déploie l’implicite de la doctrine.

Nous pouvons faire ce travail sur les autres religions, faire la théologie ou la dogmatique islamique. Voir comment cela fonctionne pour mieux se comprendre entre chrétiens et pour mieux se comprendre comme chrétien par rapport à l’autre. Cela permet un dialogue religieux doctrinal enrichissant pour tous car il permet de mieux se comprendre soi-même.

Grâce à l’islam, je comprends mieux ce qu’est l’alliance biblique. J’ai pris conscience que c’était une innovation absolument unique, que l’islam n’a pas reprise, hélas pour lui.

P. François Jourdan, Prêtre chargé de mission à la paroisse du Saint Esprit (Paris 12e). Supérieur de la communauté eudiste, délégué du diocèse de Paris pour la relation avec l’islam, aumônier d’étudiants (communauté du Luxembourg). Enseignant à l’Institut Catholique de Paris (IER, ISP, IPSL) et à l’École Cathédrale.

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