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Les grandes grâces. Carnet I (11 août 1929 – 2 février 1942). (Marie de la Trinité)

Paris, Cerf, 2009.
Sandra Bureau

Bien que la publication des écrits de Marie de la Trinité, commencée en 2002 par les éditions Arfuyen, ait été accueillie très favorablement par quelques spécialistes, il faut reconnaître que celle qu’on a pu appeler, pour sa mystique tout autant que pour sa théologie, « le Maître Eckart du XXe siècle », demeurait inconnue du grand public. C’était donc audacieux, de la part des éditions du Cerf, de se lancer dans l’édition critique des Carnets de Marie de la Trinité dont nous saluons aujourd’hui la sortie du premier volume. Quatre autres devraient suivre.

Ce volume des grandes grâces recoupe les 5 premiers Carnets (il en existe 35) et s’étend de la première grâce, qui décida de l’entrée de Marie de la Trinité chez les Dominicaines missionnaires des campagnes, jusqu’au 2 février 1942, date à laquelle elle sera relevée de sa charge de Maîtresse des novices. Il offre, en outre, une vaste présentation, biographique et technique, d’une centaine de pages et d’utiles index. Nous pouvons néanmoins nous demander si cette présentation, qui occulte largement la maladie physique de Marie de la Trinité, laquelle occupera pourtant les neuf dernières années de sa vie, pour ne relater que la maladie psychique, il est vrai incontournable – ce qui pose d’ailleurs le problème du rapport de la vie mystique à la maladie psychique – n’est pas un peu trop emblématique, comme s’il fallait que la mystique soit sauvée par la psychanalyse, plutôt que par l’union au crucifié.

Mais cela n’enlève rien à l’œuvre proprement théologique qui se dessine dans les Carnets. Les grandes grâces nous sont, à cet égard, un premier contact avec la pensée de celle qui ne cesse de plonger à l’intérieur de la Trinité, ou plutôt in sinu Patris. Et qui à travers son expérience tout à fait originale du Père découvre, comme en témoigne la première grâce, datée du 11 Août 1929, la relation d’amour qui existe entre le Père et le Fils, relation qu’elle identifiera plus tard à l’Esprit. « L’essentiel, c’est l’union au Père », et à côté de cela tout n’est que moyen, y compris l’union aux états et aux actes du Christ, y compris l’Incarnation.

Ainsi le double mouvement descendant et ascendant, de la filiation et du sacerdoce, vient-il faire écho, chez elle, à l’exitus-reditus de la doctrine traditionnelle de la Rédemption. Filiation et sacerdoce sont les deux mots clés de sa réflexion théologique. La filiation s’entend comme le lien qui descend du Père au Fils, et le sacerdoce comme l’hommage que le Fils rend au Père. Or, si la participation à la filiation est enseignée et vécue par beaucoup d’âmes, tel n’est pas le cas de la participation mystique au sacerdoce du Christ que tout baptisé est invité à vivre. C’est pourquoi cette dimension sacerdotale, qui se livre dans des mots aussi simples que ceux-ci : « le Christ donne une valeur sacerdotale à tout ce que je fais en Lui, même les choses les plus simples » (22 Août 1941), résonne dans ces pages avec l’audace d’une proposition nouvelle et incontournable. C’est là le bien qu’elle se sait chargée de transmettre à l’Église (nous sommes avant Vatican II et l’affirmation du sacerdoce commun des baptisés) et dont nous pouvons aujourd’hui apprécier encore plus la valeur.

Le lecteur trouvera dans ce premier volume des Carnets, derrière un style vif et assuré, outre un accès facilité à la pensée de Marie la Trinité, une invitation certaine à ancrer plus encore sa réflexion théologique dans la prière et l’adoration.

Sandra Bureau, consacrée de la communauté Aïn Karem, prépare une thèse de théologie sur l’inversion trinitaire chez Hans Urs von Balthasar.

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