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Les paraboles du Royaume (Mary Ann Getty-Sullivan)

Coll « Lire la Bible » n°165, Paris, Cerf, 2010, 288 pp.
Jérôme Moreau

Ce livre sur les paraboles, qui s’inscrit au sein d’une riche collection en cours de développement au Cerf, centrée sur l’exégèse (Lire la Bible), est d’un intérêt contrasté. Pour reprendre une formule habituelle, il possède les défauts de ses qualités, mais malheureusement aussi quelques autres.

L‘auteur a clairement choisi d’aborder, dans les trois évangiles synoptiques, les paraboles qui concernent directement le Royaume. L’avantage est de resserrer le propos sur des textes déterminés et de pouvoir les comparer entre eux d’une façon fructueuse : les différences rédactionnelles propres à chacun des évangélistes apparaissent ainsi très clairement, malgré des risques de répétition ou de distinctions hasardeuses lorsque les deux textes sont très proches (par exemple, la parabole du semeur dans Marc et dans Matthieu). Pour un lecteur qui souhaite une introduction aux paraboles, le livre permet ainsi une découverte instructive des diverses méthodes de l’exégèse récente et une entrée dans l’épaisseur du texte évangélique, nourrie de connaissances abondantes.

Cette variété et cette richesse n’empêchent pas, toutefois, un manque de synthèse et de profondeur théologique. Il est ainsi ennuyeux de passer rapidement sur Mc 4, 21-25 : certes, ces versets ne parlent pas directement du Royaume, mais ils sont inclus dans un ensemble plus large dont il est gênant de les séparer trop nettement. Les trois premiers versets sont à peine évoqués, et les deux suivants ne sont cités que pour dire qu’ils appartiennent à des collections présentes également chez Matthieu et Luc, alors que cet ensemble pose des questions profondes sur la nature des paraboles et leur réception. Le choix de n’aborder que les paraboles du Royaume manque donc en partie de pertinence pour définir ce qu’est une parabole. De fait, il manque une perspective synthétique claire sur ce qu’est la parabole : il y a à la fois un attachement à une vision habituelle de la parabole comme récit, et un souci philologique de déterminer l’usage précis du mot (il se retrouve par exemple dans Le Pasteur d’Hermas, traduit alors par « similitude »), sans toutefois atteindre une définition unifiée ni conclure au caractère pluriel des formes de la parabole. L’auteur souligne, surtout, le caractère très familier des images et la pointe de surprise que constitue leur dernier terme, mais cela ne paraît pas suffisant.

Les critères d’interprétation sont également flottants : beaucoup d’éléments sont rapportés à la situation des premiers chrétiens, mais sans avoir toujours des arguments permettant d’étayer ce qui semble demeurer des hypothèses. On peut de même s’interroger sur l’hésitation ou la prudence quant au rapprochement entre Mc 4, 12 et Is 6, 9-10 : cela constitue précisément un problème majeur de compréhension des paraboles, et plus généralement de la prédication de Jésus et de son échec, comme Jean le montre plus clairement encore en situant cette référence juste avant le début du récit de la Passion (Jn 12, 37-50).

Il manque en définitive un véritable regard théologique et spirituel, permettant de ressaisir, derrière toutes les questions passionnantes et justifiées touchant à la rédaction et à la situation des premières communautés chrétiennes, la visée de Jésus et la conversion à laquelle il invite ceux qui l’écoutent. Les premières communautés ont reçu et transmis une parole, mais cette parole de Jésus semble bien lointaine et effacée derrière les ajouts rédactionnels. Il ne suffit pas de parler avec confiance d’une parole qui va réussir, que les disciples comprendraient parce qu’ils ont part au Royaume, du fait qu’ils suivent Jésus. Il semble pourtant qu’ils aient continué à ne pas comprendre l’enseignement qui leur était donné. Les bonnes questions sont posées, mais les réponses, sans être fausses, tendent à gommer le drame et les obscurités de la vie chrétienne, lesquelles devraient interdire de chercher des explications trop simples aux paroles et paraboles de Jésus.

L‘auteur semble au fond hésiter entre une approche exégétique, intéressante mais qui ne va pas aussi loin dans la réflexion théorique que cela serait possible, et une approche herméneutique qui tend à se limiter à des considérations sur les premières communautés chrétiennes et à des questions d’ordre plus psychologique que véritablement spirituel. Quitte à choisir une lecture herméneutique, il aurait été plus éclairant de s’appuyer sur des expériences spirituelles, personnelles ou ecclésiales, témoignant de la vie et de la réactualisation permanente de ces textes, et donc de la pertinence aujourd’hui d’une méditation sur le Royaume et sa venue. Cette hésitation laisse le lecteur, malgré une information abondante, sur sa faim.

Jérôme Moreau, Né en 1980. Ancien élève de l’E.N.S., agrégé de lettres classiques, des études de théologie et une thèse sur Philon d’Alexandrie. Enseignant à l’Université Lyon II.

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