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Les valeurs de l’Occident et la Bible (Roger Klaine)

Cerf, Paris, 2008. 78 p.
Jacques-Hubert Sautel

Ce petit ouvrage, au format d’un livre de poche, est l’œuvre d’un laïc cultivé qui veut transmettre à de jeunes esprits sa passion pour la Bible et sa conviction qu’elle est à la source de la civilisation occidentale. L’entreprise, dont le but consonne tout à fait avec le Discours de Benoît XVI aux Bernardins, est louable ; le ton est volontairement enjoué, avec l’usage du tutoiement comme instrument de dialogue constant avec le lecteur ; le style est simple et concret, assez aisé à suivre pour un lecteur de classe terminale qui fait des études scientifiques. Le plan, calqué sur une pièce de théâtre, est élégant : une « Ouverture » introduit le propos, en dressant la scène sur laquelle s’affrontent aujourd’hui les discours sur le fait religieux ; un « Premier Acte » décrit l’apport de la Bible hébraïque, un « Second Acte », celui du Nouveau Testament.

Dans ses grandes lignes, l’analyse sonne juste et dénonce avec clairvoyance beaucoup de poncifs de la culture contemporaine qui font obstacle au rayonnement de la Bible. Ainsi, le rejet du divin lié à l’omniprésence de la technique dans notre société (p. 10-11), le caractère archaïque et prébiblique des conceptions de l’éternel retour (p. 16-17), sont bien analysés. L’auteur est plus percutant encore quand il met en lumière l’attitude combative et dynamique de notre société face aux désastres ou aux simples difficultés — en un mot son refus du fatalisme —, et énonce le fondement biblique de cette attitude : « Quoi qu’il en soit, l’homme biblique, en représentant du Créateur, est appelé à une tâche qui est une contribution inventive à l’évolution de la vie. Son devenir d’être humain consiste à développer les capacités créatives et constructives qui sont en lui. » (p. 39)

On remarquera aussi une fine analyse de l’interdépendance des devenirs de l’homme et de la nature, telle que l’enseignement de Jésus la révèle à travers les paraboles ou telle que saint Paul l’exprime dans une expression comme « la création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (p. 60, cf. Rm 8, 22). Enfin, on lira avec intérêt une pénétrante compréhension de l’agapê, ce mot qui désigne l’« amour de bienveillance » propre au Nouveau Testament : « Il [Jésus] dit aux siens qu’il exige d’eux un amour mutuel, pas seulement un amour de l’autre. Il ne s’agit pas seulement d’aimer l’autre, mais de créer les conditions d’un amour partagé. » (p. 67).

Il convient cependant de nuancer notre éloge. Non seulement, en effet, un certain déficit de culture historique ou de relecture de l’ouvrage a fait commettre à l’auteur des inexactitudes : une affirmation méprisante et péremptoire sur la philosophie stoïcienne, en p. 13, n’est corrigée qu’en page 52 par une analyse, complète et exacte, qui la contredit complètement ; de même, on pourra reprocher une surestimation de l’apport biblique dans la formation de la démocratie occidentale, par rapport à la pratique politique de l’Athènes classique et à la réflexion des philosophes grecs.

Mais surtout, on regrettera des approximations concernant le Nouveau Testament, comme celle-ci, qui met sur le même plan les synoptiques et saint Jean : « Les quatre livres nommés évangiles ne sont pas produits par des témoins oculaires. Leurs auteurs sont des anonymes. On les a dénommés Marc, Matthieu, Luc et Jean, seulement au IIe siècle. Mais ces livrets ont été rédigés quelque trente ans après la mort du Galiléen. » (p. 55) Plus grave nous semble l’affirmation du dernier paragraphe du second acte : « Jésus, au contraire, a libéré l’homme des obligations cultuelles. […] Cette œuvre était celle d’un Dieu personnel qui demandait aux hommes d’avancer avec lui. Plus que de lui offrir des louanges ou des patenôtres. » (p. 72). Une telle analyse, dans sa généralisation hâtive, nous semble aller complètement à l’encontre du but poursuivi par l’auteur : elle méconnaît les longues heures passées par Jésus à prier son Père des cieux, l’enseignement du Notre Père, la parabole en actes de Marthe et Marie, etc. Elle présente une image du christianisme déconnectée de ses racines, sans doute parce que résultant d’une analyse trop personnelle, qui se veut complètement indépendante de la foi des Églises, en particulier de l’Église catholique. Il est probable aussi que la méconnaissance complète de l’Orient (le mot n’est même pas mentionné dans l’ouvrage, sauf erreur de notre part) est une cause profonde de cette perspective faussée.

En conclusion, nous dirons que ce petit ouvrage, par sa formulation accessible, son ton dynamique, la rectitude générale de sa pensée et des réflexions originales, est un essai qui peut rendre de bons services. Mais, paradoxalement, à notre avis, il sera plus utile dans un labeur d’apologétique, mené par des chrétiens confirmés, que dans l’évangélisation des adolescents, des jeunes adultes et des hommes incroyants auxquels il veut s’adresser, en raison des erreurs ponctuelles, mais importantes, qu’il renferme sur la foi chrétienne.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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