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Méditation sur l’Eglise, suivie de quatre opuscules.

Cardinal Henri de Lubac. Présentation de Son Eminence le cardinal Jean-Marie Lustiger. Cerf, 2003, 501p.

Les éditions du Cerf continuent la publication des Œuvres Complètes du cardinal de Lubac. Ce projet ambitieux nous livre aujourd’hui le huitième volume de la collection, dans lequel on trouve, outre Méditation sur l’Eglise (selon la 6ème édition de 1985), quatre opuscules relatifs au même thème : Credo Ecclesiam (1961), La Vierge Mère (1961), Marie de l’Incarnation et la Sainte Vierge (1954), L’esprit de Sainte Angèle (1958).

Comme dans les volumes précédents, des notes thématiques, la préface à l’édition allemande (par Urs von Balthasar) et la note historique de G. Chantraine permettent de bien situer l’oeuvre dans son contexte et d’en dégager tout l’intérêt théologique. En outre, toutes les citations se trouvent traduites en fin de volume. On peut cependant regretter qu’elles n’aient pas été intégrées aux notes de bas de page, ce qui aurait beaucoup facilité la lecture, puisqu’il s’agit de citations qui sont en quelque sorte intégrées au texte.

Comme son nom l’indique, la Méditation sur l’Eglise n’est pas d’abord un ouvrage de théologie dont le but serait, soit d’instruire, soit de soutenir une thèse. Il s’agit bien d’une méditation, celle d’un croyant qui se situe vis-à-vis de l’Eglise non comme un observateur extérieur, mais comme un membre de cette Eglise prise dans toute son ampleur, dans l’espace comme dans le temps. A travers cet ouvrage, le lecteur peut découvrir ce qui fut l’ambition d’Henri de Lubac : être un homme « ecclésiastique », non pas au sens habituel du terme, où l’on désigne par là un homme qui fait partie de l’organisation ecclésiale, mais au sens où l’entendait déjà Origène. « Pour moi, proclamait Origène, mon voeu est d’être vraiment ecclésiastique. » (Homélies sur Luc, 2 et 16). Ce voeu n’est pas à entendre d’un homme qui veut d’abord être au service de l’Eglise car il n’y a « pas d’autre moyen, pensait-il à juste titre, d’être chrétien en plénitude. » (p.209). L’oeuvre du cardinal de Lubac est en effet toute tendue par ce programme. Aussi le lecteur ne s’étonnera pas de découvrir au hasard des pages de cette méditation comme un autoportrait de l’auteur. On peut, de manière non exhaustive, en donner quelques exemples :

Homme de l’Eglise, il n’acquiert pas cette culture en curieux, pour en jouir, « comme celui qui visite les monuments d’une grande ville » (Clément d’Alexandrie). Il est tout au service de la grande communauté. Il en partage les joies et les épreuves. Il en soutient les combats. Il veille, en toute circonstance, à ne pas laisser dominer en lui - ni, s’il le peut, autour de lui - une sensibilité plus vive à l’endroit des causes charnelles qu’à l’endroit des causes de son Seigneur. Il cultive en lui-même et tâche pareillement à entretenir chez ses frères, lointains ou proches, le sens de la solidarité catholique. Tout ce qui ressemblerait à de l’ésotérisme lui est en particulière horreur. Il résiste aux entraînements du siècle, et un sûr instinct lui fait discerner à temps les périls spirituels.

Il n’est pas un extrémiste et il se méfie des surenchères ; cependant, conscient de n’avoir pas reçu dans les sacrements de l’Église un esprit de crainte mais de force, il n’hésite point à s’engager pour la défense ou pour l’honneur de sa foi. Sachant qu’il est possible de pécher beaucoup par omission, il parle et agit alors avec intrépidité, « à temps et à contretemps », même au risque de déplaire à beaucoup, même au risque d’être mal compris de ceux avec lesquels il tiendrait le plus à se trouver en accord. En même temps qu’il évite avec soin toutes les impasses dont l’autorité compétente lui signale le danger, il songe aux devoirs positifs qu’elle lui rappelle, dont il voit lui-même l’urgence, et qu’une prudence trop humaine le porterait cependant à négliger. Il voudrait se trouver toujours prêt, comme saint Pierre déjà le demande, à rendre compte à tout homme de l’espérance qui est en lui, et il craint de s’en rendre incapable par une accoutumance à des horizons trop proches ou par le souci de sa tranquillité. Il tient à penser toujours, non seulement « avec l’Église, mais, comme disait aussi l’auteur des Exercices spirituels, « dans l’Église », ce qui implique à la fois une fidélité plus profonde, une participation plus intime, et par le fait même une allure plus spontanée : l’allure d’un véritable fils, d’un enfant de la maison. Il se laisse en toute chose éclairer, guider, modeler non par des habitudes ou des bienséances, mais par la vérité dogmatique. Tout comme l’était un Newman, il peut être sensible, autant et plus que bien d’autres, aux « difficultés de la religion » ; mais, pas plus qu’à ce grand homme, il ne lui est possible de mettre un lien réel « entre le fait de saisir ces difficultés, si vives, si étendues soient-elles, et celui de concevoir le moindre doute au sujet du mystère qui les a fait naître ». Pas plus que lui non plus, il n’est tenté « de mettre en pièces le legs intellectuel qui nous a été transmis pour les temps présents » par des hommes tels que saint Irénée, saint Athanase, saint Augustin ou saint Thomas. Il s’emploie tout au contraire à le conserver et à le mettre en valeur » (p.214).

Au-delà de l’auteur, qui en véritable « vir ecclesiasticus », s’efface devant sa mission, ce livre permet au lecteur de saisir ce qu’est l’Eglise dans toute son ampleur, dans tous ses aspects, bref, dans tout son mystère. On n’oubliera pas que ces pages ont précédé le Concile Vatican II, auquel elles ont contribué, et que, relues conjointement avec la Constitution sur l’Eglise Lumen Gentium, elles prennent un éclairage saisissant. Citons, pour terminer, ces quelques lignes sur la mission de l’Eglise : « L’Eglise a pour unique mission de rendre Jésus-Christ présent aux hommes. Elle doit l’annoncer, le montrer, le donner à tous. Le reste, encore une fois, n’est que surcroît. A cette mission nous savons qu’elle ne peut faillir. Elle est et sera toujours en toute vérité l’Eglise du Christ : ‘ Je suis avec vous jusqu’à la consommation du siècle’. Mais ce qu’elle est en elle-même, il faut qu’elle le soit aussi dans ses membres. Ce qu’elle est pour nous, il faut aussi qu’elle le soit par nous. Il faut que par nous Jésus-Christ continue d’être annoncé, qu’à travers nous Il continue de transparaître. C’est là plus qu’une obligation : c’est, peut-on dire, une nécessité organique. Les faits y répondentils toujours ? Par notre ministère, l’Église annonce-t-elle vraiment Jésus-Christ ?

La question doit être posée. Elle soulève plus qu’un problème d’ordre moral ou de conduite individuelle. Elle veut introduire non une exhortation, mais une réflexion. Il ne s’agit point ici, en effet, de réveiller ou de redresser un zèle toujours défaillant, mais de protéger ce zèle contre des écueils toujours renaissants. Il s’agit pour cela, sans méconnaître les inévitables complexités de l’action, de fixer quelque temps nos regards sur l’essentiel, en sa divine et pure simplicité » (p.190).

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