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Ne renie pas tes créatures (Benoît XVI)

Parole et Silence, Paris, 2008.
D. Brunon

Cet ouvrage rassemble des allocutions prononcées et des textes divers rédigés au cours des cinquante dernières années. Le texte central de l’ouvrage est l’allocution de Benoît XVI à Auschwitz en 2006, suivie par une série de « documents » : un message de Jean Paul II transmis le 15 janvier 2005, un article du Cardinal Joseph Ratzinger paru dans l’Osservatore Romano, le 29 décembre 2000, un bref message de Jean Paul II au Cardinal Cassidy du 12 mars 1998, à l’occasion de la publication d’une réflexion de la Commission pour les Relations religieuses avec le Judaïsme intitulée : « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah », suivi du texte lui-même, l’homélie de Jean Paul II au camp de Brzezinka, et enfin le paragraphe n° 4 de la Déclaration du Concile œcuménique Vatican II Nostra Aetate sur la religion juive. Une préface de Benoît XVI place le recueil sous le signe de la Visitation. Une introduction générale de Gianfranco Ravasi invite à entrer dans un « itinéraire spirituel » dont le point de départ est la méditation sur l’effrayant désert d’humanité du lager nazi, dont l’issue ressemble à une nouvelle aube, « une aube qui va s’illuminant toujours davantage grâce à l’œuvre des papes qui nous parlent à partir de ces pages, rappelant avec insistance les racines juives de la foi chrétienne, dans le sillage de la déclaration Nostra Aetate (N°4) du concile Vatican II. » (p. 13)

Voici un recueil qui vient nourrir notre réflexion sur la manière dont nous pouvons être bâtisseurs de paix, et ce qui nous guette sur ce chemin. En ce sens, la Shoah concerne profondément chaque être humain, non pas seulement comme devoir de mémoire, mais tout autant comme enseignement pour le présent et l’avenir, sur l’humanité et ce qui la menace.

Mais c’est aussi un ouvrage qui nous invite à réfléchir sur les rapports qu’entretient l’Église avec ses propres racines. Ici également cet ouvrage ouvre une perspective de réflexion féconde pour l’avenir. Par exemple, la réflexion de la Commission pour les Relations religieuses avec le Judaïsme retrace le passé de l’Église, et la manière dont elle a pu parfois semer les graines de l’antijudaïsme européen. Or, l’ensemble des messages fait clairement apparaître que ce reniement par l’Église de ses propres racines ne peut que l’affaiblir. Benoît XVI souligne d’ailleurs un aspect important du projet d’extermination nazi : « par la Shoah, on voulait arracher également la racine sur laquelle se fonde la foi chrétienne ». Comme le note Gianfranco Ravasi dans son introduction, une prise de conscience a surgi dans l’Église au cours de ce demi-siècle : « et c’est là le fruit positif qui pousse sur cet arbre empoisonné : la conscience renouvelée du lien vital et indestructible qui lie l’Église et Israël. » (p. 19)

Parmi les documents figure l’article de celui qui était alors le Cardinal Ratzinger, « L’héritage d’Abraham, cadeau de Noël », publié dans l’Osservatore Romano en 2000, dans lequel nous sommes invités à méditer sur ces liens fondateurs et indissolubles entre l’Eglise et Israël, par exemple en reconnaissant que la splendide image du chapitre 12 du livre de l’Apocalypse « cette unification de trois significations – Israël, Marie et l’Église – montre que, dans la foi des chrétiens, Israël et l’Eglise étaient et sont inséparables ». (p. 48) C’est avec son habituelle lucidité qu’il reconnaît aussi dans cet article l’insuffisante résistance de la part des chrétiens aux atrocités de la Shoah, qu’il attribue à l’hérédité anti-judaïque que colportent beaucoup de chrétiens. Il nous invite à reconnaître que de ce drame est née une nouvelle vision dans l’Église de sa relation à Israël : « une sincère volonté de surmonter tout type d’antijudaïsme et de commencer un dialogue constructif de connaissance réciproque et de réconciliation. » (p. 49) Il situe ce dialogue sur un autre plan que celui du dialogue interreligieux en général, car « la foi attestée dans la Bible des juifs, que les chrétiens appellent Ancien Testament : n’est pas pour nous une religion différente, mais le fondement de notre foi. (n.s) » (p. 50)

Enfin, l’ouvrage propose un texte court sur la religion juive, tiré de la déclaration de Vatican II, Nostra Aetate, publié en octobre 1965, qui déjà rappelait à chaque chrétien l’immense patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux juifs et encourageait la connaissance et l’estime mutuelles, susceptibles de naître des études bibliques et théologiques et d’un dialogue fraternel. Un chemin important a été parcouru en ce sens, particulièrement par de grandes figures de l’Église de la fin du 20ème Siècle, comme le Cardinal Lustiger, qui a beaucoup œuvré au dialogue fraternel entre juifs et chrétiens. Mais il est clair aussi, près d’un demi-siècle après la publication de ce texte, qu’une grande partie de ce chemin reste encore à parcourir.

Il est utile de pouvoir trouver ainsi rassemblés en un seul ouvrage ces textes importants qui reprennent un message central pour la foi chrétienne tout au long d’un demi siècle. Le lecteur avisé saura reconnaître les accents spécifiques à chaque texte mais également le fil rouge qui traverse l’ouvrage : la position de l’Église au cours de ces dernières cinquante années émerge clairement de cette compilation. Condamnation absolue des atrocités commises à l’encontre des juifs d’Europe sous le régime nazi, et vigilance devant tout ce qui pourrait permettre à ces tentations infernales de resurgir. Mais encore : reconnaissance profonde et réfléchie des racines juives du christianisme. Enfin, prise de conscience sincère, et laissant de côté toute pudeur apologétique, sur le bilan plutôt négatif des rapports de l’Église avec le judaïsme au cours des siècles et conviction qu’une relation renouvelée et fraternelle doit désormais être cultivée.

Même si les « documents » publiés le sont sous une rubrique intitulée « pour ne pas oublier », l’ouvrage véhicule bien plus qu’un devoir de mémoire en tant que tel. Comme l’affirmait Jean Paul II, « il n’y a pas d’avenir sans mémoire », et ce recueil semble davantage tourné vers l’avenir que vers le passé, un avenir lumineux, car fondé sur une mémoire lucide qui ne nous épargne pas la douleur mais qui seule peut nous apprendre la vigilance.

Cette compilation risque d’être déroutante pour le lecteur qui connaît peu les textes magistériels. Une brève perspective historique sur leur élaboration, leur réception, leur diffusion aurait été utile…Par ailleurs, des thématiques reliées, certes mais toutefois diverses s’y trouvent mêlées : les allocutions de Benoît XVI et de Jean Paul II font référence à la Shoah, et par extension à toute forme de perversion humaine débouchant sur le génocide. En revanche, d’autres textes sont davantage axés sur la question des relations entre l’Eglise et le judaïsme, ou sur les racines juives de la foi chrétienne. Ainsi, comme toute compilation sans mise en perspective contextuelle, il manquera ici des clés de compréhension pour certains lecteurs.

C’est pourquoi il faut envisager cette lecture moins comme une solide référence pour la compréhension des positions de l’Église sur ces questions, sur leur évolution au cours d’un demi-siècle, que comme quelques paroles, quelques réflexions, quelques textes, profonds, qui se situent au cœur de la pensée de l’Église franchissant le seuil du XXIe siècle et qui peuvent éclairer, nourrir, consolider notre propre réflexion sur notre vie chrétienne. C’est sous le signe de la Visitation que Benoît XVI place ce recueil : dans son introduction qui date du 31 mai 2006, la prière que le Saint Père confie au Seigneur par l’intercession de Marie donne tout son sens à cet ouvrage : « Que les hommes recommencent à reconnaître que Dieu est le Père de tous et qu’il nous appelle tous en Christ à construire ensemble un monde de justice, de vérité et de paix. » (p. 7).

Réalisation : spyrit.net