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Note sur le Purgatoire

Jean Lédion

Comme le thème de la descente aux enfers a été depuis longtemps quasiment absent de la théologie occidentale, on peut se demander si l’élaboration progressive (et relativement tardive) de la doctrine du purgatoire ne s’est pas constituée comme un substitut destiné à combler partiellement cette absence. Il faudrait noter cependant que le thème de la purification après la mort n’est pas totalement absent de la tradition orientale, quoique sous des formes différentes. En outre, le purgatoire envisage la vie – et le temps – après la mort du point de vue des seuls hommes, quand la descente aux enfers concerne à la fois le Christ et les hommes qu’il y retrouve. Cette note n’a donc pas pour but de développer cette hypothèse, mais de rappeler seulement les éléments essentiels de la doctrine catholique du purgatoire, notamment au niveau des affirmations du Magistère de l’Église [1].

Les origines de la doctrine

La notion est tout d’abord exprimée par un adjectif, dans l’expression « peines purgatives », avant de l’être par le nom de « purgatoire » Il faut rappeler que ce terme n’est pas d’origine biblique, mais vient de la réflexion théologique. Cela explique que la doctrine ne soit pas une doctrine universelle dans le Christianisme. Les Églises orientales orthodoxes, en particulier, ne connaissent pas le purgatoire. Même si la notion n’est pas scripturaire, on peut cependant la rapprocher de quatre éléments bibliques :

  • la croyance en une vie après la mort, liée à la foi en la résurrection du Christ (cf. 1 Th 4, 14 ; 1 Co 15, 20 ; Rm 6, 8sq.),
  • la croyance encore plus ancienne de l’existence d’un « lieu » d’attente pour les morts (le « shéol » biblique), lieu qui est à prendre en un sens métaphorique, dont on ne sait pas grand chose (Jb 30, 23),
  • la pratique universelle de la prière pour les défunts, qui est déjà attestée dans l’Ancien Testament, notamment au second livre des Maccabées (2 M 12, 46),
  • la croyance en une notion de purification des morts, purification par un « feu » que l’antiquité chrétienne emprunte au psaume 65 : « Nous avons passé par le feu et par l’eau. Mais quelle douceur, quand tu nous fis sortir » (Ps 66[65], 12 b-c).

C’est à partir du XIIème siècle, en Occident, que commença une élaboration théologique du purgatoire, qui tenta de préciser le lieu symbolique où devaient se trouver les morts. Bien avant cette époque, cependant, la réflexion avait débuté : le texte de saint Grégoire le Grand (pape de 590 à 604) cité par le CEC, § 1031 [2], donne un exemple de cette élaboration progressive, qui ne reçut toutefois pas de formulation dogmatique à cette époque. Le lieu des damnés, qui va prendre le nom d’enfer (au singulier), se distingue du lieu des défunts qui ont besoin d’une purification pour accéder ensuite au Paradis, où seuls sont admis d’emblée les martyrs. Mais ce n’est qu’au Concile de Trente que la doctrine du purgatoire est expressément affirmée. Entre temps, la dévotion populaire avait provoqué des développements et des pratiques qui ont connu des excès contestables, dénoncés par les réformateurs protestants. Néanmoins, la dévotion et les prières pour les âmes du purgatoire vont continuer à connaître une faveur importante jusqu’au début du XXème siècle. De nos jours, surtout à partir de Vatican II, le purgatoire est devenu un sujet des plus discrets dans la catéchèse et dans la prédication.

Les affirmations du Magistère

Les textes officiels de l’Église à portée doctrinale et concernant le purgatoire sont relativement peu nombreux, vu le caractère assez récent de l’élaboration de la doctrine.

La première attestation des « peines purgatoires » se trouve dans les actes du second concile de Lyon (XIVème œcuménique) en 1274, dans la « Profession de foi de Michel Paléologue » :

Que si, vraiment pénitents, ils meurent dans la charité, avant d’avoir satisfait, par de dignes fruits de pénitence, pour ce qu’ils ont commis ou omis, leurs âmes sont purifiées après la mort par des peines purgatoires et purifiantes (…). Pour adoucir ces peines, les intercessions des fidèles vivants leur sont utiles, à savoir le sacrifice de la messe, les prières, les aumônes et les autres œuvres de piété que les fidèles ont coutume de faire pour les autres fidèles selon les institutions de l’Église. (DS 856)

Ce texte sera repris presque mot pour mot au Concile de Florence, dans le Décret pour les Grecs de la bulle Laententur cœli d’Eugène IV, du 6 juillet 1439 (DS 1304).

Le Purgatoire, comme substantif, apparaît au siècle suivant dans la lettre du pape Clément VI à Mekhitar d’Arménie, du 29 septembre 1351 :

Nous demandons si tu as cru et si tu crois qu’il existe un purgatoire vers lequel descendent les âmes de ceux qui meurent en état de grâce et qui n’ont pas encore satisfait pour leurs péchés par une entière pénitence (…). (DS 1066)

Mais le texte de référence est celui du « Décret sur le purgatoire » du Concile de Trente (25ème session, 3 et 4 décembre 1563) :

Puisque l’Église catholique, instruite par l’Esprit Saint, qui a enseigné selon les saintes Lettres et l’antique tradition des Pères, dans les saints conciles et, tout récemment, dans ce concile œcuménique, qu’il y a un purgatoire et que les âmes qui y sont retenues sont aidées par les intercessions des fidèles et surtout par le sacrifice propitiatoire de l’autel, le saint concile prescrit aux évêques d’apporter tous leurs soins à ce que la saine doctrine du purgatoire, transmise par les saints Pères et les saints conciles, soit crue par les fidèles, tenue, enseignée et prêchée en tout lieu. Dans les milieux peu instruits, on exclura toutefois des sermons populaires les questions trop ardues ou trop subtiles qui ne prêtent pas à l’édification et, la plupart du temps, n’amènent pas à la piété. Ils ne laisseront ni exposer ni répandre les idées douteuses ou teintées d’erreur. Quant à celles qui n’éveillent que la curiosité ou la superstition, ou celles qui ont un relent de gain désavouable, ils les interdiront comme scandaleuses et blessantes pour les fidèles… (DS 1820).

Enfin, dans la bulle Iniunctum nobis de Pie IV du 13 novembre 1564, qui est en quelque sorte un résumé de l’essentiel de l’enseignement du concile de Trente (on l’appelle aussi profession de foi tridentine), on retrouve quelques lignes sur le purgatoire :

Je tiens sans défaillance qu’il y a un purgatoire et que les âmes qui y sont retenues sont aidées par les intercessions des fidèles. (DS1867)

L’article 1031 du Catéchisme de l’Église catholique est aussi bref, dans sa définition théologique : « L’Église appelle Purgatoire cette purification finale des élus qui est tout à fait distincte du châtiment des damnés (…) », mais il rappelle que la doctrine repose sur les textes des conciles et sur quelques témoignages patristiques, en particulier le texte de Grégoire le Grand évoqué plus haut :

Pour ce qui est de certaines fautes légères, il faut croire qu’il existe avant le jugement un feu purificateur, selon ce qu’affirme Celui qui est la Vérité, en disant que si quelqu’un a prononcé un blasphème contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pardonné, ni dans ce siècle-ci, ni dans le siècle futur (Mt 12, 31). Dans cette sentence, nous pouvons comprendre que centaines fautes peuvent être remises dans ce siècle-ci, mais certaines autres dans le siècle futur. [3]

Aussi la doctrine du purgatoire, bien que peu mise en valeur aujourd’hui du fait des dérives qu’elle a connues, et qui sont proches de celles qui ont concerné les indulgences, peut apparaître comme une explicitation progressive par la tradition occidentale d’une croyance chrétienne dont les premiers linéaments se trouvent dans les textes bibliques et la tradition patristique ; cette élaboration n’a pas eu son équivalent en Orient, sans doute parce que d’autres tentatives y avaient déjà occupé ce champ, en particulier autour de la descente du Christ aux enfers.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

[1] Le lecteur pourra se reporter au numéro 76 de Résurrection, consacré au purgatoire, pour avoir une vue plus complète du sujet : actuellement épuisé, il sera prochainement mis en ligne sur notre site (http://www.revue-resurrection.org).

[2] Voir infra, à la fin de notre article.

[3] Grégoire le Grand, Dialogues, 4, 39.

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