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Numéro 100

P. Michel Gitton

Le numéro que vous avez entre les mains porte le numéro cent, mais ne vous y trompez pas, c’est en réalité le 176e, si l’on compte la première série qui a fait place en 1985 à la « nouvelle série », dont cette livraison est la centième parution. Un véritable exploit, pour une revue qui n’a jamais eu d’autre équipe de rédaction que des étudiants et quelques jeunes universitaires !

Ce numéro est consacré aux traductions de la Bible, et ce n’est pas tout à fait un hasard si ce numéro jubilaire reprend le problème biblique. Un examen de la liste des titres déjà parus prouve que la Bible, d’une manière ou d’une autre, a été au coeur des préoccupations des générations successives de rédacteurs :

dans l’ancienne série,

  • n° 46 : « La lettre et l’esprit »
  • n° 57 : « Le Dieu de la Bible »

dans la nouvelle série,

  • n° 40 : « L’interprétation des Ecritures »
  • n° 75 : « Miettes bibliques ».

En outre, le numéro des quarante ans de Résurrection (n° 60-61) lui était largement consacré et l’on peut ajouter les numéros se mesurant à l’historicité des évangiles (n° 48 de l’ancienne série : « Jésus de l’histoire, Christ de la Foi », n° 70 : « la Conscience du Christ », n° 8 de la nouvelle série : « les tentations du Christ » etc...), ou encore les études sur la Révélation. Quelques-uns des plus grands biblistes de notre temps n’ont pas craint de contribuer à la revue Résurrection en lui confiant un article inédit. Ainsi le P. Henri Cazelles, le P. René Feuillet, le P. Paul Beauchamp, ou encore M. Christian Amphoux...

On peut s’interroger sur les raisons de cette place relativement importante de la Bible dans notre revue, alors que, de toute évidence, peu de nos rédacteurs, au cours de ces cinquante ans ou presque, ont pu mener des études personnelles en matière d’exégèse biblique (ce qui ne veut pas dire que toute recherche a été absente de leur travail d’élaboration des articles, et qu’on s’est forcément contenté d’études de seconde main). La formation de la plupart des rédacteurs les portait en effet plutôt vers la philosophie, la patristique ou la littérature... Cette mise en valeur de l’Ecriture est donc le reflet des tendances générales de l’Eglise catholique, depuis ce qu’on a appelé le « renouveau biblique », qui a précédé et préparé le Concile Vatican II.

Elle est en rapport avec une redécouverte des sources vives de la pensée chrétienne (liturgie, Pères de l’Eglise, spirituels), qui soulevait toute une génération, au moment précisément où se fondait la Revue Résurrection (1956).

Une autre raison apparaît aisément à la lecture des numéros anciens de la période 1970-1990 : c’est une préoccupation qu’on pourrait dire « défensive » : devant les débordements de la méthode historico-critique, il convenait de préserver la possibilité d’un accès à l’histoire de Jésus, et de contester les visions réductrices qui s’imposaient alors (et s’imposent encore, d’ailleurs), avec la lourdeur prétentieuse d’une érudition mal maîtrisée et une naïve croyance en des instruments d’analyse à la mode. Résurrection rejoignait ici l’intuition de publications comme Fidélité et Ouverture de Gérard Soulages ou les Quatre Fleuves, avec les chroniques toujours percutantes de Jacques Perret. Il s’agissait de préserver la possibilité d’un accès intelligent aux textes bibliques sans renoncer à la cohérence doctrinale.

Depuis ces années, il serait faux de penser que cet objectif a perdu de sa pertinence, et bien des articles écrits dans ces années gardent une réelle actualité (le numéro 32, « Il est vraiment ressuscité », malheureusement épuisé, ou celui sur la Conscience du Christ [70] gagneraient à être mieux connus). Mais le champ de la réflexion se déplace.

Les maîtres-mots d’aujourd’hui sont : intertextualité, inculturation. La Bible apparaît comme produit de culture et source de cultures. L’aventure de la traduction, commencée avant même l’ère chrétienne fascine et retient l’attention.

Résurrection a risqué un numéro apprécié (le numéro double 69-70) sur la « littérature au risque de l’Evangile », qui, malgré son titre, ne s’en tient pas au Nouveau Testament, mais examine la fécondité littéraire (dans l’ère francophone) de la Bible tout entière.

Le numéro qu’on va lire se mesure avec la question des nouvelles traductions, dans le contexte passionné que l’on sait : faut-il « déconfessionnaliser » la Bible ? Faut-il privilégier l’original hébreu de l’Ancien Testament ? Une traduction peut-elle être autre chose qu’une nouvelle invention, et se mettre vraiment au service de l’orthodoxie de la foi ?

Toutes ces questions se posent. Si les chrétiens veulent saisir la chance qui est la leur de voir leur héritage passionner un vaste public et servir ainsi de base pour une annonce intelligente de la foi, il ne leur faut pas déserter ce terrain, il ne faut pas le laisser à ceux qui prétendent récupérer la Bible au service de leurs intérêts ou de leurs lubies.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

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