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Parole et récit évangéliques. Études sur l’évangile de Marc

Jean Delorme, coll « Lectio Divina », Cerf, Paris, 2006, 315p.
Jean Lédion

Ce livre est une édition posthume de divers travaux de Jean Delorme, qui, pour la plupart, ont déjà été publiés dans des revues spécialisées peu accessibles au grand public. Ces contributions ont été rassemblées et présentées par Jean-Yves Thériault. Et, comme le titre l’indique, elles sont toutes relatives à l’évangile de saint Marc.

L’originalité de ces études provient de la spécialisation de l’auteur qui, ayant été professeur d’Écriture sainte au grand séminaire d’Annecy, puis professeur d’exégèse à Lyon, s’est ensuite dirigé vers la sémiotique, discipline dont l’ambition est, dans le cas présent, de s’intéresser au texte en prenant de la distance vis à vis de la lecture historique qui, elle, situe d’abord le texte dans son contexte historique.

« Le texte, rien que le texte, tout le texte », tel est l’adage qui résume la démarche (p. 31). Cependant, il ne faudrait pas croire que cela revient à faire une lecture « fondamentaliste ». L’auteur s’en défend, tout en affirmant que la lecture sémiotique entend bien scruter l’intégralité du discours pour n’en rien négliger, sans ignorer pour autant les apports de l’exégèse classique.

Nous trouvons donc l’exégète et le sémioticien à l’œuvre dans l’évangile de saint Marc. Le second chapitre du livre, qui fait tout de même 84 pages, est ainsi consacré aux 15 versets qui ouvrent cet évangile (1,1-15). Ces versets, que le lecteur parcourt généralement rapidement, sont analysés avec soin. On peut dire que l’auteur (qui a travaillé toute sa vie sur cet évangile) en dégage bien des aperçus nouveaux et originaux. A la lecture de ses commentaires, on voit apparaître de manière éclairante bien des analogies qui existent entre l’introduction de saint Marc et le premier chapitre de saint Jean. Cette parenté entre les deux évangiles a déjà été mise en évidence par d’autres auteurs, mais cette étude « sémiotique » apporte beaucoup d’arguments intéressants. Il est dommage que l’auteur n’ait pas cherché à le souligner davantage dans son exposé.

A titre d’exemple, citons un passage qui concerne les rapports qui existent entre la prédication de Jean-Baptiste et celle de Jésus, où J. Delorme s’attache à montrer la continuité du dessein divin.

Les termes de la proclamation varient de Jean à Jésus comme de Jésus à ses disciples après Pâques, mais du point de vue de Marc, c’est la même action divine qui se déploie. Elle a commencé avant que Jésus soit reconnu “Christ fils de Dieu” et pour qu’il le soit. Dans cette histoire, c’est l’aboutissement qui permet de reconnaître le commencement. Ce qui advient avec Jean, puis Jésus, prépare ce qui suit et lui est nécessaire. Mais ce qui vient après est nécessaire pour ce qui précède trouve sa vérité. Jean n’est pas seulement le précurseur qui fraie la route d’un autre. Pour que la parole de Jean soit validée, il a fallu que Jésus vienne autrement qu’elle ne l’annonçait. Ce qui a commencé avec Jean continue différemment avec Jésus et continuera encore autrement après Jésus. Et c’est l’évangile d’après Pâques qui révèle ce qui fonde la prédication de Jean, qui ne parlait pas de Jésus-Christ, et celle de Jésus, qui ne parlait pas de lui-même. Dans cet enchaînement de trois modalités de l’évangile, celle de “l’évangile de Dieu” en Galilée fait charnière en désignant le principe des deux autres. Les mutations successives sont imprévisibles dans le sens de l’avant à l’après, mais racontées après coup, elles se tiennent et s’éclairent dans le sens de l’après vers l’avant. » (p. 94)

Nous voyons donc à travers cet exemple comment travaille l’auteur. Il prête attention à tous les détails du langage en essayant de bien distinguer ce qui relève du narrateur, du commentateur et du lecteur qui se trouve en face du texte. Et, comme on vient de le voir ci-dessus il montre bien que le texte qui s’adresse au lecteur n’est pas un texte de pure narration, car il suppose toujours que le lecteur connaît la « suite ». C’est pourquoi le texte, en l’occurrence celui de l’évangile de saint Marc, est bien ce qu’il nomme une « heureuse annonce » du dessein de Dieu sur l’humanité, face à laquelle l’auteur, comme le lecteur, ne peuvent être neutres. Cette manière de lire peut paraître originale, mais d’une certaine manière elle renoue avec les méthodes de lecture des Pères. Ils attachaient toujours une grande importance à tous les détails du texte, cherchant à éclairer les passages obscurs par d’autres plus clairs. Ainsi pensaient-ils dégager le mieux possible le sens littéral, contrairement à une certaine exégèse historique qui avait tendance à s’en écarter en y introduisant déjà des présupposés interprétatifs.

Il reste donc au lecteur de ce livre de suivre, à travers ces quelques études, la démarche de l’auteur, quitte à passer les parties un peu plus « théoriques »sur l’intérêt de la lecture sémiotique. Il pourra alors se faire une opinion sur l’intérêt de ces exégèses sur saint Marc.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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