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Pour innover, revenir aux fondamentaux

Résurrection

En mettant la famille à l’ordre du jour du synode des évêques de 2014-2015, le pape François a d’abord eu le souci de trouver des remèdes propres à relever une institution en crise. Crise qui se manifeste de plusieurs manières : l’augmentation du nombre de divorces (plus d’un sur deux mariages en région parisienne) et l’union libre de jeunes gens qui ne voient pas l’intérêt d’une cérémonie, religieuse et même civile. Une autre dimension de la crise est la dénatalité : presque partout dans le monde, sauf en Afrique subsaharienne, les familles ne se renouvellent plus : les deux qui la fondent n’arrivent pas en moyenne, pour des raisons diverses, à assurer leur propre remplacement. Des pays de vieille tradition catholique comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal, ou plus généralement chrétienne comme l’Allemagne se trouvent particulièrement frappés, la France seule résistant jusqu’ici quelque peu à l’effondrement général.

Le Saint Père a aussi, conformément à son habitude, voulu renouveler le discours de l’Église sur la famille, enfermé il faut bien le dire depuis longtemps dans des formules répétitives où les bons sentiments tiennent lieu de pensée et qui ont fleuri en abondance sur ce thème depuis la fin du XIXe siècle. C’est à ce moment-là en effet que l’Église qui n’avait presque jamais parlé jusque-là de la famille proprement dite en fait un de ses thèmes majeurs.

Le pape François a également appelé à une large consultation où, d’un bout à l’autre de la chrétienté, les différentes communautés qui composent l’Église pourraient apporter leur contribution. Le présent cahier de la revue Résurrection se veut une de ces contributions.

Comme souvent dans l’Église, l’innovation et le renouvellement des idées passent par un retour aux fondamentaux. D’autant qu’en l’espèce, ce retour, loin d’être un exercice théorique, devrait permettre de progresser dans la compréhension de la crise que traverse la famille.

Famille ou plus exactement mariage. Nous traiterons en effet d’abord du mariage. Le mariage est un sacrement et, seul, dans l’espace de l’Église, il peut fonder une authentique famille. Il la précède donc. Oublier cette préséance du mariage ne serait pas seulement une erreur théologique, ce serait ouvrir la porte à des dérives pratiques : la femme est épouse avant d’être mère - comme le père est d’abord époux -, et cela pour le plus grand bien d’une éducation équilibrée des enfants. C’est sans doute pourquoi, pendant des siècles, la théologie a traité exclusivement du mariage et non de la famille.

Sacrement, le mariage n’est pas seulement un « plus » spirituel à une réalité naturelle (article de M. Gitton). Il est, comme le dit le Seigneur lui-même, un retour aux sources, la reconnaissance d’une réalité voulue par Dieu « au commencement » et, par là, dès le départ sacramentelle : « N’avez-vous pas lu que le Créateur, dès l’origine, les fit homme et femme ? » (Mt 19, 4).

Si la sexualité animale n’a évidemment pas un tel caractère, elle s’inscrit néanmoins dans le plan d’une création qui s’est faite « par le Verbe » (Jn 1, 3). Vieille de près d’un milliard d’années, la reproduction sexuée constitue, par sa complexité et son intelligence, une des merveilles de la création. Elle repousse bien évidemment dans les ténèbres du ridicule la prétention de vouloir faire un mariage unisexe (article d’I.Rak).

Ceci posé, le mariage repose, dès le commencement, sur deux fondamentaux que rappelle la Genèse et dont l’oubli explique largement selon nous la crise du mariage :

L’homme quitte son père et sa mère et s’attache à sa femme,
Et ils deviennent une seule chair. (Gn 2, 24)

Quitter son père et sa mère : que le mariage (et par là la famille) commence par un acte de rupture est une vérité fondamentale, non seulement biblique mais psychologique, que l’on rappelle trop peu (article de R. Hureaux). Cette rupture ne saurait être que celle d’un individu, même s’il doit, dans un second temps, s’unir à une femme. Cette rupture est non seulement territoriale, mais surtout psychologique. Combien de mariages échouent faute que l’un des deux époux ait, comme on dit, coupé le cordon ombilical avec sa famille d’origine ? Peut-être la moitié au dire de certains professionnels. La personne est certes, dans la théologie, inséparable des relations qu’elle tisse. Mais il est des liens incompatibles, c’est pourquoi la vie interpersonnelle n’est pas seulement faite d’attaches, elle est aussi faite de ruptures.

Ce nécessaire rappel s’inscrit en faux contre une conception que nous appellerons holiste de la famille, négatrice de l’individu, pour laquelle la famille vaut en tant qu’agrégation, et pour laquelle tout ce qui agrège, agglutine, unit, voire fusionne, est a priori bon. Une telle conception, confondant fâcheusement la famille de l’amont (celle dont on vient) et la famille de l’aval (celle que l’on fonde), a du mal à intégrer la dimension de rupture. Or, faute que certaines ruptures se fassent, de graves pathologies, non seulement du couple mais des enfants peuvent survenir. Ce n’est pas pour rien que pendant des siècles l’Église a combattu pour libérer le couple chrétien, consacré par le sacrement, des entraves tribales, claniques, parentales pour lui donner son plein épanouissement (article de J. Marensin). C’est pourquoi la famille a toujours constitué un facteur de résistance à tous les pouvoirs abusifs de type totalitaire (article de G.Nanterre).

Ne faire qu’une seule chair. Pas une seule âme, un seul cœur, mais une seule chair. La tentation encratique présente chez les premiers gnostiques, tendant à une dévalorisation radicale de la chair, du corps, de la sexualité et donc du mariage, a été combattue dès les temps apostoliques (1 Tm 4, 1-3) et tout au long de l’histoire de l’Église. En théorie, mais pas toujours en pratique. L’idée que Dieu est l’ennemi de la sexualité, tellement absurde si on considère comment celle-ci s’inscrit dans l’histoire grandiose de la Création, est encore ancrée dans les esprits, hors de l’Église mais aussi dedans. Cette attitude peut faire de graves ravages dans les couples. Saint Paul, de manière discrète mais catégorique la prévient dans la Première Épître aux Corinthiens (I Co 7, 4-5) (cf. encart 3). Une fois admis que la fécondité est la finalité première de l’union conjugale, la sagesse pratique montre combien celle-ci est aussi le ciment indispensable du mariage.

Refus d’une double tentation, holiste et encratique, rappel de la nécessaire rupture préalable au mariage, rappel de la dimension essentielle de l’union de la chair, bref retour pur et simple à l’admirable définition du mariage que donne la Genèse : il y a peut-être là les prémisses d’un discours dépoussiéré sur la famille en rigoureuse conformité avec la Tradition et en accord avec les réalités pratiques de la vie, expliquant, par défaut, l’échec de bien des couples. D’autres facteurs peuvent contribuer à ces échecs. Ainsi les difficultés financières, mais on s’accorde à penser qu’elles ne suffisent pas par elles-mêmes si d’autres raisons ne préparent pas le terrain (entretien avec A. Julienne).

Ces considérations font peu de place à la question de l’accès à la communion des divorcés remariés qui, selon certains prélats allemands, serait le problème majeur de la chrétienté. Ce serait certes manquer de compassion vis-à-vis de beaucoup de personnes vivant des situations douloureuses, que de tenir cette préoccupation pour un caprice de pays riches ; il n’en demeure pas moins que dès lors qu’il y a échec, les problèmes qui se posent n’ont pas de bonne solution. Cela appelle naturellement une grande miséricorde, mais à condition qu’elle ne conduise à aucune forme de connivence avec les idéologies contemporaines qui tentent d’imposer de nouveaux paradigmes en matière morale (article de R.Hureaux).

Pour éviter ces échecs, il reste à rappeler le rôle irremplaçable de la prière. Le mariage n’est pas seulement le sacrement d’un jour, mais de toute la vie. L’ancrage spirituel que garantit la cérémonie de son commencement implique la fidélité, non seulement de l’un à l’autre mais de l’unité qu’ils forment désormais à l’unique Seigneur.

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