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Psychanalyse et foi

Martine Jobbé Duval
Si l’on suggère que la psychanalyse n’est pas incompatible avec la doctrine catholique, il reste à préciser alors la place exacte à accorder à une telle discipline. S’agit-il seulement d’une simple parcelle de savoir scientifique dont les chrétiens n’auraient pas à se préoccuper en tant que chrétiens ? Ou doit-on dire au contraire, sans trop se laisser abuser par la comparaison entre le confessionnal et le divan, que la relation qu’établit la psychanalyse avec l’homme blessé peut s’intégrer dans un ordre, une pratique compatible avec les exigences de la foi : si c’est le cas, une question ne manque pas de surgir, c’est celle de savoir si les intuitions de Freud ne sont pas tout simplement une compréhension de « l’anthropologie de l’homme déchu ». Cette question est nécessaire dans la mesure où tout chrétien sérieux essaye d’attribuer une place à ce savoir, en accord avec tout ce qu’il croit (il y aurait évidemment un corollaire à ne pas négliger : comment un païen peut-il percevoir réellement ce qu’est l’homme déchu ?).
« Heureux l’homme qui médite sur la sagesse et qui raisonne avec intelligence, qui réfléchit dans son cœur sur les voies de la sagesse et qui s’applique à ses secrets. Il la poursuit comme le chasseur, il est aux aguets sur sa piste, il se penche à ses fenêtres et écoute à ses portes ; il se poste tout près de sa demeure et fixe un pieu dans ses murailles ,il dresse sa tente à proximité et s’établit dans une retraite de bonheur ; il place ses enfants sous sa protection et sous ses rameaux il trouve un abri ; sous son ombre il est protégé de la chaleur et il s’établit dans sa gloire. » (Si 14, 20-27)
« Hiéroglyphes de l’hystérie, blasons de la phobie, labyrinthes de la Zwangneurose, - charmes de l’impuissance, énigmes de l’inhibition oracles de l’angoisse, - armes parlantes du caractère, sceaux de l’auto-punition, déguisement de la perversion ,- tels sont les hermétismes que notre exégèse résout, les équivoques que notre invocation dissout, les artifices que notre dialectique absout, dans une délivrance du sens emprisonné, qui va de la révélation du palimpseste au mot donné du mystère et au pardon de la parole. » (Lacan, 1956-Conférence prononcée à Rome : Fonction et Champ de la Parole et du Langage en Psychanalyse)

Pour ne pas me dérober à la tâche et tenter de répondre à ces questions, j’emprunte à saint Jean de La Croix la paix de cette anecdote fervente et consolante : « ...ce matin nous avons déjà cueilli nos pois chiches et c’est ainsi tous les matins. Un autre jour nous les battrons. Il est agréable de manier ces créatures muettes, meilleur que d’être manié par les créatures vivantes .Que Dieu me donne d’aller de l’avant ! »

Je vous livre aussi, dès l’abord de vos questions, ces deux textes à méditer. La Sagesse éternelle et le déploiement de la grâce dans l’un, surligne de lumière les présomptions humaines de l’autre, tentées de se conduire vers la clarté, accoutrées des mots buissonnants de la psyché humaine écoutée et parlée. Vous comme moi, nous savons qu’il n’est d’exercice plus déconcertant à l’heure actuelle pour l’attention scientifique que de prendre connaissance, dans un bref laps de temps, des points de vue développés en psychanalyse par divers auteurs, chercheurs et cliniciens, sur les mêmes sujets . Des contradictions, souvent aussi flagrantes que permanentes, surgissent autour de concepts fondateurs.

Cette observation, à la portée de chacun, si elle s’accomplit avec la probité intellectuelle nécessaire, sans l’automatisme précipité de la formule « pathologie de l’homme déchu », ou sans l’indigence des ricanements gonflés de sous-entendus, suffit à nous indiquer que la psychanalyse ne peut être scientifique, au sens traditionnel du terme.

Elle a autorisé tous les discours, en les fécondant ou en les rendant outrés, mais en les soumettant néanmoins, me semble-t-il, à une exigence fondamentale : ouvrir les yeux et les oreilles sur cette évidence que la découverte des troubles psychologiques, des errances, des défaites, des conditionnements, des reconstructions et des discernements - qui composent la réalité humaine - n’épuise pas la quête de la vérité.

Sagesse des paroles, Parole de la Sagesse

« Ce n’est pas la sagesse des paroles, mais la Parole de la Sagesse » que saint Paul donne comme critère de vérité et en même temps de salut. C’est pourquoi ces deux textes, l’un sacré, l’autre d’un homme médecin, psychanalyste, sont comme le témoignage de la tension et parfois de la suspension de la relation de l’homme face « au Verbe qui s’est fait chair ».

Certes, si un thérapeute restitue à l’homme souffrant sa lutte, s’il parvient à l’apaiser, ce peut être en abjurant la question de la finalité de l’homme. Pourquoi ? Au nom précisément de cette tension ou suspension sur laquelle les protocoles de soins ou d’accompagnement n’ont certainement pas un accès immédiat. Mais, si son « travail » fait surgir la question de Job, ce « pourquoi ? », ce n’est qu’en se modelant sur le dépassement continuel à accomplir par la foi que pourra se réaliser l’expérience de l’interrogation radicale du problème du mal. Or, la psychanalyse peut conduire un être à désirer ce dépassement .

En outre, si l’homme d’aujourd’hui, chercheur ou non, peut estimer l’ingéniosité de l’agencement de l’univers physique telle qu’il ne puisse accepter cette création comme un fait brut, un accident fortuit, cela ne le conduit pas forcément à accueillir la certitude que tout a été créé et créé bon de façon immédiate, jaillissante.

Comment pourrait-on asséner que cet oubli du Créateur, sa possibilité même, manifeste une incompatibilité radicale entre la psychanalyse et la « Doctrine Catholique » ! Nous serions douloureusement hors de l’homme. Seuls les risques techniques et cliniques de traiter un patient comme un texte à la limite sans sujet, m’apparaissent plus confondants et effrayants, toutes pratiques mêlées : en psychiatrie, neurosciences, psychopathologie, psychothérapies diverses...

Lors de la semaine de débats sur le thème de la psychanalyse, à Saint-Germain l’Auxerrois, Gérard Haddad, psychanalyste, a rappelé avec concision des notions majeures pour la fécondité de notre dialogue et de ses questionnements. En voici les axes : la médecine, avant Freud, considérait les invraisemblances dans les déclarations d’un malade comme les manifestations de la dégénérescence de son esprit. Sigmund Freud, médecin d’une immense culture, juif et viennois, s’arc-bouta à la clinique neuro-psychiatrique du XIXe siècle. Il y fit entrer l’hypothèse expérimentale suivante qu’il ne cessera d’étayer de ses observations : les illogismes peuvent n’être qu’apparence. Les productions mentales « mal connectées », délirantes, biaisées, sont dues au caractère incomplet, inachevé du « récit » et peuvent souvent disparaître quand la lacune - « le blanc »- est comblé. Seul le patient livre la partie manquante de son histoire.

C’est la naissance du concept d’Inconscient. La dialectique qui l’anime aura besoin d’un instrument : le désir. L’avènement d’une « métapsychologie » surgit . Dés lors l’admirable force de recherche de ce médecin allait être livrée aux entraves de l’esprit humain. Idéologies et sectarismes vont accourir aux abords discursifs de l’homme. Mais comprendre ne suffit pas pour traiter, ni même pour expliquer.

Quelques décennies plus tard, le manque de sobriété des textes analytiques à caractère didactique ne permet pas de restituer l’honnête esprit d’origine. Cet esprit était porté par la découverte d’une orientation assurée dans l’espace d’une topographie psychique complexe - tour à tour réelle, imaginaire et symbolique, qui se réfère à la fonction du père vis à vis de l’Inconscient. Cela constitue-t-il un praticable théorique rigoureux ? Non, mais une esquisse productive, oui. Vous savez certainement que depuis quelques temps l’alliance psychiatrie - psychanalyse se démet, sans récusation systématique, au profit des retombées de la neurobiologie et des neurosciences. Pourtant, là encore, aucun comportement humain ne s’est laissé saturer de sens et « circonvenir » méthodologiquement par le déterminisme scientifique. A cela s’ajoute depuis de nombreuses années l’usage abusif des concepts psychanalytiques « tombés » dans le domaine public. Caricatures avilissantes et critiques pertinentes rivalisent. Vous en avez eu des séquences lors de cette semaine de réflexion. Que dire parfois de l’absence de « la charitable délicatesse de chrétien » [1] ? Il est bien vrai que nous pouvons observer, dans ce temps qui est le nôtre, combien la morsure des connaissances et des compétences dans un domaine valide abusivement l’opinion de tout pouvoir jauger !

Le recours à l’inconscient

Évoquons l’acteur de notre propos. De nos jours, l’attention de la recherche a contribué à l’élaboration de la « théorie du soi ». La propriété d’être un sujet est récapitulée en utilisant aussi bien la psychologie du développement, la psychanalyse, la psychologie expérimentale que la neurophysiologie de l’action et l’examen épistémologique des croyances et des représentations mentales de « l’agir ». Nous assistons et pouvons participer à un effort complexe pour dégager le ou les types d’états ou processus mentaux qui sont causalement pertinents dans la construction du « concept de soi-même ».

Il y a mille façons sur notre terre de dire d’un homme qu’il a l’esprit troublé, qu’il est « fou », mais toutes résistent à dire qu’il est « fou » pour cela. (Toutefois, il serait avisé et nécessaire d’entendre nos prêtres exorcistes et les propos des ethno-psychiatres sur cette assertion) . Selon ce qu’on choisit d’explorer - avec des occurrences diverses, avec des échelles de symptômes, des batteries de tests psychologiques ou des tâches élémentaires - on précise les contours, les maillages des affections comportementales. Mais demeurent toujours à débusquer d’insaisissables points de départ.

C’est pourtant désormais un réflexe d’interroger à la fois le fonctionnement cérébral, la famille et son histoire, et bien d’autres choses encore… Notons qu’en ce qui concerne la psychose, ces investigations restent la plupart du temps sans aboutissement pratique. Mais, de ce qui se dérobe à la clinique dans le champ même des cliniciens, n’inférons pas pour autant que ce qui ne s’origine pas dans des investigations cliniciennes doive aboutir à des lieux communs dans l’escarcelle de plus d’un commentateur malveillant de la psychanalyse.

Aujourd’hui, les assauts de la connaissance vers « ce cerveau citadelle » (F. Dagognet) semblent emporter une assurance : il existerait un fonctionnement automatique du corps et de l’esprit entièrement « indépendant » de l’individu et ignoré de lui comme des témoins. (Sur cela on n’a guère avancé depuis le début de la psychiatrie !) Les psychiatres qui ont suivi le mouvement dicté par la médecine vers l’anatomie pathologique et la physiopathologie se sont reportés eux aussi à des strates psychiques inaccessibles par définition. Ils aboutissent de fait à la notion d’Inconscient, notion donc respectée mais cliniquement atypique - par défaut. Il est un fait notable, avec quelques dérogations au principe de non-contradiction et quelques contraintes propres de fonctionnement, que les multiples débats provoqués à ce jour sur ces inconscients (cérébraux, affectifs ... ) restent fidèles, en raccourcissant le propos, au modèle connu de la conscience individuelle.

« Cette parcelle du savoir scientifique » telle que vous la désignez, doit en effet questionner les chrétiens qui peuvent en avoir une « expertise ». En effet, ces inconscients sont solipsistes. Les individus y jouent des rapports virtuels, simulés entre personnes. Les individus, jamais présents, sont représentés par des instances ou des images, des symboles ou des mots, etc. Il s’agit certes d’un fonctionnement riche, mais par procuration. Quand donc la parole se tait, quand le silence s’explique par le « langage de l’inconscient », au creux de quel secret se trouve-t-on ? Le chrétien confronté au mystère de l’Incarnation peut entendre ce cri de saint Jean de La Croix :

Oh ! si l’on finissait enfin par comprendre qu’il est impossible de parvenir à la profondeur de la sagesse et des richesses de Dieu sans pénétrer dans la profondeur de la souffrance de mille manières, l’âme y mettant sa joie et ses désirs afin de comprendre avec tous les saints quelle en est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur ! [2].

Dans le cas contraire, on peut oser dire que, du modèle de la conscience individuelle, dérivera inéluctablement l’éthique individualiste. « On attribue à la conscience individuelle le privilège de déterminer les critères du bien et du mal de manière autonome et d’agir en conséquence. Chacun se trouve alors confronté à sa vérité, différente de la vérité des autres ». De cette anfractuosité morale se répand alors la perversion syncrétique. « Si le mal n’est plus le mal, le bien n’est plus le bien. Et si tout se vaut, plus rien ne vaut. Dés lors, il n’y a plus de choix possible, et la liberté est sans objet » [3].

Ses conséquences

La première conséquence de ces descriptifs hâtifs du recours à l’inconscient est que les mécanismes en cause dans les troubles du comportements ou dans la « folie » naissante n’offrent rien, la plupart du temps, en guise de signification, qu’eux mêmes .

La deuxième conséquence, c’est que naître à la « folie », à la déraison n’est jamais une aventure individuelle. C’est se mouvoir au milieu de ses semblables en perdant l’évidente certitude d’être pleinement auteur de soi, de ses actes, de ses paroles et de ses pensées.

La troisième conséquence, c’est que l’on oublie trop souvent qu’au cœur de l’homme gît une relation immédiate à autrui.

Si les vielles conceptions individualistes des passions et de toutes les causalités personnelles, affectives et signifiantes du conscient et de l’inconscient survivent de nos jours, c’est que la position du patient est abordée par rapport aux significations qui « l’agissent » en quelque sorte et se disent dans son discours. Si l’on peut convenir que le lien que se donne l’homme avec le monde s’instaure toujours à partir de la polarisation inter-humaine - et non, comme on l’admet si souvent, à partir des idées ou des sentiments - ou bien encore d’une aurore imaginaire et symbolique, que dire, dans un tel contexte, de la « centralité » et de la finalité de l’homme appréhendées à travers tous ces repérages solipsistes ? Serions nous à ce stade « fou », à l’exemple de saint François d’Assise, de vouloir écouter « le langage aigu et douloureux des oiseaux », gratifiant passeur de l’âme, lorsque nous approchons les abords de la guérison des êtres qui nous sont confiés ?

De l’âme

La sémiologie psychanalytique comme psychiatrique fondée sur l’individu se trouve décalée pour dire l’âme dans son corps. Nous pourrions méditer sur le fait que ce ne sont ni des essences, ni des discours ou des significations qui agissent. L’étude des données de la psychose engagerait à ce propos le chrétien sur une voie de réflexion grave et fervente : tel malade vit constamment en privé un événement collectif ; un événement privé collectif ne peut il être un résonateur ruisselant des ombres du péché originel ?

N’est-ce pas aussi à cause de ce « décalage » qu’élaborations sur l’inconscient et efforts cliniques peuvent voir leur effort commun, qui vise à débusquer d’insaisissables points de départ, se dérober ? C’est pourquoi, lorsque vous demandez si « la relation qu’établit la psychanalyse avec l’homme blessé peut s’intégrer dans un ordre, une pratique compatible avec les exigences de la foi », je répond : oui, si notre conscience chrétienne témoigne d’autre chose que de la Parole bavardée.

Pourrait-on se permettre de n’être qu’un herméneute qui s’intéresse au sens véhiculé par la lettre des paroles des hommes, par leurs problèmes de datation (archéologie psychanalytique), leurs problèmes d’authenticité et de structure (cliniciens), sans aider l’homme dans sa lutte pour l’unique finalité : recevoir la gratuité d’être fils par Le Fils dans le mystère de Son Incarnation ? C’est aussi par notre corps qu’il y aura une véritable croissance, si je discerne que je suis comme mon prochain - patient ou non - un être libre, mais soumis à des conditionnements. Car Dieu Notre Père n’a assurément pas créé l’homme en opposition à la nature . Nous devons souligner ici que s’occuper de l’être humain souffrant ne veut pas dire chercher à tout prix une résolution : nous sommes en effet dans une logique d’observation, d’aide, de soins, et d’amorces de processus de guérison. En conséquence, le conditionnement du péché, ses équipements, ses embuscades (cf. Lacan) ne doivent pas nous conduire au primat de la négation sur l’affirmation , mais à celui de la préparation de la guérison pour l’espérance du Salut.

Le « Oui » de Marie à l’Archange Gabriel, tel le sourire du nouveau-né, est le premier signe de la personne humaine rétablie dans sa libre dépendance à l’égard de Dieu par l’adoration. Ainsi « Dieu n’est plus un rival » (P. M.-D. Philippe) et la fonction du père vis à vis de l’inconscient n’est pas non plus cette orthopédie exclusive du psychisme dont les fureurs interprétatives taisent le silence sacré de l’obéissance à l’Amour de Notre Créateur.

S’il faut une vigueur spéculative, c’est pour dire « les efforts de la raison pour atteindre des objectifs qui rendent l’existence personnelle toujours plus digne ». « …Par son langage historique et situé, l’homme peut exprimer des vérités qui transcendent l’événement linguistique. La vérité ne peut en effet jamais être circonscrite dans le Temps et dans la culture ; elle contient l’histoire elle-même. » [4]. Ce problème de la validité du langage conceptuel concerne la Psychanalyse dans ses fondements mêmes.

L’âme fait son corps

Mais nous tous, sommes-nous prêts à comprendre que l’âme fait son corps, dont elle se sert jusqu’au bout ? Ses manières si souvent imprévisibles sont là, prodigues, pour nous donner la mémoire de « l’Arbre de Vie ». (saint Bonaventure)

Ses ramures principales :

1 - l’inviolabilité du domaine surnaturel de la grâce.

2 - le salut est plus que la guérison ; il est un retour dans la grâce, une relation personnelle renouée.

3 - Lorsque Jésus guérit, il a d’abord pardonné. En s’immolant il a affronté, Lui Le Premier, le combat du mal.

Éveille-toi , ô toi qui dors, relève toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ! (Ep 5, 14b)

Un texte anonyme du Ve siècle, attribué à Épiphane de Salamine, commentaire de la lettre de saint Paul aux Éphésiens, exulte de la transformation du vieil homme en l’Homme Nouveau, par et dans le Christ : « Ce combat est celui de la Croix, sagesse de Dieu pour nous donner la vie, folie de Dieu pour vaincre en nous la mort. » [5]

Les avancées des concepts psychanalytiques, leurs bavardages idéologiques ne fonctionnent pas comme des obturateurs d’âme ! En temps réel, auprès d’un être, ils permettent de témoigner que la lumière, l’épiphanie, n’est pas un geste d’homme, mais l’effort immolé que reçoit l’homme pour être sauvé par son Créateur. Que croyez vous que puisse être « le pardon de la Parole » qu’évoque Lacan dans son texte de 1956, si ce n’est le même que Freud a voulu et désiré pour que l’homme dise oui à la vie ?

Mais, là encore, la sémiologie psychanalytique se trouve douloureusement décalée pour dire l’âme dans son corps. En cure ou en soin, analyser, traquer des menaces sans promesse et les restituer ainsi serait une détresse abyssale, pour tous, un mal. Voir l’homme risquer d’être cette tautologie maligne : je suis pour ne pas être. Nous tous les hommes, nous nous prêtons à ces enjeux qui dévorent l’âme. Mais nous avons été lavés, sauvés par le Sang de Jésus. Ce n’est plus une compréhension de « l’anthropologie de l’homme déchu » qui nous aidera. « D’un point de vue christologique c’est un enfermement dans lequel ne s’exprime pas la réalité métaphysique de Dieu lui-même. C’est le sens même de la venue du Christ qui a ouvert l’accès à la rencontre avec l’Intouchable, avec celui qui jusqu’alors était inaccessible. L’être de Dieu et de sa vérité. » [6]

A tout jamais, il est imminent pour le chrétien d’entendre que c’est le fait d’être livré à la pure connaissance sans aucune vérité mesurante qui est justement la maladie mortelle – la non-pesée de l’âme .

Devenir homme le plus possible et le plus purement possible

La psychanalyse peut tout d’abord comprendre cela comme une connaissance explicative appliquée à l’homme lui–même. Mais cet homme, si on le prive de sa filiation par le Fils, quel enfant devient-il, tourné vers quel Père ? Ici se trouve un véritable point de crête pour la psychanalyse. Laissée à elle-même, certes, elle peut par l’abondance de son savoir soulager et pourtant endommager l’homme par le remède du regard « scientifique » porté sur soi-même. Toutefois, performances extrêmes et compétences universelles ne sont pas les attributs des hypothèses métapsychologiques structurellement opératoires de la psychanalyse. Sa juste pratique est infiniment plus humble qu’on ne le suspecte. Enfin, dans ses origines mêmes, elle ne s’est jamais mobilisée comme un arsenal théorique et empirique contre la vocation sublime de l’homme à devenir Dieu.

Certes, les avancées explicatives sur l’induction des processus mentaux peuvent faire dériver notre connaissance, à travers le discours analytique, vers une réalité indéterminée : le « véritable » inconscient. C’est une vraie question d’homme, qui ne peut pas rester ignorante de ses blessures et de ses manques. Or, paradoxalement, surgit à l’heure actuelle un idéal du bien dire chrétien qui tente de faire partager un destin de langage et de paroles avec Dieu : on peut l’observer et le craindre au sein même de la mouvance des courants de « guérison spirituelle des blessures psychiques ». L’envahissante exigence de l’obtention de « la guérison » ne va-t-elle pas porter atteinte à l’âme blessée d’Amour, folle du désir d’être, dans une parfaite correspondance, « Hostie Vivante » (Jean-Paul II), pour accueillir l’Amour miséricordieux de Notre Sauveur ? Ne risque-t-elle pas de violenter le pèlerinage de la guérison ?

En vérité, ma proposition de « compatibilité entre la psychanalyse et la foi » que je livre à votre prière, est celle de la pénitence. Le travail, la dignité d’un chrétien est pénitence - cet acquiescement à ce qui nous est propre, la vie reçue. La négation moderne - l’inversion abortive - produit la discorde avec soi-même ; si on entre en fureur contre soi, c’est aussi contre les siens. Là où cesse le oui à l’être, à la vie, à soi-même, là disparaît la finalité de l’homme. Si la pénitence psychanalytique ne s’arc-boute pas sur ce non, pour être une découverte du oui, en rejetant ce qui le traque...

Il nous faut espérer que notre vie puisse être par elle-même, avec le secours de la grâce, un psaume pénitentiel : .

Où irais - je loin de ta Face ?

Martine Jobbé Duval, psychanalyste, Docteur en philosophie des sciences.

[1] Pie XII , Discours au 4ème Congrès International des Médecins Catholiques, 29 sept. - 1949.

[2] Le Cantique spirituel.

[3] P. Guy Pagès, Sermons.

[4] Jean-Paul II, Lettre encyclique Fides et ratio.

[5] P. B. Domergue ; Tesi Gregoriana ; Rome 1997.

[6] Cardinal Ratzinger.

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