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Saint Charbel, prophète de l’amour

Elie Maakaroun, éd. Pierre Téqui, 2003
P.B.

Saint Charbel est de ces hommes qui n’ont pas élevé la voix, se sont enveloppés dans le silence, et inspirent de beaux livres.

Il a été canonisé en 1977, voilà à peine trente ans. Né en 1828 au Liban dans une famille de paysans, Charbel Makhlouf était entré dans l’ordre libanais maronite (dont la règle fut approuvée en 1732 par Clément XII, ordre de moines, de prêtres, d’ermites), où il fut ordonné prêtre en 1859. Il reçut l’enseignement du bienheureux Néémetallah Hardini. Son couvent d’Annaya, dans la montagne au dessus de Jbeil (Byblos) est un des lieux les plus beaux du Liban. Saint Charbel y vécut en ermite à partir de 1875 jusqu’à sa mort en 1898. Les visiteurs d’Annaya peuvent recueillir la lumière et le silence, voir le lieu où se joua la vie et la sainteté de Charbel, dont beaucoup de Libanais portent aujourd’hui des reliques. Connaître saint Charbel est aussi une façon de connaître la foi maronite, au ton si original et exigeant dans la symphonie catholique. La conformité de la vie de ce saint à celle des premiers disciples de saint Maroun (au Vème siècle) est frappante. Ce saint est à la fois proche de nous par le temps, et à la fois d’une stature intemporelle. Il est un signe de contradiction modeste et puissant.

Le propos d’Elie Maakaroun, professeur de lettres et poète n’a pas été d’écrire une biographie, ni une hagiographie. Son but est d’approcher le mystère de la sainteté du moine, en voyant comment il imita le Christ. Ainsi, il introduit son lecteur dans une série de méditations où la vie de Charbel est évoquée, mais sans cesse comme traversée par la présence de Dieu, puisque la foi catholique est une foi en l’Incarnation. Le charnel et le spirituel s’y articulent toujours. La splendeur des paysages, la pauvreté matérielle, les rythmes des journées puisent tout leur sens dans la règle spirituelle, en même temps qu’ils l’incarnent. Péguy avait pu écrire le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc en connaisseur des sources historiques, mais il était entré plus intimement dans les secrets de l’héroïne à la faveur de leur commune participation à l’Eglise. Il ne procédait pas par « inspiration » littéraire, mais par « communion des saints ». Le projet d’Elie Maakaroun est comparable : ses méditations « essayent de le suivre le plus exactement possible, même dans leurs hypothèses conjecturales et dans leurs déploiements poétiques sur son chemin visible et invisible de silence, de croix et de quête de salut ». On garantit une fidélité plus profonde en cherchant à reconnaître la figure du Christ dans les traits de Charbel. La cohérence du recueil obéit donc à celle de l’imitation, par le silence, la contemplation de la croix et l’abandon à l’Esprit Saint.

D’abord, le silence contemplé dans les scènes de la vie de saint Charbel donne la clef de son accès à Dieu et prépare le lecteur à comprendre son chemin. Ses racines charnelles et spirituelles sont célébrées par une suite de parallèles incluant Ancien et Nouveau Testament. Notons ici que le prénom de Charbel, celui d’un martyr de l’Eglise d’Antioche au moment de la persécution de Trajan, a été choisi par volonté de suivre la Croix du Christ, mais le prénom de l’enfant était Joseph, d’où un enracinement vécu dans le silence du consentement. Les vertus du silence sont aussi vécues dans l’obéissance à la règle monastique. Ensuite, les étapes et les mystères de Jésus, pour reprendre l’expression de l’Ecole Française de spiritualité, construisent l’itinéraire de saint Charbel. La réflexion sur le chemin de Croix aborde le sens et la pratique du sacrifice par les moines avec intelligence et simplicité. On fait une halte devant le Samedi saint où saint Charbel a comme établi sa demeure. Puis les méditations sur les fruits de l’Esprit Saint et les sacrements achèvent le parcours, montrant l’ouverture de la prière de l’ermite à l’Eglise tout entière.

Ce livre s’apparente donc à un recueil de méditations poétiques, menées non sans rigueur, dans une langue sobre et audacieuse. Le ton s’impose par sa douceur affirmative, sait être lyrique en acheminant la phrase vers le verset. Il doit son juste étiage à son passage par le silence et au retour à ce silence auquel il invite.

Réalisation : spyrit.net