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Statut théologique de la doctrine sociale de l’Église

P. Laurent Sentis

En un sens large, la doctrine sociale de l’Église comprend l’ensemble des enseignements que les pasteurs et les théologiens catholiques ont donné tout au long de l’histoire de l’Église sur l’organisation de la vie en société. En un sens plus restreint, celui qui sera envisagé dans cet article, il s’agit du corpus doctrinal que les papes et leurs collaborateurs ont développé à propos des questions économiques sociales et politiques depuis la parution de l’encyclique Rerum Novarum. Il faut bien reconnaître que ce corpus a atteint de nos jours une taille imposante. C’est pourquoi les autorités romaines ont publié en 2007 un compendium qui s’est révélé fort utile.

La doctrine sociale a suscité de nombreuses interrogations soit sur tel ou tel point, soit sur le principe même d’un tel enseignement. Sur cette question de principe, trois objections peuvent être soulevées.

La première objection est émise par ceux qui veulent que l’Église se recentre sur sa mission. L’Église a reçu du Sauveur la charge de transmettre les vérités dogmatiques et morales nécessaires au salut. Il est certain que, dans le cadre de son enseignement moral, l’Église doit rappeler les devoirs qui s’imposent à chacun de ses fidèles dans ses relations avec le prochain. Mais les sociétés civiles sont composées de chrétiens et de non-chrétiens, et parmi les chrétiens beaucoup ne sont pas en état de grâce. Ce qui est prescrit aux fidèles peut-il devenir normatif pour de telles sociétés ?

La deuxième objection vient de ceux qui estiment que les sociétés modernes fondées sur la liberté individuelle et l’égalité juridique des personnes sont devenues autonomes par rapport aux autorités religieuses. Celles-ci ont assurément un rôle à jouer dans la sphère privée. Elles ont la charge de proposer des raisons de vivre. Mais elles ne doivent pas faire ingérence dans la vie publique.

La troisième objection vient de ceux qui ont à cœur de venir en aide aux plus défavorisés et qui dénoncent le caractère injuste de certains systèmes politiques. La doctrine sociale de l’Église, disent-ils, s’en tient à l’énoncé de grands principes et à la condamnation de certains systèmes de pensée. Mais le souci des plus pauvres ne peut se contenter de telles déclarations qui, en définitive, ne dérangent guère les pouvoirs établis. On attend de l’Église, disent-ils, une dénonciation précise et concrète des injustices et un engagement résolu dans les luttes sociales. En demeurant au niveau de principes généreux et généraux et en évitant d’en tirer les conséquences politiques, la doctrine sociale cautionne en fait le statu quo et fonctionne comme une idéologie.

Ces diverses objections, même si elles paraissent excessives et injustes, nous incitent à une clarification. Elles ne tirent leur force que d’une conception trop pragmatique de la doctrine sociale. Mais à travers la diversité des interventions pontificales, souvent liées à des circonstances particulières, il est clair que ce qui est en vue est d’un tout autre ordre. Le but de cet article est de préciser ce qui anime l’Église depuis plus d’un siècle dans l’élaboration de son discours social. Nous y parviendrons en reprenant les objections qui lui sont faites et en cherchant le point de vue à partir duquel celles-ci se dissolvent. Ces objections méconnaissent en effet le mystère même de notre humanité en tant que communauté historique destinée à entrer dans la vie de Dieu. Cette communauté est dotée depuis son origine d’une structure fondamentale que la tradition désigne sous le terme de loi naturelle [1]. C’est bien cette loi naturelle que cherche à préciser la doctrine sociale de l’Église. Mais reprenons à présent les objections et montrons comment elles sont liées à une anthropologie déficiente.

L’essence sociale de l’homme

Dans une traduction erronée mais suggestive d’Osée 13,9, les théologiens du Moyen Age lisaient : « Ta perte vient de toi Israël, cependant ton secours est en moi » [2]. Ils pouvaient souligner ainsi une dissymétrie radicale entre le salut qui vient de Dieu et la damnation dont l’homme seul est responsable. Le salut consiste à partager la vie de Dieu et des bienheureux, il a un caractère éminemment social. Cependant le dessein d’amour bienveillant peut être mis en échec par une libre décision individuelle. La damnation n’est rien d’autre que l’éternité de cette décision. Il semble qu’au XIIIème siècle cette doctrine équilibrée, nuancée et mystérieuse sur le salut et la damnation, a été menacée par la diffusion d’une perception « monopsychique » de l’humanité. L’aristotélisme interprété par Averroès a conduit certains esprits à soutenir que l’âme intellectuelle de l’homme était unique pour tout le genre humain. Une telle anthropologie pouvait conduire à nier la responsabilité de l’homme dans sa damnation. Les vigoureuses condamnations de l’averroïsme en 1270 et 1277 étaient motivées par la crainte des conséquences que pouvait avoir cette philosophie sur la vie des chrétiens. Ces condamnations ont été déterminantes pour l’histoire de la pensée. L’accent est mis en anthropologie sur le primat de la volonté. Les philosophes et les théologiens affirment que celle-ci domine librement et souverainement toutes les facultés de l’homme. Il en résulte que l’homme se comprend désormais comme individu libre et responsable de ses actes. Assurément la responsabilité de l’homme dans sa damnation est ainsi sauvegardée. Mais en contrepartie la dimension communautaire du salut, de la vie chrétienne et de la morale est de plus en plus marginalisée, non seulement dans la pensée spéculative mais encore dans l’histoire des mentalités.

Dans le domaine moral ce qui est mis au premier plan c’est l’autodétermination de l’individu. L’acte mauvais est pensé comme l’acte posé par un individu qui s’oppose à la volonté divine. L’acte bon en revanche est celui que pose l’individu qui se conforme à cette volonté. La morale est désormais envisagée comme l’ensemble des obligations auxquelles est soumis l’individu.

L’individualisme a tellement pénétré la culture de l’Occident que nous avons beaucoup de difficulté à comprendre qu’une telle conception n’était nullement celle qui prévalait auparavant. Certes les juifs, les grecs et les chrétiens du premier millénaire étaient conscients de leur responsabilité lorsqu’ils s’écartaient des règles en vigueur dans le groupe auquel ils appartenaient. Mais jamais ils n’auraient envisagé qu’une règle puisse concerner directement un individu. Ils ne se sentaient concernés par une règle que parce qu’ils se percevaient comme membre d’une communauté et que cette règle faisait partie des éléments structurants pour cette communauté. Dans les écrits d’Aristote ou dans le Pentateuque, on ne trouve pas l’équivalent de la distinction que nous faisons entre morale et politique. Et lorsqu’une distinction de ce type apparaît par exemple chez les Stoïciens, elle n’a pas la signification que nous lui donnons. Les Stoïciens savent que la morale qu’ils enseignent n’est pas mise en pratique dans les cités humaines historiques. Mais leur morale n’est pas une morale individualiste : ils se réfèrent à une raison universelle, elle-même en harmonie avec l’ordre du monde. Aussi n’y a-t-il pour eux aucun sens à distinguer une morale de la vie privée et une morale de la vie publique. La morale n’est rien d’autre que ce qui permet à l’homme d’être vraiment citoyen du monde. De même, le Christ en invitant ses disciples à pratiquer une justice plus haute que celle des scribes et des pharisiens ne s’adresse pas à des individus isolés mais présente la manière de vivre qui convient à ceux qui sont entrés dans cette communauté qu’il nomme Royaume des cieux.

Ainsi, selon les perspectives anciennes, l’homme n’existe et ne se développe que dans un cadre communautaire. La morale ne se présente pas comme une contrainte qui pèserait sur la liberté individuelle, mais comme la règle qui structure la communauté et permet donc à chacun d’y prendre place. Cette remarque nous permet de comprendre pourquoi, dans son enseignement moral, l’Église ne se contente pas de dénoncer les actes susceptibles d’impliquer une rupture de nos relations avec Dieu et pourquoi elle cherche mettre en lumière ce qui doit fonder une vie communautaire.

L’enseignement moral de l’Église présente les règles qui structurent la communauté qui permet à l’homme de vivre. Or cette communauté est double. Il s’agit d’abord de la communauté nouvelle fondée par le Christ. Celle-ci est déjà présente ici-bas en raison de la grâce du Christ répandue dans les cœurs des fidèles, mais, d’un autre point de vue, elle n’est pas encore manifestée, elle est encore à venir. Nous sommes citoyens des cieux, mais nous n’habitons pas encore la patrie céleste. Et en attendant, nous devons vivre ici-bas. C’est pourquoi nous avons aussi à nous soucier de la communauté terrestre. L’Église par son magistère s’est efforcée de déterminer les règles qui devraient structurer cette communauté terrestre et c’est ce qui a donné naissance à la doctrine sociale.

En quête de la loi naturelle

Nous avons mis en lumière la différence entre l’ancienne conception de la morale et celle qui prévaut à l’heure actuelle. Or c’est dans le chemin ouvert par cette morale individualiste qu’est né le monde moderne. L’homme moderne se pense comme liberté individuelle n’acceptant d’autres limites à sa liberté que celles qui sont rendues nécessaires par la présence d’autrui. Le triomphe de cette anthropologie est manifesté par l’extraordinaire succès des régimes démocratiques qui font naître la loi du contrat passé entre eux par des hommes qui ont accepté de fonder ensemble une communauté nationale. L’Église ne doit-elle pas prendre acte de cette réalité, renoncer à intervenir dans l’espace public et se contenter de proposer aux individus un chemin de sanctification ? Nous reconnaissons assurément ce qui fait la grandeur des modernes Déclarations des Droits de l’Homme. L’affirmation de l’égale dignité de tous les êtres humains est d’autant moins critiquable qu’elle provient en ligne directe de l’Évangile. Nous ne rejetons pas non plus le régime démocratique. Cependant, il convient de souligner les limites de l’anthropologie de l’individualisme libéral. Que des hommes puissent s’associer par un contrat et donner naissance à des lois positives pour le bon fonctionnement de leur association, cela n’est pas douteux. Mais on ne saurait en conclure que toute loi peut naître de la sorte. Car la liberté capable de s’associer à d’autres libertés n’est jamais une donnée première, elle est toujours le résultat d’une éducation, donc d’une communauté éducative et donc des lois qui régissent cette communauté. Il y a des lois antérieures à la liberté et qui en sont la condition de possibilité.

Historiquement, l’Église a réagi de façon très négative lors de la montée en puissance de l’individualisme libéral et de sa prétention à constituer le fondement des sociétés modernes. Ce n’est qu’après la chute des États Pontificaux que le pape Léon XIII a pu distinguer la question du régime politique et la question de son fondement anthropologique. S’appuyant sur la distinction thomiste de la loi positive et de la loi naturelle il a reconnu la légitime autonomie des sociétés civiles. Celles-ci ont à déterminer librement le régime politique qui leur convient, à condition toutefois de respecter la loi naturelle inscrite dans le cœur de l’homme.

On comprend par là que ce même Léon XIII a pu être en quelque sorte le fondateur de la doctrine sociale. Parce qu’il a su mettre en lumière que le véritable fondement anthropologique des sociétés se trouve dans la loi naturelle, il a compris que l’Église n’avait pas à exercer une suzeraineté plus ou moins fictive sur des états apparemment chrétiens mais que son rôle était de clarifier les principes de la loi naturelle.

En tant que dynamisme spirituel inscrit dans le cœur de l’homme, la loi naturelle est à la fois simple et mystérieuse. Par ailleurs, en raison du péché, ce dynamisme n’est pas facile à percevoir. On comprend alors que l’explicitation de cette loi dans un discours ne va pas de soi. Pour montrer les difficultés auxquelles se heurte celui qui veut exprimer le contenu de la loi naturelle, nous pouvons donner deux exemples : 1°) la question de la propriété privée, 2°) celle de l’écologie.

1°) Au temps de Léon XIII, on pensait que le droit de propriété privé était un droit naturel de l’individu. Léon XIII et ses successeurs ont accepté cette manière de voir sans se rendre compte qu’elle était en fait typique de l’individualisme libéral. Il a fallu attendre un radio-message de Pie XII pour que soit enseignée officiellement et exactement la doctrine de saint Thomas d’Aquin. Ce qui relève de la loi naturelle, c’est que la terre est donnée à l’homme. En revanche c’est en raison d’une convention que la gestion d’un domaine est confiée à un individu.

2°) Jusqu’à une époque récente cette domination de l’homme sur la terre et les êtres vivants était admise par tous. Mais avec la montée en puissance des thèmes écologiques une certaine perplexité s’est manifestée, y compris chez les chrétiens, sur la portée exacte de cette domination. On sent, dans les discours officiels, un effort pour prendre en considération la question de l’environnement. Il est probable que l’Église sera amenée à préciser dans sa doctrine sociale que cette domination de l’homme comporte un certain nombre de limites et devoirs. Nous serons alors témoins de la manière dont l’Église précise le contenu de la loi naturelle parce qu’elle est confrontée à des questions nouvelles.

A travers ces deux exemples nous comprenons que l’explicitation des principes de la loi naturelle et l’étude de leurs conséquences sont indissociables. En pratique, c’est au contact des problèmes concrets rencontrés par les chrétiens engagés dans la vie économique sociale et politique que les autorités ecclésiastiques sont amenées à exposer tel ou tel aspect de cette loi. En même temps nous comprenons pourquoi cette doctrine ne s’engage qu’avec précaution dans le domaine proprement politique, car il s’agit de maintenir la légitime autonomie de la société civile dans la fixation du droit positif.

La légitime autonomie du politique

Nous avons remarqué que l’essor de la doctrine sociale n’a pu se produire que lorsque les autorités de l’Église, libérées de la charge temporelle des États Pontificaux, ont reconnu l’autonomie des sociétés civiles. Mais l’autonomie d’une réalité ne signifie pas que cette réalité est soustraite à toute législation supérieure et qu’elle est seule source de ses lois. En fait, il en va du gouvernement divin comme de tout bon gouvernement humain. L’autorité supérieure donne à une autorité subordonnée le cadre à l’intérieur duquel celle-ci jouit d’une certaine marge de manœuvre pour organiser son activité et celle des personnes sur lesquelles elle exerce son autorité. L’autonomie de l’autorité subordonnée est limitée et il est bon qu’il en soit ainsi. Un pouvoir illimité de légiférer serait, pour quiconque n’est pas Dieu, une contradiction interne. Toute réalité créée et donc finie doit en effet composer avec son voisinage. Par ailleurs, une autorité supérieure qui voudrait tout contrôler et tout maîtriser ne se grandirait pas et s’exposerait à bien des déconvenues. Le Dieu qui s’est révélé à Israël et en Jésus-Christ est à l’opposé de ce despotisme mesquin. Il crée une humanité destinée à prolonger son activité créatrice et accorde à cette humanité d’avoir part à sa propre créativité.

La loi naturelle est, faut-il le rappeler, tout autre chose que les lois de la nature que découvre la science. Reconnaissons que l’expression prête à équivoque. J’aimerais la remplacer par l’expression « loi adamique ». Mais il est difficile de renoncer à une locution si traditionnelle. Veillons au moins à ne jamais l’employer sans préciser immédiatement ce que nous désignons par ce que nous voulons désigner : le dynamisme spirituel constitutif de l’humanité. Ce dynamisme est source de la capacité d’initiative de chaque individu. Mais pour autant ce dynamisme ne doit pas être perçu comme propre à chaque individu. Répétons-le, dans le dessein créateur et dans la réalité humaine concrètement vécue, telle qu’elle nous l’expérimentons au quotidien, l’individu n’est pas antérieur à la communauté. C’est par la communauté que l’individu accède à sa capacité d’initiative.

La loi naturelle en tant que dynamisme constitutif de l’humanité est donnée à cette humanité en tant que communauté concrète et historique répartie sur toute la surface de la terre et subdivisée en de multiples communautés qui jouissent d’une certaine autonomie. Celles-ci ont à s’organiser elles-mêmes en tenant compte des échelons qui leur sont supérieurs et des communautés voisines. Elles ont aussi à laisser une certaine marge de manœuvre aux communautés plus restreintes qui peuvent naître en leur sein. Cette organisation de l’humanité se fait à travers des conventions variées et adaptées à chaque situation. Le mot convention ne signifie pas que les responsables ont recours à l’arbitraire, mais évoque l’accord auquel peuvent parvenir des hommes qui cherchent à vivre ensemble. La diversité des conventions montre que dans ce domaine une large place est faite à la liberté et la créativité des hommes. Ce phénomène facile à constater, loin de rendre illusoire le concept de loi naturelle, en révèle bien au contraire toute la portée. Car c’est en raison du dynamisme constitutif de l’humanité que ces conventions s’élaborent. Par le fait même, toute convention qui irait à l’encontre de ce dynamisme se trouve par là-même disqualifiée. En langage juridique : le droit naturel est principe et limite du droit positif.

La doctrine sociale de l’Église a comme visée la mise en lumière de la loi naturelle. Elle se développe en portant un jugement sur la manière dont les hommes s’organisent. Mais l’Église doit aussi respecter la légitime autonomie de ces organisations. Ces remarques permettent de comprendre le statut d’un discours qui doit toujours trouver le juste chemin entre deux tentations, celle d’une trop grande généralité et celle d’une trop grande ingérence.

Les chrétiens engagés dans les activités économiques sociales et politiques peuvent souhaiter infléchir les règles de fonctionnement des sociétés. De façon fort légitime ils s’appuient sur l’enseignement social de l’Église. Le risque pour eux est de vouloir justifier tous les détails de leur projet par cet enseignement. Ils doivent se rendre compte que leur projet n’est pas le seul conforme à la loi naturelle et que d’autres personnes peuvent avoir un projet différent du leur, sans se mettre pour autant en opposition avec la loi naturelle et la doctrine sociale.

En sens inverse, certains chrétiens peuvent être déçus de voir que l’Église demeure réservée sur certains aspects d’un projet politique auquel ils adhèrent parce qu’ils pensent concrétiser par là leur fidélité à l’évangile. Ils estiment alors que la doctrine sociale fonctionne comme justification d’un certain ordre social, auquel s’oppose leur projet politique. En langage moderne la doctrine sociale se présente à leurs yeux comme une idéologie. Seul un dialogue patient avec les autorités ecclésiastiques peut dissiper les malentendus.

Tout d’abord, comme nous l’avons souligné, les enseignements de la doctrine sociale sont rarement revêtus du sceau de l’infaillibilité et cet enseignement peut être corrigé et nuancé sur certains points. En présence d’une situation nouvelle, il est possible de mettre en lumière un aspect de la loi naturelle qui demeurait encore imprécis. Par ailleurs la réserve exprimée par l’autorité porte souvent sur tel élément du projet et n’implique pas une condamnation de tous les autres éléments. Enfin le fait de ne pas condamner un projet adverse ne vaut pas comme approbation de ce projet.

Au terme d’un dialogue mené avec confiance, on peut espérer que ces chrétiens corrigeront ce qui, dans leur projet, semble répréhensible et admettront que l’Église puisse, au nom de la loi naturelle, accepter un certain pluralisme. La légitimité de certains de leurs choix n’impliquant pas nécessairement la condamnation des choix opposés. Autre est le rôle de l’autorité magistérielle, autre est le rôle du chrétien qui s’engage concrètement dans un combat de type politique.

Conclusion

La doctrine sociale de l’Église est l’effort accompli par les autorités ecclésiastiques pour porter un jugement moral, au nom de la loi naturelle, sur les problèmes moraux qui se posent à l’humanité. La loi naturelle est présente au cœur de l’homme, chrétien ou non, en état de grâce ou non. C’est pourquoi la doctrine sociale s’adresse en principe à tout homme. Mais cette loi est difficile à reconnaître, d’une part parce que les mots humains n’expriment pas facilement une réalité spirituelle qui demeure mystérieuse, d’autre part en raison du péché qui obscurcit notre intelligence. C’est pourquoi cette doctrine n’est pleinement compréhensible que dans la lumière de la révélation biblique. Puisque c’est toujours à propos de problèmes concrets que cette doctrine est élaborée, cette doctrine est capable d’éclairer l’engagement politique et social des chrétiens. Mais puisque la référence est cette réalité spirituelle immuable que nous nommons loi naturelle, on ne peut attendre de cette doctrine qu’elle détermine cet engagement de façon très précise. Il y aura toujours une certaine part laissée à l’appréciation des personnes concernées et il est bon qu’il en soit ainsi.

P. Laurent Sentis, prêtre, docteur en théologie. Professeur de théologie morale au séminaire de Toulon.

[1] Le présent article s’appuie sur des études déjà publiées et prolonge celles-ci. Je me permets d’y renvoyer le lecteur soucieux d’approfondir la question :

« La destination universelle des biens de la terre », Résurrection, n°59, août-septembre 1995, p 49-59.

De l’utilité des vertus, Beauchesne Paris, 2004, en particulier l’introduction, les chapitres 7 et 12, et la conclusion.

« Vérité et tolérance », Nouvelle Revue Théologique, 128, 3, juillet 2006, p. 428.

« La loi naturelle et le problème de l’individualisme », Réflexions chrétiennes, 2006,4, p. 5.

« La loi naturelle et les droits de l’homme », Résurrection, n° 120-121, juillet-octobre 2007, p. 99.

« Le travail dans le dessein de Dieu », Bulletin de littérature ecclésiastique, 109,3, juillet 2008, p. 245.

[2] Voir par exemple Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae qu112 a3 ad 2um.

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