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Trouver sa voix

Jean-Pierre Lemaire
Le poète Jean-Pierre Lemaire a bien voulu nous faire partager simplement son expérience de créateur et de croyant et accepter que Résurrection publie l’un de ses poèmes. Qu’il trouve ici l’expression de toute notre gratitude.


Claudel se proclamait joyeusement poète catholique. Mauriac, déjà plus inquiet, refusait d’être défini comme romancier catholique ; soucieux de préserver l’autonomie de la littérature, il se présentait, on le sait, comme « un catholique qui écrit des romans ». Aujourd’hui, le soupçon est tel que la poésie semble devoir être préservée de toute collusion avec la foi pour rester fidèle à son aventure propre. Il est devenu difficile, presque scandaleux, de se dire poète croyant. Chez celui qui fait un tel aveu, on craint que la poésie, au lieu d’être une pionnière du sens, se mette à la remorque d’un sens constitué avant elle, en dehors d’elle, d’un dogme qu’elle ne ferait qu’illustrer. Je ne sais pas si je dissiperai ces craintes en montrant que la poésie a son bout de chemin à tracer vers la vérité. Je voudrais en tout cas faire part de mon expérience, où ce chemin poétique n’aurait pas été ouvert sans la foi chrétienne.

C’est la reconnaissance de l’Incarnation, du Dieu fait homme en Jésus-Christ, qui a soudain rapproché de moi le monde, l’amenant à portée de parole. Auparavant, les êtres, les choses étaient bien là, mais ils avaient peu d’importance ; le sens, lui, était ailleurs, plus loin dans un au-delà où m’avait emporté le romantisme musical. Pour atteindre plus vite cet empyrée, l’idéal était même de se débarrasser des mots, ou du moins de leur signification encombrante, et de n’en retenir que des sons allégés, des rythmes maniables. Mais quand le sens de toute vie a commencé à m’apparaître sur la Sainte Face grise, il a été rendu en même temps au prochain et aux mots, dans une sorte d’apocalypse du voisinage méconnu. Je pouvais commencer à appeler tous ces êtres que mon aveuglement avait privés de nom : cette parole retrouvée, soutenue par une mélodie et une mesure désormais discrètes, réduites à un rôle d’accompagnement, c’était la poésie.

La révélation chrétienne, d’ailleurs lente autant que brusque, obscure autant qu’irréfutable, précédait la poésie sans l’empêcher d’être, d’une certaine façon, inaugurale. Le monde, en reprenant sens, était neuf, comme les liens que je renouais grâce aux mots avec les figures du passé et du présent qui émergeaient d’une longue indifférence. L’émotion des retrouvailles était le gage de cette nouveauté et la racine du poème. Elle gardait la poésie, maintenant peuplée de rencontres et d’objets quotidiens, de verser dans la banalité : chaque poème témoigne d’un moment où le coeur - fût-ce d’un côté seulement, et pendant une seconde- a été décapé, où il a balbutié des mots que personne ne lui a soufflés, pour rejoindre un regard frais.

Chez le poète croyant, on n’entend pas d’autre voix que la sienne, même et surtout quand elle reprend telle parole évangélique : voix issue de l’alchimie de son histoire, de la géologie de son corps, elle est reconnaissable entre toutes sans le secours d’aucun label, s’il est vraiment poète. Les vers sont portés par une intonation vivante qui ne s’accommode pas de la langue de bois. Mais cette voix n’est précisément devenue personnelle en lui que lorsqu’il n’a plus été hors de lui-même, lorsque le Christ lui a offert de s’accepter humblement unique, et de se réconcilier avec le monde vrai. La voix du poète chrétien n’est pas un écho, elle ne double pas un discours tenu ailleurs ; elle répond à un silence plus large, accueillant, que le lecteur entend quand elle reprend haleine.

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Chemin de Compostelle

Entre les vieux villages
nous suivons la trace
des coquelicots
blessures vermeilles dans le blé en herbe

Ce soir, le Christ roman
aux longs pieds, aux grands yeux
au torse d’enfant
nous abritera dans son côté ouvert.

Jean-Pierre Lemaire, L’Annonciade, Gallimard, 1997

Jean-Pierre Lemaire, professeur de Lettres en Classes Préparatoires et poète. Il a publié plusieurs recueils chez Gallimard : Visitation (1985), Le cœur circoncis (1989), L’escade et la nuée suivi de La pierre à voix (1992), Le chemin du cap (1993) et L’Annonciade (1997).

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