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Un discours en question ?

Georges Lemaître, Pie XII et l’« affaire » {Un’Ora}
Dominique Lambert

Commencement naturel et création : Lemaître physicien novateur et « philosophe » thomiste

Après avoir fait, en 1927, sa contribution essentielle à la cosmologie contemporaine en décrivant le mouvement de fuite des galaxies lointaines par un univers sphérique en expansion, Georges Lemaître [1] s’est rendu célèbre en montrant comment on peut penser, dans les limites de la physique, une notion de commencement de l’univers. Sir Arthur Eddington, le célèbre astronome et professeur de Lemaître à Cambridge (1923-24), était persuadé que cette notion relevait de la métaphysique. Comme beaucoup d’autres qui adhéraient aux conclusions tirées des antinomies kantiennes, la notion même de commencement de l’univers ne pouvait en aucun cas relever du champ des phénomènes décrits par la science. Lemaître montra en 1931 que l’on pouvait très bien penser scientifiquement un commencement de l’univers et cela à partir de trois sources théoriques différentes : la relativité générale, la mécanique quantique et la thermodynamique.

Tout d’abord, en relativité générale, il existe des modèles d’univers homogènes (même densité d’énergie-matière en tout point de l’univers à grande échelle) et isotropes (mêmes propriétés physiques dans toutes les directions de l’univers) tels que le terme décrivant la distance entre deux points spatiaux peut s’annuler à un certain moment dans le passé. On dit que ces univers, qui appartiennent à la classe baptisée aujourd’hui du nom de Friedmann-Lemaître, présentent une singularité initiale. L’univers, remarquons-le bien, ne se réduit pas en un point, ce sont les distances relatives entre les points qui convergent vers zéro et s’annulent à un certain moment dans le passé. Le temps est lié à l’espace et, si les échelles caractéristiques de l’espace tendent vers zéro, il existe un instant où l’espace s’évanouit et le temps avec lui, puisqu’il n’existe pas sans lui ! On atteint donc comme le dit Lemaître si poétiquement : « cet instant unique qui n’avait pas d’hier parce qu’hier il n’y avait pas d’espace ». La notion de commencement du temps prend donc un sens scientifique (physique et géométrique) dans la mesure où il décrit un état dans lequel les échelles caractéristiques d’espace sont réduites à zéro. Le commencement peut se décrire analogiquement comme le sommet d’un cône circulaire posé sur sa pointe. Les sections de ce cône se resserrent au fur et à mesure qu’elles se rapprochent de sa pointe. Arrivés à celle-ci, on ne peut plus progresser vers le bas puisqu’en dessous… il n’y a plus de cône !

Ensuite, Lemaître envisage une description du commencement de l’univers en utilisant des intuitions issues de la mécanique quantique et de la thermodynamique. L’énergie se distribue en quanta, mais Lemaître remarque que l’augmentation de l’entropie de l’univers (l’augmentation du désordre ou de l’homogénéité) va de pair avec l’augmentation du nombre de quanta. La montée progressive, au cours du temps, vers l’homogène (vers le désordre) prescrite par le second principe de la thermodynamique pour un système isolé, s’accompagne donc d’une pulvérisation de la matière sous la forme d’un nombre toujours plus grand de quanta. Si l’on remonte le cours du temps, on observe, dans le passé, un nombre de moins en moins grand de quanta. Et Lemaître fait remarquer qu’il doit exister un moment où toute la matière est rassemblée en un seul quantum, qu’il appelle l’atome primitif ; atome au sens étymologique du terme puisqu’il ne peut plus être scindé. À ce stade, on arrive à un état unique qui, lorsqu’il se désintègre, donne le signal du commencement de l’univers.

Aujourd’hui, la courbe évolutive de l’univers et le modèle utilisé par la cosmologie sont ceux proposés par Lemaître en 1931, mais la conception d’un atome primitif se désintégrant en engendrant l’espace-temps et les quanta d’énergie-matière ne tient plus la route. Cependant, ce qui est intéressant conceptuellement c’est la chose suivante. Pour Lemaître la singularité initiale ne correspond pas à l’évanouissement de toute réalité physique. Elle signe seulement l’évanouissement de l’espace et du temps (mais pas de l’énergie-matière). Il existe bel et bien une réalité existante (l’atome primitif) qui n’est pas dans l’espace et le temps, puisque c’est à partir d’elle que va apparaître l’espace-temps qui donc est une grandeur dérivée.

Philosophiquement, il faut donc remarquer, comme le célèbre philosophe suisse Ferdinand Gonseth l’avait noté dans la préface du célèbre livre de Lemaître, L’hypothèse de l’atome primitif [2], que le cosmologiste belge fournit un contre-exemple à l’une des antinomies de Kant (interdisant, dans le contexte de la raison pure, la représentation d’un commencement du temps) et laisse poindre la possibilité (complètement antagoniste à la pensée de Kant) d’une description conceptuelle d’un état physique (l’atome primitif) sans l’espace et le temps. Lemaître pense donc, pour la première fois, le commencement de l’univers dans les limites de la physique, mais ose risquer la pensée d’un engendrement de l’espace et du temps à partir d’un concept logiquement plus fondamental.

Cette description du commencement a donc une portée à la fois scientifique et philosophique (puisqu’il montre la ruine de certaines antinomies kantiennes). Elle est aussi une manière de dégager la notion de commencement d’une notion métaphysique de création. Pour Georges Lemaître, il n’y a aucun doute : l’univers est créé par Dieu. Cependant, la description du « commencement naturel » du cosmos comme il se plaît à le qualifier, ne s’apparente pas à une création au sens métaphysique, puisqu’il présuppose toujours un existant physique fondamental [3]. Ayant étudié la pensée de saint Thomas d’Aquin lors de son passage à l’Institut Supérieur de Philosophie en 1919 (qui était alors un brillant centre d’étude néo-thomiste), Georges Lemaître sait bien qu’il ne faut pas confondre le « commencement » du monde avec la « création » (relation métaphysique par laquelle Dieu pose le monde dans son être) [4] et encore moins un état initial de la physique, le « commencement naturel », avec ce que l’on pourrait appeler un « commencement ontologique » [5]. Lemaître sait que l’on ne peut pas, à partir des éléments du monde eux-mêmes, adopter un point de vue qui nous permettrait de penser et de surprendre le surgissement du monde dans sa nouveauté ontologique. En 1931, dans un passage qu’il supprimera finalement dans la version publiée de son célèbre article dans Nature où est lancée la théorie de l’atome primitif, il évoquera l’image d’un voile qui masque aux yeux du physicien l’acte créateur [6].

Faire face à une incompréhension : la thèse des « deux chemins vers la Vérité »

La distinction entre création et commencement va s’accompagner, à partir de la moitié des années trente, d’une distinction méthodologique que Georges Lemaître fait entre les « deux chemins vers La Vérité » : celui de la Science et celui de la Révélation [7]. Il s’agit pour Lemaître de se prémunir contre les objections qui commencent à arriver, non pas tant contre la cohérence interne de sa théorie mais contre des options métaphysiques et religieuses que certains croient détecter sous son œuvre.

Eddington était persuadé que le commencement physique de l’univers était une notion métaphysique et théologique [8]. Einstein, porté par sa philosophie spinoziste, avait fini par accepter l’idée d’un univers en expansion, mais refusait d’entendre parler de l’hypothèse de l’atome primitif parce qu’il était persuadé que cela était lié à une idée théologique de création [9].

En 1927, on disposait d’observations permettant d’étayer l’idée d’une expansion de l’univers. Mais en 1931, on ne disposait d’aucune preuve solide (et il faudra attendre 1965 avec la publication des résultats d’Arno Penzias et Robert Wilson sur le rayonnement de fond cosmologique, le Cosmological Microwave Background, pour les avoir) attestant d’un commencement de l’univers tel qu’il était décrit par Lemaître. Celui-ci, de son côté, tentait d’en apporter les preuves en étudiant systématiquement les propriétés des rayons cosmiques qu’il prenait, à tort, comme des « fossiles » des premiers temps de l’univers. À l’instar d’Einstein, un grand nombre de physiciens se méfiaient de l’hypothèse de Lemaître pour des raisons philosophiques, croyant qu’il s’agissait-là d’une idée émise par un prêtre pour renforcer la foi en la doctrine de la création. Ne disposant pas de preuve d’observation, ils se détournèrent progressivement de cette hypothèse adhérant plutôt, à partir de la fin des années 1940, à une théorie élaborée par le « trio de Cambridge » : Hermann Bondi, Fred Hoyle et Thomas Gold, appelée la « Steady State Cosmology » ou « cosmologie de l’état stationnaire [10] ». Il s’agit d’un modèle d’univers en expansion mais sans début ni fin, dans lequel le cosmos reste en tout temps et en tout lieu le même (principe cosmologique parfait). Pour ce faire, il faut supposer qu’il y a, à tout moment au cœur de l’univers, une création continue de matière. Chose étrange, pour échapper à ce qu’ils croient être la trace d’une idée théologique de création dans l’œuvre de Lemaître, Bondi, Hoyle et Gold introduisent une création permanente de matière dont la source n’est absolument pas justifiée fondamentalement (le terme de création est ajouté de manière ad hoc dans les équations d’Einstein).

Cette cosmologie alternative à celle de Lemaître devient dominante entre la fin des années quarante et 1965 et elle est, de plus, fortement appréciée par les scientifiques marxistes, car elle s’accorde bien avec l’hypothèse matérialiste d’une éternité de la matière. Il faut donc bien réaliser que la cosmologie de l’atome primitif apparaît, dans cette période, comme un modèle non seulement dépassé et non fondé d’un point de vue scientifique (par absence d’observation), mais aussi suspect en termes philosophiques. Ceci explique que Lemaître va d’une certaine manière intensifier, dans ses interventions publiques (conférences et cours), ses accents « discordistes », séparant de manière très nette « les deux chemins ». Cette position de Lemaître est très bien illustrée par sa déclaration suivante faite au Congrès Solvay en 1958 [11] :

C’est le fond philosophique de l’hypothèse de l’atome primitif. Personnellement, j’estime qu’une telle théorie reste entièrement en dehors de toute question métaphysique ou religieuse. Elle laisse le matérialiste libre de nier tout être transcendant. Il peut prendre, pour le fond de l’espace-temps, la même attitude d’esprit qu’il a pu adopter pour les événements survenant en des endroits non singuliers de l’espace-temps. Pour le croyant, elle exclut toute tentative de familiarité avec Dieu, telle la « chiquenaude » de Laplace ou le « doigt » de Jeans. Cela s’accorde avec la parole d’Isaïe parlant du « Dieu caché », caché même dans le début de la création.

Le discours Un’Ora : prétexte et contexte

C’est dans le contexte d’une opposition parfois virulente à son hypothèse de l’atome primitif que Georges Lemaître écoute le discours Un’Ora prononcé, le 22 novembre 1951, par le Pape Pie XII, à l’occasion de la session plénière de l’Académie pontificale des sciences et de la semaine d’étude de cette Académie sur la question des microséismes [12].

Pie XII entend, par ce discours, revisiter les « voies » philosophiques, vers l’existence de Dieu de Thomas d’Aquin, à la lumière des acquis des sciences physiques contemporaines. Le pape veut [13] :

rechercher si et dans quelle mesure la connaissance plus profonde de la structure du macrocosme et du microcosme contribue à renforcer les arguments philosophiques ; considérer ensuite […] si et jusqu’à quel point ces arguments auraient été ébranlés comme on l’entend dire parfois, du fait que la physique moderne a formulé de nouveaux principes fondamentaux, aboli ou modifié d’antiques concepts […] comme par exemple ceux de temps, d’espace, de mouvement, de causalité, de substance, concepts d’importance majeure pour la question qui nous occupe présentement. Ainsi, plus que d’une révision des preuves philosophiques, il s’agit donc ici d’un examen des bases physiques d’où ces arguments dérivent.

Il faut noter que l’intention du Pape n’est pas de forcer la science à transgresser ses frontières épistémologiques (« la science n’entend pas déborder les frontières de ce monde [14] »). Il cherche plutôt à réactualiser et enrichir les bases empiriques sur lesquelles les philosophes pourront, après une démarche herméneutique, tirer des arguments en faveur de l’existence d’un Dieu créateur. Par ailleurs, Pie XII réaffirme sa conviction que « la vraie science – contrairement à ce que l’on a inconsidérément affirmé dans le passé ‒, plus elle progresse et plus elle découvre Dieu, comme s’Il attendait aux aguets derrière chaque porte qu’ouvre la science [15] ».

Pour comprendre ce discours, il est important de le remettre en contexte. Deux éléments peuvent être intéressants de ce point de vue. La situation du discours (1) dans une époque qui suit la parution de l’encyclique Humani Generis, d’une part, et (2) dans un moment où la philosophie implicite de beaucoup de physiciens est marquée par la Steady State Cosmology, d’autre part. (3) Un livre, Space and Spirit, publié en 1946 par un grand mathématicien, Whittaker, fait partie des éléments importants qui vont influencer le discours de Pie XII.

L’allocution Un’Ora est prononcée un an après la parution de l’encyclique Humani Generis. Celle-ci n’avait pas été très bien accueillie dans un certain nombre de milieux universitaires. À Rome, on s’appliquait donc à en faire une exégèse positive, en soulignant les points d’accord de l’Église avec le monde de la recherche universitaire, scientifique en particulier [16]. Le discours Un’Ora peut-être envisagé avec comme arrière-fond ce désir de montrer que l’Église était largement ouverte aux acquis les plus récents de la science, en fait dans ce cas ceux de la physique. Une belle occasion était offerte au Souverain Pontife de le faire en s’adressant devant les membres les plus illustres de la science, rassemblés durant la session plénière de l’Académie pontificale.

Il s’agissait aussi de montrer, par l’exemple, que la philosophie thomiste pouvait encore dialoguer avec les sciences positives, à une époque où les tenants de la « nouvelle théologie » exploraient de voies qui s’écartaient ou renouvelaient cette pensée. À cette époque, de manière significative, s’initient également des dialogues entre certains philosophes thomistes romains et Ferdinand Gonseth, dont on a dit qu’il avait préfacé l’ouvrage de Lemaître, L’hypothèse de l’atome primitif  ; dialogues qui avaient pour but de confronter le thomisme à la « philosophie ouverte » de Gonseth [17].

En ce qui concerne les informations scientifiques contenues dans le discours Un’Ora, il est plus que probable que le Pape Pie XII se soit fait conseiller par le directeur de l’Observatoire du Vatican, la Specola Vaticana. À cette époque, il s’agissait du P. Johan Stein, jésuite d’origine hollandaise, qui mourut le 27 décembre 1951, environ un mois après que le Pape ait prononcé son discours. En 1930, le P. Stein, avait été nommé directeur de l’Observatoire et il avait été aussi l’un des artisans de son déménagement à Castel Gandolfo en 1936. Nous savons, par une lettre datée du 13 juillet 1946, que l’astronome jésuite avait reçu de Lemaître lui-même des informations concernant son hypothèse de l’atome primitif et qu’il admirait « la hardiesse grandiose et la parfaite cohésion intrinsèque » de l’hypothèse du chanoine [18]. Le paragraphe du discours Un’Ora qui qualifie, fin novembre 1951, la cosmologie de l’état stationnaire comme une « hypothèse trop gratuite » (troppo gratuite), rappelle le ton et le contenu de l’article publié par le P. Stein dans les Richerche Astronomiche de la Specola en septembre 1951 et qui, sous le titre Creazione senza creatore, déploie une critique en règle de l’hypothèse de la création continue de matière qui sous-tend la Steady State Cosmology. Le début de l’article commence par un hommage à l’hypothèse de l’atome primitif de Lemaître telle qu’elle est exposée dans la conférence de 1948 à l’Académie pontificale des sciences, que nous avons citée ci-dessus. Ensuite le P. Stein épingle le caractère paradoxal de la cosmologie du « trio de Cambridge », Bondi-Hoyle-Gold. Ce qui est sous-jacent à l’article du directeur de la Specola, c’est bien d’éviter une interprétation des données de la physique qui accréditerait philosophiquement une éternité du monde et donc une disparition de sa Cause première. Par la critique du P. Stein, la « voie » vers l’existence de Dieu peut être revivifiée, à la manière néo-thomiste, par les sciences contemporaines et n’est donc pas susceptible d’être barrée par les acquis d’une cosmologie pourtant dominante en ce début des années cinquante.

Les connaissances et la critique de Stein sont donc venues à point à Pie XII pour montrer que l’obstacle constitué par les idées du « trio de Cambridge » ne pouvait, en aucune manière, gêner fondamentalement son projet de conciliation de la Science avec la Foi, par la médiation de la philosophia perennis. On peut lire nettement l’opposition de Pie XII à la cosmologie de l’état stationnaire dans le passage suivant du discours Un’Ora [19] :

Ce destin fatal [la mort thermodynamique], que seules des hypothèses parfois gratuites, comme celle de la création continue supplétive (creazione continua suppletiva), s’efforcent d’épargner à l’univers, mais qui ressort au contraire de l’expérience scientifique positive, postule l’existence d’un Être nécessaire.

De plus, pour critiquer l’interprétation matérialiste de Svante Arrhenius, qui s’opposait à l’idée d’une création du monde en s’appuyant sur l’éternité de la matière, Pie XII cite explicitement le livre d’un célèbre mathématicien et académicien pontifical, Edmund Taylor Whittaker (1873-1956), Space and Spirit, dont le sous-titre significatif est Theories of the Universe and the Arguments for the Existence of God [20]. Ce livre, qui est le texte de conférences données au Trinity College de Dublin en juin 1946, ne fait aucune allusion à Lemaître, même lorsqu’il évoque la question de l’expansion de l’univers [21]. Le livre de Whittaker poursuit une argumentation qui se rapproche tout à fait de celle du discours Un’Ora, mais avec un style nettement « concordiste » qui n’a pas échappé à la critique du chanoine Van Steenberghen [22], ce célèbre spécialiste de Thomas d’Aquin à l’Université de Louvain, qui faisait partie, avec Georges Lemaître, du même « groupe local Louvain-Université », de la Fraternité des « Amis de Jésus » [23]. Whittaker ne prend aucune précaution pour distinguer la création au sens théologique et le commencement physique du monde. Il dit par exemple [24] : « il doit y avoir eu un commencement de l’ordre cosmique actuel, une création, pouvons-nous dire, et nous sommes même en mesure de calculer approximativement quand elle eu lieu » et un peu plus loin il ajoute [25] : « il y eut une époque reculée, il y a 10 ou 100 milliards d’années, où le cosmos s’il existait, existait sous une forme totalement différente de ce que nous connaissons : et cela représente l’ultime limite de la science. Nous pouvons peut-être, sans impropriété, nous reporter à cette époque comme à celle de la création ». Pour le mathématicien, il s’agit de montrer que les cinq « voies » vers l’existence de Dieu de Thomas d’Aquin, qui partent de notre connaissance du cosmos, gardent leur pertinence aujourd’hui et peuvent bénéficier des acquis des sciences contemporaines. Whittaker affirme explicitement que « Nous pouvons être assurés que, s’il vivait aujourd’hui, saint Thomas prendrait pour base de départ la science de la nature comme nous la possédons, une science immensément plus riche que tout ce qu’on pouvait rêver de son temps et montrerait comment elle peut fournir la structure d’une connaissance de Dieu » [26].

La motivation du discours Un’Ora de Pie XII n’est donc pas directement liée à l’œuvre de Lemaître et suit essentiellement une ligne de pensée proche de celle de Whittaker. Son but est de montrer que l’Église a une attitude ouverte par rapport aux sciences (physiques essentiellement) et que le thomisme (et spécialement ses « voies » vers l’existence de Dieu) peut encore être défendu, y compris contre les critiques de ceux qui pensent que la physique, à la suite de Bondi, Hoyle et Gold, a établi des arguments solides en faveur de l’éternité du monde.

À aucun moment, dans le discours de Pie XII, le chanoine Lemaître n’est cité. Le Pape aurait pu le faire. Il le connaissait personnellement et avait participé activement à sa nomination comme académicien pontifical en 1936 lorsqu’il était Secrétaire d’État de Pie XI. De plus, en 1939, à peine élu comme Pape, Pie XII lui avait demandé de prononcer l’éloge funèbre de Rutherford. Passionné d’astronomie [27], Pie XII connaissait les publications de Georges Lemaître, en particulier celle qui était parue en 1948 dans les Acta Pontificiae Academiae Scientiarum [28] et dont le titre était « L’hypothèse de l’atome primitif ». Cet article était du reste la version écrite d’une communication présentée à l’occasion de la session plénière de l’Académie pontificale des sciences, dont Pie XII avait prononcé le discours inaugural le 8 février 1948 [29]. Si Pie XII avait voulu citer le chanoine dans son discours de 1951, il l’aurait fait. Il ne faudrait pas en déduire que le Pape suspectait une difficulté philosophique dans l’approche du chanoine Lemaître. Ce que nous avons dit du contexte du discours montre bien que le but n’est pas de mettre en avant la cosmologie de l’atome primitif. Pourtant, un certain nombre de personnes vont interpréter les mots de Pie XII comme un appui indirect à l’œuvre de Georges Lemaître. Avec un enthousiasme qui voisine un certain concordisme, qu’il cherche pourtant à éviter, le Souverain pontife dit [30] :

Avec le même regard limpide et critique, dont [l’esprit éclairé et enrichi par les connaissances scientifiques modernes] examine et juge les faits, il entrevoit et reconnaît l’œuvre de la Toute-Puissance créatrice, dont la vertu, suscitée par le puissant Fiat prononcé il y a des milliards d’années, par l’Esprit créateur, s’est déployée dans l’univers, appelant à l’existence, dans un geste de généreux amour, la matière débordante d’énergie. Il semble en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire le témoin de ce Fiat lux initial, de cet instant où surgit du néant, avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies.

C’est dans ces mots que l’on pensera voir, dans les milieux scientifiques hostiles à l’Église, une défense de l’hypothèse de l’atome primitif au service d’une apologétique [31].

La réaction de Georges Lemaître

Il est intéressant de noter ce que Mgr Lemaître dit lors de sa toute dernière conférence publique à Namur en 1963 [32] :

Au sujet de l’attitude du souverain pontife, il est clair qu’elle se situe sur le terrain qui lui est propre et qu’elle n’a aucune relation avec les théories d’Eddington ou les miennes. Mon nom n’est d’ailleurs pas cité dans ce discours du pape.

L’attitude de Georges Lemaître vis-à-vis du Saint-Père rejoint tout à fait celle de son confrère de l’Institut Supérieur de Philosophie, le chanoine Fernand Vansteenberghen, Ce dernier cherche également à montrer que Pie XII est resté sur le terrain qui est le sien en respectant les distinctions épistémologiques [33] :

Pie XII s’arrête à temps et apporte les nuances et les réserves requises : à elle seule, dit-il, la science ne saurait prouver l’existence de Dieu ; c’est lorsqu’il pense en philosophe que le savant y parvient ; les données de la science servent de base à la spéculation philosophique ; elles ne font d’ordinaire que confirmer les points de départ reconnus depuis longtemps par les scolastiques ; quant à l’énigme de la matière primitive, c’est la réflexion philosophique qui doit tenter de la résoudre.

Nous n’avons que peu de traces directes et fiables de la réaction du chanoine Lemaître. Un témoignage important se trouve dans les confidences que le chanoine fit, à son retour de Rome, fin novembre ou début décembre 1951, à son ami l’abbé Heyters [34]. Le 24 décembre, celui-ci écrivit à Sœur Madeleine Delmer, o.s.b., qui lui avait envoyé des articles de presse, dont un article de Paris Match, concernant le discours Un’Ora [35] :

D’abord en ce qui concerne le chanoine Lemaître. Celui-ci était à Rome et a entendu ce discours. Son impression ? Un discours composé par deux scribes ; le premier ayant écrit dans le sens : « la science apporte de nouvelles preuves de l’existence de Dieu », le second, ou le pape lui-même, a corrigé en apportant quelques textes disant qu’il ne s’agit pas de nouvelles preuves, les seules vraies preuves étant d’ordre métaphysique (évidemment une hypothèse scientifique supposant que le monde a commencé évoque d’une manière plus adaptée à la psychologie humaine l’idée que Quelqu’un a été à l’origine de ce début… et c’est cet avantage dont le pape se réjouit sans doute). N’empêche que le compte rendu de La Libre Belgique (comme celui de Match) donnait l’impression que le pape aurait confondu quelque peu les domaines métaphysiques et scientifiques. Et Lemaître a eu la même impression en entendant ce discours. Le texte ne permet pas de l’affirmer.

Il n’y a peut-être pas eu de « premier scribe », mais peut-être la trace d’une première influence de Whittaker (et du P. Stein). Il est clair que la manière dont Lemaître concevait les rapports « Science-Foi » n’autorisait pas que l’on rapproche, sans médiation, les données cosmologiques et le contenu de la théologie de la création [36]. C’est qu’il considérait, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la Science et la Foi comme deux chemins bien distincts convergeant vers La Vérité, et sa formation thomiste lui interdisait de confondre « création » (au sens théologique) et « commencement » (au sens physique).

Le chanoine Lemaître fit certainement tout ce qui était en son pouvoir pour éviter des interprétations qui auraient pu suggérer que Pie XII avait été inspiré directement par ses idées. C’est ce que Heyters révèle dans sa lettre [37] :

Revenant de Rome, Georges Lemaître [38] est passé par Paris. Match a cherché à l’interviewer : il aurait eu l’intention de publier face à face les photos du pape et celle de Lemaître. Celui qui a le sens pratique de se défier des journalistes à l’américaine, a pu esquiver la chose. Sympathique à Lemaître, Match s’est alors contenté de citer celui que le pape ne citait pas, en signalant malicieusement que le pape voit une preuve de l’existence de Dieu dans la cosmogonie du chanoine « très croyant », alors que le chanoine refuse expressément de tirer de son hypothèse, même si elle était pleinement confirmée [39], une telle preuve. Voilà le résultat de mes conversations avec Lemaître sur ce sujet.

Le journaliste de Paris Match, Philippe de Baleine, a bien compris le message du chanoine et dans l’article auquel Heyters fait référence, il dit [40] :

Au discours du pape, la voix du chanoine Lemaître n’a pas fait d’autre écho du fond de son cabinet de travail de Bruxelles. Le savant, dans l’aveu de son ignorance, refuse de lier ses découvertes à l’idée de Dieu. Le prêtre se tait et laisse à son chef le soin de parler aux hommes.

La réaction de Lemaître ne comporte aucune critique vis-à-vis du Souverain Pontifie. Elle se base, nous semble-t-il, sur sa volonté de défendre son hypothèse de l’atome primitif en tant que véritable concept scientifique à une époque où il n’existe encore aucune observation susceptible de corroborer l’existence d’un état primordial (très condensé) de l’univers et où certains tentent de discréditer cette hypothèse, en la faisant passer pour une sorte de récupération apologétique. Indirectement, le discours Un’Ora risquait de donner de l’eau au moulin des adversaires de ce qui deviendra l’hypothèse du Big Bang [41].

Selon un proche collaborateur de Lemaître à Louvain, André Deprit [42], le chanoine [43] se joignit en juillet 1952, à son collègue et ami le Père Daniel O’Connell, astronome réputé, qui venait juste d’être nommé comme successeur du P. Johan Stein à la tête de l’Observatoire du Vatican, pour préparer l’audience que Pie XII devait accorder, à Castel Gandolfo, le dimanche 7 septembre 1952, aux membres de la huitième Assemblée générale de l’Union Astronomique Internationale. N’ayant jusqu’à présent retrouvé aucun document écrit concernant cette rencontre, on peut seulement se borner à des conjectures. Lemaître a certainement suggéré au P. O’Connell que le Pape ne fasse plus mention de son hypothèse. C’était d’ailleurs judicieux, car la situation était tendue avec les astronomes du bloc soviétique, non seulement parce qu’ils n’appréciaient pas l’idée d’un commencement de l’univers, pour des raisons idéologiques, mais aussi parce que la réunion de l’Assemblée aurait dû se tenir à Léningrad et avait été déplacée en raison de la Guerre de Corée [44]. Il est intéressant de vérifier que, dans le discours prononcé par le Pape le 7 septembre 1952, puis dans ceux qu’il prononça entre 1952 et 1958, il n’existe plus aucune allusion, directe ou indirecte, à l’hypothèse primitive.

Un’Ora : Une affaire qui n’en est pas une !

Le discours Un’Ora, ainsi que les réactions qu’il a provoquées et les interprétations auxquelles il a donné lieu et que l’on a parfois qualifiées « d’affaire Un’Ora  », nous pose une question fondamentale. S’il est vrai que la théologie n’a pas intérêt à construire une « herméneutique théologique de la nature » à partir de cadres théoriques qui ne sont pas (encore) solidement établis par les sciences (comme c’était le cas pour le modèle cosmologique de Lemaître entre 1931 et 1965), il n’en reste pas moins vrai qu’une immunisation radicale de la théologie vis-à-vis de la cosmologie pourrait lui être dommageable, la privant d’un lieu important de vérité. On pourrait par ailleurs se demander, aujourd’hui, si certaines interprétations désormais « classiques » du discours Un’Ora ne se sont pas construites sur le présupposé implicite de montrer qu’une articulation entre science et théologie est nécessairement illégitime [45]. Le retour à une analyse profonde du discours et de ce qui motive la réaction de Georges Lemaître est important. D’une part, à y bien regarder, le discours de Pie XII, comme l’avait bien noté le chanoine Vansteenberghen, ne transgresse pas, pour l’essentiel, les distinctions épistémologiques « sciences-théologie ». Le principe de sa démarche reste donc épistémologiquement légitime, comme le reconnaît Lemaître lui-même. D’autre part, le discours ne se fonde pas essentiellement sur l’atome primitif (même si on pu croire cela !) mais déploie une sorte d’herméneutique philosophique de la mutabilité physique des choses (attestée en partie par le second principe de la thermodynamique), qui pourrait garder toute sa signification comme médiation philosophique permettant d’articuler sans confusion ni séparation sciences du cosmos et théologie de la création.

La crainte majeure de Georges Lemaître a été que l’on prive son modèle d’univers et son hypothèse cosmologique de toute pertinence physique, en laissant croire qu’ils relevaient d’une apologétique mal placée. En cela, sa crainte était fondée. Il faudra encore de nombreuses années avant que la cosmologie de Lemaître se libère des étiquettes que certains se sont évertués à lui faire porter, dans l’ignorance de ce qu’il a réellement fait et de la distinction classique (médiévale) « création-commencement ». Il faudra peut-être aussi de nombreuses années avant qu’on ne se libère de la croyance que Georges Lemaître, en distinguant la science et la théologie, « ses deux chemins », signifiait par là la négation de leur articulation, telle qu’elle est envisagée dans le discours Un’Ora. Pour aider à ces « libérations » et contribuer à une approche plus correcte de la pensée de Georges Lemaître, il faut peut-être méditer le contenu de sa dernière interview accordée à Radio-Canada un mois avant sa mort, dans lequel il affirme [46] :

La physique n’exclut pas la Providence. Rien n’arrive sans son ordre ou sa permission, même si cette action suave n’a rien de miraculeux. L’évolution, que ce soit celle de l’univers ou du monde vivant, a pu se faire au hasard des sauts quantiques ou des mutations. Néanmoins, ce hasard a pu, d’un point de vue supérieur, être orienté vers un but […]. Le hasard n’exclut pas la Providence. Peut-être le hasard fournit-il les touches qu’actionne mystérieusement la Providence ?

Peut-être découvrira-t-on alors qu’il n’y a jamais eu, à Rome ou à Louvain, de véritable « affaire Un’Ora », mais seulement l’expression des craintes d’un très grand physicien de voir sa théorie scientifique dénigrée pour de fausses raisons [47].

Dominique Lambert, Docteur en sciences physiques et en philosophie de l’Université catholique de Louvain ; professeur aux Facultés universitaires de l’Université N-D. de la Paix de Namur où il a dirigé le département Sciences-philosophe sociétés et co-fondé le Groupe d’applications mathématiques aux sciences du Cosmos (GAMASCO). Lauréat de la Fondation Georges Lemaître (1999), auteur de Un atome d’univers, la vie et l’œuvre de Georges Lemaître (Lessius, 2000) et L’Itinéraire spirituel de Georges Lemaître (Lessius, 2007).

[1] Pour la vie et l’oeuvre de Georges Lemaître, nous nous permettons de renvoyer à nos livres : D. Lambert, The Atom of the Universe. The Life and Work of Georges Lemaître (Préface by P.J.E. Peebles), Kracow, Copernicus Center Press, 2015 ; D. Lambert, L’itinéraire spirituel de Georges Lemaître suivi de “Univers et Atome” (inédit de G. Lemaître), Bruxelles, Lessius, 2008.

[2] G. Lemaître, L’hypothèse de l’atome primitif : Essai de cosmogonie (préface de F. Gonseth), Neuchâtel : Éditions du Griffon, 1946, pp. 147-176, Les problèmes de la philosophie des sciences.

[3] L’atome primitif est, pour Lemaître, une réalité physique primordiale qui existe, mais la question de la source métaphysique de son existence n’appartient pas à la science.

[4] Dans une lettre à l’astronome Paul Couderc, Lemaître fait remarquer que, du point de vue logique, un monde créé (au sens théologique) aurait pu ne pas commencer (au sens physique) : « Est-il encore nécessaire d’insister sur le fait que les théologiens depuis saint Thomas sont prêts à admettre que le monde a été créé de toute éternité », Archives Lemaître, UCL, Louvain-la-Neuve. Cette lettre est en lien avec le compte-rendu écrit par G. Lemaître : « Compte rendu de P. Couderc : ‟L’expansion de l’univers” (1950) », in Annales d’astrophysique, t. XIII, 1950, n°3, pp. 344-345.

[5] Pour saint Thomas, le monde a commencé (ontologiquement) mais cela, seule la foi peut le soutenir : « Quod mundum non semper fuisse, sola fide tenetur, et demonstrative probari non potest, sicut et supra de mysterio trinitatis dictum est » (Summa Theologiae, Ia, q.46, a.2).

[6] G. Lemaître, « The beginning of the world from the point of view of quantum theory », Nature, t. CXXVII, 9 mai 1931, n°3210, p. 706. Le lecteur trouvera une traduction de l’article de Lemaître dans A. Friedmann, G. Lemaître, Essais de cosmologie, précédés de L’invention du Big Bang par Jean-Pierre Luminet (textes choisis, présentés, traduits du russe et de l’anglais et annotés par J.-P. Luminet et A. Grib), Paris, Seuil, 1997, Sources du savoir, pp. 298-299. La traduction du passage supprimé par Lemaître se trouve p. 68.

[7] G. Lemaître, « La culture catholique et les sciences positives » (séance du 10 septembre 1936) in Actes du VIe congrès catholique de Malines, Vol. 5, Culture intellectuelle et sens chrétien, Bruxelles, VIe Congrès Catholique de Malines, 1936, pp. 65-70.

[8] A. Eddington, « The End of the World : from the Standpoint of Mathematical Physics », Nature, 127 (1931) 447-453. C’est dans cet article qu’Eddington dit que l’idée d’un commencement (de l’ordre présent) de l’Univers est philosophiquement « répugnante ».

[9] Lemaître évoque le souvenir suivant : « Lorsque je (Lemaître) lui (Einstein) parlais de l’atome primitif, il m’arrêtait : non pas cela, cela suggère trop la création » (G. Lemaître, « Rencontres avec A. Einstein », Revue des Questions Scientifiques, 129 (1) (1958) 129-132 ; republié dans la Revue des Questions Scientifiques, 183 (4) (2012) 541-545, extrait cité p. 542.

[10] Cf. H. Kragh, Cosmology and Controversy. The Historical Development of Two Theories of the Universe, Princeton University Press, 1996, pp. 142-201.

[11] G. Lemaître, L’Hypothèse de l’atome primitif : Essai de cosmogonie (préf. F. Gonseth), suivi de L’Hypothèse de l’atome primitif et le problème des amas de galaxies : Rapport présenté par G. Lemaître au onzième Conseil de Physique de l’Institut international de physique Solvay, juin 1958, et O. Godart, Georges Lemaître et son œuvre. Bibliographie des travaux de Georges Lemaître, Bruxelles, Culture et civilisation, 1972, pp. 9-10.

[12] Pie XII, « Discorso per la Sessione plenaria e per la Settimana di studio sul problema dei microsismi », dans Discorsi dei Papi alla Pontificia Academia delle Scienze (1936-1993), Pontificia Academia Scientiarum, 1994, pp. 81-94 ; trad. anglaise : Papal Addresses to the Pontifical Academy of Sciences 1917-2002 and to the Pontifical Academy of Social Sciences 1994-2002 (préf. N. Cabibbo, intro. M. Sánchez Sorondo), Rome, Pontifical Academy of Sciences (Scripta Varia, 100), 2003, pp. 130-142. Nous utilisons la traduction française de la Documentation catholique, 16 décembre 1951, republiée dans Les Preuves de l’existence de Dieu à la lumière de la science actuelle de la nature (intro. D. Dubarle), Liège – Paris, La Pensée catholique – Office général du livre, s.d.

[13] Pie XII, Les Preuves de l’existence de Dieu…, op.cit., p. 12.

[14] Id.

[15] Pie XII, Les Preuves de l’existence de Dieu…, op.cit., p. 10

[16] Cf. Agnès Desmazières, « Le sens d’une soumission. La réception française de l’encyclique Humani Generis (1950-1951) », in Revue thomiste, 105 (2005) 273-306.

[17] Philosophie néo-scolastique et philosophie ouverte. Entretiens du Centre romain de comparaison et de synthèse, Paris, PUF, 1954 (entretiens qui seront suivis par La métaphysique et l’ouverture à l’expérience (échanges de textes faisant suite aux Entretiens du Centre romain de comparaison et de synthèse), Paris, PUF, 1960. Cf. à ce propos la belle thèse de Damien Niyoyiremera, « La cosmologie de Georges Lemaître et l’idonéisme de Ferdinand Gonseth », Rome, Université pontificale urbanienne, Faculté de Philosophie, 2018.

[18] Lettre du P. J. Stein à G. Lemaître datée du 13 juillet 1946 (Archives Lemaître, UCL, Louvain-la-Neuve).

[19] Pie XII, Les Preuves de l’existence de Dieu…, op.cit., p. 20.

[20] Londres, Thomas Nelson and Sons, 1946 ; trad. française : E. Whittaker, L’Espace et l’Esprit. Théories de l’univers et preuves de l’existence de Dieu (trad. P. Pernot), Paris, Mame, 1952.

[21] De manière significative, ni dans L’Espace et l’Esprit. Théories de l’univers et preuves de l’existence de Dieu ni dans Le commencement et la fin du monde (trad. P. Humbert), Paris, Albin Michel, 1953, Whittaker ne fait la moindre allusion à Lemaître et à l’hypothèse de l’atome primitif.

[22] Cf. le paragraphe, « Les vues d’Edmund Whittaker » dans son livre Dieu caché, op.cit., pp. 97-124.

[23] D. Lambert, « Mgr Georges Lemaître et les ‘Amis de Jésus’ », Revue Théologique de Louvain, 27 (1996) 309-343.

[24] E. Whittaker, L’Espace et l’Esprit. Théories de l’univers et preuves de l’existence de Dieu, op.cit., pp. 172-173.

[25] Ibid., p. 175.

[26] E. Whittaker, L’Espace et l’Esprit. Théories de l’univers et preuves de l’existence de Dieu, op.cit., pp. 16-17.

[27] Le jeune Pacelli avait en effet suivi les cours d’astronomie du P. Giuseppe Lais, un oratorien passionné de la cartographie céleste et de la photographie astronomique, qui deviendra vice-directeur de la Specola Vaticana et vice-directeur de l’Accademia dei Nuovi Lincei (N. Padellaro, Pie XII (traduit par J. Imbert ; préface de Daniel Rops), René Julliard, 1951, p. 69). Plus tard, devenu Pape, il prendra plaisir à venir observer lui-même les astres à partir de la grande coupole de Castel Gandolfo. Selon Régis Ladous, Pie XII avait fait sienne la devise qui orne le tombeau d’un astronome jésuite encore plus célèbre, le P. Angelo Secchi, également membre de l’Accademia dei Nuovi Lincei : « A coeli conspectu ad Deum via brevis » (« de la vue du ciel à Dieu le chemin est court »). (R. Ladous, Des Nobel au Vatican. La fondation de l’académie pontificale des sciences, Paris, Cerf, 1994, p. 136).

[28] G. Lemaître, « L’hypothèse de l’atome primitif » (note présentée lors de la séance du 8 février 1948), dans Acta Pontificiae Academiae scientiarum, t. XII, 1948, n°6, pp. 25-40.

[29] Cf. « Discours à l’Académie pontificale des sciences, 8 février 1948 », Documentation Catholique, XLV, n°1011, c. 257-267 ; Papal Addresses to the Pontifical Academy of Sciences 1917-2002 and to the Pontifical Academy of Social Sciences 1994-2002 (préf. N. Cabibbo, intro. M. Sánchez Sorondo), Rome, Pontifical Academy of Sciences (Scripta Varia, 100), 2003, pp. 110-120. Ce discours consacré à l’invariabilité des lois de la nature et au gouvernement suprême de Dieu dans le monde, préfigure le contenu de la réflexion de l’adresse faite en 1952 aux astronomes.

[30] Pie XII, Les Preuves de l’existence de Dieu…, op.cit., p. 26.

[31] Cf. par exemple la réaction du grand physicien J.-C. Pecker : « Je suis athée, et lorsqu’en 1951 le pape a vu dans le Big Bang le Fiat lux des origines, j’ai mal supporté que tout le monde scientifique abonde dans ce sens. » (Ciel et espace, décembre 1995, p. 56).

[32] G. Lemaître, Univers et Atome, manuscrit édité dans : D. Lambert, L’itinéraire spirituel de Georges Lemaître, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 200.

[33] F. Vansteenberghen, Dieu caché. Comment savons-nous que Dieu existe, Louvain – Paris, Publications universitaires de Louvain – Béatrice Nauwelaerts, 1961, p. 131.

[34] L’abbé Heyters faisait partie de la Fraternité sacerdotale des « Amis de Jésus » (dont Lemaître était membre ; cf D. Lambert, « Mgr Georges Lemaître et les « Amis de Jésus » », Revue Théologique de Louvain, 27 (1996) 309-343.) et avait été ordonné par le cardinal Mercier en même temps que Lemaître. Après des études de philologie classique, puis un doctorat en philosophie et en théologie à Louvain, il était devenu professeur à l’Institut Notre-Dame à Anderlecht (1926-1927) et au collège Sainte-Gertrude de Nivelles (1927-1936). Il fut nommé vicaire à Sainte-Gudule à Bruxelles (1936-1948) où il se fit connaître en donnant des conférences philosophiques et théologiques. Après avoir retrouvé l’enseignement, comme professeur de religion chez les sœurs de la Charité à Ixelles (1948-1967), il termina sa vie comme aumônier des visitandines à Kraainem. Heyters fut un ami, mais peut-être aussi un conseiller spirituel de Lemaître.

[35] Lettre transmise par sœur M. Delmer le 20 novembre 1996.

[36] D. Lambert, « Mgr Georges Lemaître et le dialogue entre la cosmologie et la foi. I. », Revue Théologique de Louvain, 28 (1997) 28-53 ; « Mgr Georges Lemaître et le dialogue entre la cosmologie et la foi. II. », Revue Théologique de Louvain, 28 (1997) 227-243 ; « Georges Lemaître, une vie entre science et foi », Histoire du Christianisme Magazine, septembre-octobre 2010, pp. 27-46.

[37] Lettre transmise par Sœur Madeleine Delmer le 20 novembre 1996.

[38] Ici Heyters a barré l’incise : « […] qui a quelque sens pratique » !

[39] C’est nous qui soulignons cette incise importante, surajoutée par l’abbé Heyters.

[40] Ph. de Baleine, « Comment Dieu a créé le monde », dans Paris Match, n°143, 15 décembre 1951 p. 19.

[41] On se rappelle que le terme de Big Bang a été utilisé pour la première fois par Fred Hoyle pour qualifier, de façon ironique, le commencement naturel de l’univers qui apparaît dans le modèle d’univers de Lemaître de 1931.

[42] A. Deprit, « Les amusoires de Monseigneur Lemaître », Revue des Questions Scientifiques, 155 (2) (1984) 193-224. L’historien vérifiera que Régis Ladous (Des Nobel au Vatican. La fondation de l’académie pontificale des sciences, Paris, Cerf, 1994), pour rendre compte de cet événement, cite le P. Georges Coyne (« Tradition and today : religion and science », communication au symposium « Science in the context of human culture II. Understanding reality : The role of culture and science » (Pontificia Academia Scientiarum. Pontificium Consilium de Cultura, Rome, 30 septembre - 4 octobre 1991)), qui lui-même cite Josef Turek (« Georges Lemaître and the Pontifical Academy of Sciences », Vatican Observatory Publications, 2, 1989, pp. 167-175), ce dernier se basant sur cette déclaration d’André Deprit (« Les amusoires de Monseigneur Lemaître », op.cit.).

[43] Lemaître profita d’une escale à Rome lors de son voyage vers l’Afrique du Sud où il devait participer à une conférence organisée à l’occasion du cinquantième anniversaire de la South African Association for the Advancement of Science.

[44] H. Kragh, Cosmology and Controversy. The Historical Development of Two Theories of the Universe, Princeton University Press, 1996, pp. 256-259.

[45] La déclaration suivante du mathématicien marxiste Paul Labérenne est significative : « Bien que certains savants comme Émile Borel aient mis, dès le début, les relativistes en garde contre la témérité qu’il y avait, dans l’état actuel de la science, à vouloir considérer l’univers dans son ensemble, et que d’autres, comme von Weizsäcker, aient, en reprenant une célèbre antinomie de Kant, cherché à démontrer que de telles questions étaient par essence insolubles, de nombreux astronomes ont prétendu construire des “modèles” mathématiques universels. La discussion a pris un caractère métaphysique lorsque quelques savants fidéistes, comme Lemaître et Eddington, prétendirent utiliser un modèle expansionniste extrapolant sur des milliards d’années, pour justifier l’hypothèse d’une création surnaturelle d’un monde, tentative qui a été publiquement encouragée par le pape Pie XII, lors d’une intervention devant l’Académie pontificale en 1951. » (P. Labérenne, « L’astronomie et l’histoire de la pensée humaine », dans La Pléiade. Astronomie, p. 24 ; cité par G. Lemaître en 1963, dans Univers et atome, édité par D. Lambert, L’itinéraire spirituel de Georges Lemaître, Bruxelles, Lessius, 2007, p. 200).

[46] Mgr G. Lemaître, « L’expansion de l’Univers. Réponses à des questions posées par Radio-Canada le 15 avril 1966 » (notes de l’interview, publiées par O. Godart son collaborateur dans la Revue des Questions Scientifiques, 138 (2) (1967) 153-162 ; republiées dans la Revue des Questions Scientifiques, 183 (4) (2012) 546-554 ; extrait cité p. 554).

[47] Ceci serait d’ailleurs confirmé par un des seuls témoignages de l’époque, celui de Ernan McMullin, qui avait suivi un séminaire de Lemaître et qui montre bien que la réaction fondamentale de ce dernier concerne une question scientifique et non philosophique ou théologique : « Lemaître storming into the class on his return from the Academy meeting in Rome, his usual jocularity entirely missing. He was emphatic in his insistence that the Big Bang model was still very tentative, and further that one could not exclude the possibility of a previous cosmic stage of contraction. » (E. McMullin, « How should cosmology relate to theology », dans The Sciences and Theology in the Twentieth Century, A.R. Peacocke (éd.), Stockfield, Oriel Press, 1981, p. 53. Cité de H. Kragh, Cosmology and Controversy. The Historical Development of Two Theories of the Universe, Princeton University Press, 1996, p. 431). Nous rejoignons ici aussi les conclusions de l’analyse de Giuseppe Tanzella-Nitti, « The Pius XII - Lemaître Affair (1951-1952) on Big Bang and Creation », http://inters.org/pius-xii-lemaitre.

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