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Un objet religieux et sa pratique, le chemin de croix portatif aux XIXe et XXe siècles en France. (Waltraud Hahn)

Paris, Cerf, « Images et Beaux Livres », 2007, 310 p.
Isabelle Baron

« On peut se demander comment une religion a pu se maintenir et se développer pendant deux mille ans en présentant à l’observateur objectif un corps humilié et martyrisé, couvert de sang et de blessures, dont le croyant est censé revivre, par l’esprit et le sentiment, le calvaire et les outrages en pratiquant l’exercice de la dévotion du chemin de croix. ». À travers l’évolution de l’objet de piété qu’est le chemin de croix, c’est l’histoire de cette dévotion que retrace Waltraud Hahn dans un ouvrage très documenté et abondamment illustré. L’approche ethnologique de ce livre est extrêmement éclairante pour voir comment l’histoire d’un support religieux permet d’éclairer la vie quotidienne des catholiques en France, ainsi qu’une partie du système de valeurs d’une population liée par la foi à la doctrine catholique des XIXe et XXe siècles, en remontant aux origines.

Bien que le titre indique une étude des XIXe et XXe siècles, une première partie est en effet consacrée à la naissance du culte de la Passion, intimement lié à l’attachement au Saint-Sépulcre. En raison des difficultés liées au pèlerinage à Jérusalem, réservé à une minorité, cette dévotion se diffuse surtout à partir de la fin du Moyen Âge. Pour se faire plus accessible à l’ensemble de la chrétienté, la Jérusalem terrestre s’efface au profit d’une Jérusalem « céleste » à laquelle ont accès tous les fidèles par la prière et la méditation. Ce pèlerinage spirituel sur les pas du Christ lors de sa Passion se fige petit à petit sous la forme de quatorze stations, diffusées, sous l’impulsion de saints comme Léonard de Port-Maurice au XVIe siècle, sur de multiples supports.

C’est aux XIXe et XXe siècles que, industrialisation aidant, la propagation est la plus importante, avec un pic pendant la seconde moitié du XIXe. Autels miniatures, dépliants de poche, ou même éventails et cartes postales, tout est fait pour que laïcs et religieux, de toutes classes sociales, puissent disposer de d’images faciles d’accès et aisément compréhensibles pour leur prière, qu’elle soit individuelle ou communautaire. Le culte lié aux chemins de croix fixes, dans les églises ou en plein air, fait l’objet également d’une analyse approfondie. Waltraud Hahn montre notamment comment les livrets qui accompagnent ces cérémonies reflètent les problèmes auxquels est confrontée l’Église du temps, avec notamment des supplications pour les congrégations en France en 1904.

Intimement liés au contexte socioculturel et au plus intime de l’âme humaine, les objets de piété sont donc un volet important dans l’étude de l’histoire de la vie de foi. La filiation avec l’abbé Brémond et sa monumentale Histoire littéraire du sentiment religieux en France est revendiquée par l’auteur. À travers un patrimoine méconnu, souvent dévalorisé car lié à un imaginaire saint-sulpicien, c’est la richesse de l’expression de ce sentiment religieux que ce livre remarquable invite à découvrir.

Réalisation : spyrit.net